Archives annuelles : 2016

Bobby, chien fidèle

C'est avec Bobby, le chien le plus connu d'Édimbourg, que se termine notre dernière journée complète en Écosse. L'histoire est rocambolesque : Bobby était un jeune Skye terrier qui accompagnait John Gray, un veilleur de nuit de la police municipale, lors de ses longues rondes nocturnes. John Gray mourut de la tuberculose en 1858 et fut enterré au Greyfriars Kirkyard. Bobby garda alors la tombe de son maître pendant environ quatorze années, et ce malgré les tentatives du gardien pour le chasser du cimetière et malgré le mauvais temps (et Dieu sait à quel point le temps peut être mauvais dans cette région du monde !). Finalement, face à la fidélité et la ténacité à toute épreuve du toutou, le gardien accepta la situation et lui construisit un abri. Bobby était un chien très routinier (un chien autiste ?) qui quittait tous les jours aux mêmes heures la tombe de son maître pour aller chercher à manger. Il devint célèbre dans tout Édimbourg. À la mort du chien, en 1872, la baronne Angela Georgina Burdett-Coutts, riche philanthrope et membre de la Royal Society for the Prevention of Cruelty to Animals, commanda l'érection d'une fontaine en granite, au sommet de laquelle trône encore aujourd'hui la statue en bronze grandeur nature de Bobby, version victorienne de Lassie. Selon qu'on aime les chiens ou pas, on verra en Bobby le symbole parfait de la fidélité canine ou bien une preuve parmi d'autres que ces animaux sont particulièrement stupides.

Un volcan dans la ville (photos)

Impossible de rater le principal parc de la ville d'Édimbourg : c'est un ancien volcan ! Il suffit de marcher quelques centaines de mètres depuis le palais d'Holyrood, tout en bas du Royal Mile, pour se retrouver dans une micro-parcelle de Highlands, avec ses lochs et ses glens, ses collines et ses roches d'origine volcanique. Depuis le centre-ville, la partie la plus visible de Holyrood Park est constituée des Salisbury Crags, une longue falaise escarpée résultant de l'insertion d'une roche éruptive (la dolérite) à l'intérieur de roches sédimentaires beaucoup plus molles. Au départ horizontaux, les Salisbury Crags se sont progressivement inclinés sous l'action de la croûte terrestre. Derrière cette première ligne abrupte, se trouve le Siège d'Arthur (Arthur's Seat), volcan éteint et point culminant de la ville avec ses 251 mètres d'altitude. L'ensemble est le résultat (fortement érodé par les glaciations) de plusieurs éruptions qui ont commencé au Carbonifère, il y a environ 350 millions d'années. — Voilà pour l'aspect géologique. Je ne suis pas du tout un spécialiste de la question (on l'aura d'ailleurs remarqué), mais je trouve tout cela passionnant !

Andrew et moi avons fait l'ascension jusqu'au sommet en début d'après-midi. Nous avons croisé des sportifs en grande forme faisant le trajet en courant (on se serait presque cru dans Chariots of Fire !), ainsi qu'une banshee solitaire, avec laquelle nous n'avons pas osé interagir, de peur d'être entraînés jusqu'à la falaise et poussés dans le vide par des elfes malfaisants. Le sommet donne accès à un fantastique panorama sur Édimbourg, balayé par un vent très fort... pour ne pas changer !





« That's creepy! »

C'est un petit garçon des États-Unis d'Amérique. Cheveux blonds, casquette vissée sur la tête, accent américain, plus ou moins le même âge que Gaëlle. Il se trouve dans le même groupe que nous, celui de six heures, au sixième étage de l'Edinburgh's Camera Obscura and World of Illusions, une attraction touristique créée en 1853 sur les hauteurs du Royal Mile par Maria Theresa Short, une entrepreneuse issue d'une famille spécialisée dans la fabrication d'instruments d'optique.

Le principe de l'attraction est très simple, c'est celui de la chambre noire : dans une pièce isolée de toute pollution lumineuse, un membre du personnel manipule à l'aide d'une longue tige un périscope situé à quelques mètres au-dessus de nous, sur le toit de la tour. Par un jeu de miroirs, un panorama en temps réel de la ville d'Édimbourg est projeté sur une grande table concave blanche placée à notre hauteur. L'optique est d'origine et les images mouvantes observées (bâtiments, drapeaux flottants au vent, mouettes, voitures, personnes en contrebas, etc.) sont fantomatiques, un peu comme si Nicéphore Niépce s'était essayé à la vidéo avec les moyens de son époque.

Notre guide du jour est très comique : elle fait plein de plaisanteries sur le (ridiculement gigantesque) monument érigé en l'honneur de Walter Scott, sur la cathédrale toute proche qui bouche la vue, sur les passants qu'on peut ramasser à l'aide d'une simple feuille de papier... Elle pose aussi un tas de questions, auxquelles le petit Américain répond la plupart du temps. Gaëlle est très énervée et au bord des larmes. Je lui demande pourquoi. Réponse : « Je ne comprends rien ! Les gens rigolent et je ne comprends pas pourquoi. Et puis, moi aussi, j'aimerais faire la maligne comme l'autre garçon, si seulement je comprenais l'anglais ! »

Pour notre malheur, « l'autre garçon » fera en même temps que nous la visite des autres étages du musée, consacrés en grande partie aux illusions d'optique. C'est une sorte de « Britannique inversé ». Tout ce que ne ferait a priori pas un enfant britannique, il le fait : dépasser tout le monde pour essayer une attraction en premier, bousculer sans s'excuser, faire le gardien devant un couloir pour avoir un espace réservé pour lui et ses parents (!)... Son comportement énervera encore plus Gaëlle, à juste titre cette fois-ci.

La dernière attraction du musée (le Giant vortex tunnel) est extrêmement troublante pour les sens : elle consiste à traverser une passerelle statique en métal grillagé entourée d'un cylindre très coloré en rotation constante. En la traversant, impossible de ne pas avoir la sensation que la passerelle est en mouvement et qu'on va finir tomber. Comme dirait notre petit États-Unien, à qui je laisse le mot de la fin : « That's creepy! »

Royal Botanic Garden Edinburgh (photos)

Pour cette première journée complète à Édimbourg, nous avons notamment été visiter le Royal Botanic Garden, un immense jardin botanique situé à environ un mile au nord du centre-ville. C'est le deuxième plus vieux jardin botanique de Grande-Bretagne : il a été fondé en 1670 et a changé d'emplacements à plusieurs reprises pour échapper à la pollution citadine. Il dispose d'un très grande diversité de plantes, regroupées par collections et/ou par régions. Il possède également dix serres climatisées. Peut-être est-ce la fatigue, peut-être est-ce le temps grisâtre ; en tout cas, je n'ai pas du tout réussi à capturer la beauté de ce lieu. — Voici seulement quelques photos pour mémoire.



Arrivée à Édimbourg (photos)

Impossible de bien photographier Édimbourg ce soir ! Trop d'activités et de touristes dans les rues, trop de bâtiments différents... Rien à voir, évidemment, avec l'homogénéité des petits villages paisibles situés plus au Nord. Rien à voir non plus avec les paysages des Highlands, qui semblent presque attendre qu'on les photographie. Ici, tout grouille et bouge ; tout est constamment en mouvement. Léandra ferait sans doute de très belles photos ; moi, j'en suis incapable... Mais j'ai quand même essayé. Pour notre première soirée dans la capitale de l'Écosse, nous avons principalement parcouru le Royal Mile, cette artère pentue de la vieille ville qui relie le château d'Édimbourg (en haut) au Palais de Holyrood (en bas). Non loin de ce dernier, on passe abruptement de la ville à la nature : à l'est, s'élève l'Arthur's Seat, un ancien volcan (oui, encore un !) qui sert de poumon vert au centre-ville. On compte bien s'y promener demain ou après-demain.





Goodbye Oban (photos)

Pour saluer notre départ — et peut-être pour essayer de nous retenir ? —, le petit village portuaire d'Oban nous a gratifié d'un ciel partiellement bleu ce soir et surtout d'un superbe coucher de soleil. Demain, direction Édimbourg pour les trois derniers jours du voyage.


Inveraray (photos)

Inveraray est petit village situé approximativement à une heure de bus d'Oban et à deux heures de Glasgow. Inbhir Aora, son nom en gaélique écossais (n'essayez surtout pas de le prononcer !), signifie « l'embouchure de la [rivière] Aray ». C'est un burgh royal et la demeure ancestrale du duc d'Argyll, dont le château (reconstruit au XVIIIe siècle) et les jardins se situent légèrement en retrait des habitations. Comme Tobermory, Inveraray est un village très photogénique, mais contrairement à lui, ses maisons, blanchies à la chaux, ne contiennent aucune couleur. La vue sur le Loch Fyne et sur les monts alentour est tout simplement magnifique. Elle change de minute en minute selon la configuration des nuages. Enfin, si vous êtes de passage dans cette bourgade et voulez y manger ou boire un verre, je ne peux que vous conseiller The George Hotel, le plus vieux pub du coin : tout le monde s'est régalé et la bière locale (la Fyne Ale), particulièrement fleurie, est délicieuse !








McCaig's Tower (photos)

La McCaig's Tower est un curieux édifice surplombant le village d'Oban, dont la construction a été commandée par John Stuart McCaig (1823-1902), un banquier philanthrope quelque peu excentrique qui voulait édifier un monument durable pour sa famille et pour lui-même, tout en donnant du travail aux tailleurs de pierre et aux maçons des environs. Comme McCaig était un grand amateur de la civilisation gréco-romaine, avait de l'argent et ne voulait pas faire les choses à moitié, il a élaboré les plans d'une énorme structure ressemblant au Colisée, incluant une galerie d'art ainsi qu'une tour centrale présentant des statues de sa famille. À sa mort en 1902, après plus de cinq ans de travaux, seul le mur extérieur était terminé. Ses héritiers se sont alors dit que, tout compte fait, il y avait peut-être des manières plus intéressantes de dépenser son argent et le projet fut arrêté net. Aujourd'hui, reste ce mur complètement ridicule gardé par un lapin et dont l'intérieur a été reconverti en parc, avec une vue fantastique sur la baie d'Oban et sur les îles environnantes (Kerrera, Lismore et Mull). Sur la troisième photo ci-dessous, on remarque au loin le phare d'Eilean Musdile dont il était déjà question dans cet article.






Attrition

Conversation loufoque avec la serveuse du pub du ferry Caledonian MacBrayne au retour de Craignure :

« A cappuccino and a pint of Tennent's lager please.
— Where are you from ?
— Belgium.
— Do you speak french or flemish ?
— French.
— Voulez-vous un peu de chocolate sur votre cappuccino ? me demande-t-elle alors avec un fort accent anglais.
— Ha, vous parlez français ! Non, pas de chocolat, merci.
— Pour la bière, je vais... euh... vous la donner dans une cup en plastique, parce qu'on va bientôt arriver à Oban.
— Pas de problème. Dites donc, vous parlez bien français.
— Oui, c'est parce que je suis Française.
— Vous êtes Française ?
— Oui, ça fait sept ans que je travaille ici, mais je suis... euh... originaire de France.
— C'est amusant, vous avez un accent anglais quand vous parlez français. On ne pourrait d'ailleurs pas dire en vous écoutant parler que vous êtes Française...
— C'est parce que je n'ai pas beaucoup... euh... l'occasion d'utiliser mon français ici, alors je le perds.
— Ha bon ! »

Je trouve ça fascinant et je me suis donc renseigné. En linguistique, le phénomène porte un nom : l'attrition. Il s'agit, chez un individu donné, de la perte partielle ou totale (!) d'une langue pourtant parfaitement maîtrisée en raison d'une absence de pratique et de l'immersion dans une communauté linguistique différente. Concrètement, cela se traduit notamment par une difficulté à trouver ses mots et par une incapacité à former correctement les bonnes structures grammaticales. La langue apprise en second lieu peut grandement altérer la façon dont on parle la première : une personne dont la langue maternelle est le français mais dont l'environnement journalier est l'anglais peut finir par appliquer au français des constructions grammaticales propres à l'anglais et par prononcer les mots français avec un fort accent. Le phénomène n'est pas si curieux si on le considère d'un point de vue pratique : si la langue est avant tout un outil social extrêmement performant permettant une communication fluide dans un contexte donné, elle devient inutile si les contacts avec la communauté linguistique d'origine deviennent rares ou inexistants.

Iona (photos)

Iona est une petite île (à peine dix kilomètres carrés) détachée de l'île de Mull par un détroit d'environ deux kilomètres nommé tout naturellement the Sound of Iona. C'est là que nous dépose le bateau après notre voyage sur l'incroyable îlot volcanique de Staffa. Si ce dernier laisse une impression générale de violence avec ses reliefs escarpés sortis de terre il y a environ 60 millions d'années, Iona, à l'inverse, respire le calme et la tranquillité. C'est une île au relief très doux, dont les roches, datant du précambrien (c'est-à-dire d'avant « l'explosion cambrienne » d'il y a 542 millions d'années), ont eu pas mal de temps pour être sculptées par l'érosion. Cette « tranquillité géologique » se reflète jusque dans le statut particulier — mais beaucoup plus éphémère — de ce morceau de terre : Iona est en effet considérée comme l'une des îles les plus sacrées d'Europe et comme un bastion de la chrétienté. C'est sur cette île que le missionnaire irlandais Colomba a fondé, en 563, le monastère qui a servi de base à la (re)christianisation du Nord de la Grande-Bretagne, les élites pictes du coin semblant avoir été dans un premier temps réfractaires à une évangélisation sur le long terme (on les comprend). C'est également le lieu où sont enterrés plusieurs rois d'Écosse, dont le fameux Macbeth. — Personnellement, je trouve cette île morne et triste et c'est bien la première fois que je ressens les nuages écossais comme une chape de plomb. C'est peut-être le côté trop plat de l'île, contrastant avec ce bloc sauvage et dur qu'est Staffa, qui m'a laissé cette impression de fadeur. C'est peut-être aussi tout simplement son côté chrétien. Les quelques photos prises là-bas sous la pluie paraissent un peu brumeuses, non pas seulement à cause de la brume, mais aussi de la condensation dans l'objectif. J'en publie quelques-unes pour mémoire, mais je ne les aime pas1.




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1 À l'exception d'une photo de ma fille sous un parapluie, devant un mur du couvent d'Iona, que je ne montrerai pas ici.