Archives mensuelles : août 2011

Noctambulisme


Dans le genre foireux : aujourd'hui, je me suis levé à... 2 heures de l'après-midi, à 13h57 pour être précis. Ni ma mère, ni ma fille n'ont ressenti le besoin de me réveiller avant cette heure pour le moins tardive. Je me serais rendormi sans le moindre problème en quelques secondes si je n'avais pas eu la (très) bonne idée de consulter l'heure. Aujourd'hui, comble de malchance, je devais accueillir Léandra en début d'après-midi dans "ma région" pour me rendre avec elle et Gaëlle au Lac de Bambois. Léandra a essayé de me téléphoner à deux reprises, mais pour une fois, mon téléphone était sur silencieux. Résultat : trop tard pour tout ça (Léandra habite à Bruxelles, soit à 1h30 de train environ de chez mes parents) et le projet tombe à l'eau.

La question du sommeil est une question primordiale pour moi comme pour beaucoup de personnes de mon entourage. Personnellement, mon principal "problème" réside dans le noctambulisme : j'adore la nuit et je déteste aller dormir avant minuit. Après minuit, je postpose constamment l'heure de m'endormir, non pas que je ne n'en suis pas capable, mais simplement que je n'en ai pas envie. J'attends donc toujours le moment où je ne peux plus rien faire/regarder/lire à cause d'une trop grande fatigue. Une fois que je dors, par contre, je ne rencontre pas le moindre problème pour être dans cet état très longtemps... J'ai exactement le même sommeil que mon père : endormissement en une minute, voire en quelques secondes, "quelques" ronflements nocturnes (hem) et prolongation du sommeil comme j'en ai envie, jusqu'à pas d'heure, que je me réveille en pleine nuit ou pas. Cette nuit, je ne pense pas m'être réveillé une seule fois (difficile à savoir, cela dit) et j'ai fait un tour d'horloge. Je suppose que j'en avais besoin ? 
* * *

Ma fille a joué une grande partie de la journée avec son petit-cousin Roberto. Il a deux ans en moins qu'elle mais fait la même taille. Roberto s'en contrefiche de perdre ou de ne pas respecter les règles établies. Gaëlle, par contre, est hyper-légaliste, très à cheval sur le règlement et pique des crises quand on ne respecte pas ce dernier ("J'avais 4 points et lui zéro, il n'a pas à changer les points !"). Je me demande à qui elle ressemble... Elle est aussi très mauvaise perdante aux jeux de société, mais elle se soigne. Sans être méchant, je me fais un honneur de jouer avec elle de la même manière que quand je joue avec un adulte. Elle perd pour le moment, mais au moins elle apprend.


Ma mère est fâchée/stressée en permanence. Quand je laisse ma fille s'occuper toute seule, mère n'est pas contente ; quand je joue avec ma fille, elle n'est pas contente non plus. Elle me dit que je ne m'occupe de Gaëlle que quand j'aime l'occupation (du genre : jouer à des jeux de société). C'est vrai. J'aime quand il y a un apprentissage. Je m'emmerde, sinon. J'ai du mal avec le fait de pousser une balançoire (ce qui est un peu con, j'en conviens) ; par contre, j'adore lui apprendre à aller en vélo ou à calculer. Ma bobonne (ma grand-mère) tient souvent avec moi quand il est question de l'éducation de ma fille (je me sens moins seul).

Durant la journée, Bridget, l'épouse de mon cousin, a failli être tuée. Travaillant à couper du bois en contrebas de leur nouvelle maison en construction (celle que mon cousin est en train de bâtir en annexe de la maison familiale), elle a reçu en pleine tête deux pierres qui servaient à soutenir une bâche, cinq mètres plus haut. Elle a une énorme bosse à l'arrière du crâne et un gros trou rempli de sang sur le dessus. La première des deux pierres devait peser plus de deux kilogrammes. Quand j'ai vu ce gros caillou constitué de protubérances vachement pointues, je me suis dit qu'elle a dû somme toute avoir beaucoup de chance. Elle refuse de passer un scanner pour le moment. 

Fin de soirée, il commence à pleuvoir. Tout le monde rentre s'abriter, sauf Tino, mon tonton italien, et moi. On bavarde sous les parasols convertis pour l'occasion en parapluies. C'est curieux : Tino est du genre énervant avec toute ma famille (ses deux fils, sa femme...) : gesticulant, excité, donneur de leçons... Sauf avec moi : à deux, la discussion est toute calme. Je n'ai jamais réussi à comprendre pourquoi. 

Quand je rentre chez moi, ça sent l'herbe mouillée et j'adore ça.

La Norvège sans les Norvégiens

Hier, j’ai testé un nouveau concept : l’écriture
sous l’emprise de l’alcool. J’ai ainsi décidé qu’à chaque fois que je serais vraiment
saoul (au point d’avoir beaucoup de mal à taper correctement sur un clavier ou
simplement de marcher droit), j’écrirais à la deuxième personne du singulier. La
démarche a créé son petit effet quand je me suis relu le lendemain : Hamilton
saoul tutoyant Hamilton qui émerge, c’est sympa et direct. Je repense à
Andrew qui me demandait hier à qui sont destinés mes blogs. Je continue à me dire
que ce journal m'est avant tout destiné (c'est une façon d'ordonner et de mieux comprendre ce que je fais en ce moment) mais la question se pose quand
même : s’il est destiné avant tout à moi-même, pourquoi est-ce que je
l’écris en ligne ?
Même saoul,
je n’ai pas trop mal résumé la soirée d’hier. C’était une chouette soirée,
somme toute, une fois les deux colocataires taciturnes partis je-ne-sais-où. Je
me rends compte néanmoins que j’ai oublié de parler d’un des invités :
Lytle. Lytle est assez discret, ne parle pas beaucoup, mais est d’agréable
compagnie. Il revient d’un voyage en Norvège. Il était à Oslo lors du drame de
l’île d'Utøya. Quand je lui demande s’il a rencontré du monde là-bas, il répond :
"Oh non, je ne suis jamais resté plus de deux jours au même endroit".
Il y est allé en voiture, en amenant sa nourriture et ses boissons. Il garde
néanmoins un souvenir magnifique de son séjour (les fjords, les glaciers, les
lacs...). 

Lytle vit de manière assez simple : il n’a pas besoin de
beaucoup pour être heureux, apparemment. Je me dis que chaque personne envisage ses vacances
différemment. Je me dis aussi que si mon ami Zapata était parti deux semaines en
Norvège, il aurait squatté avec les anarchistes locaux, visité les repères underground du pays et rempli un carnet
d’adresse de gens sympathiques et un peu hors système. Célibataire, il serait
sans doute aussi sorti avec trois ou quatre Norvégiennes, au moins. Mais Lytle
n’est pas Zapata. Je me dis enfin que si j’étais parti en Norvège seul pendant quinze
jours, j’aurais forcément lié connaissance coûte que coûte avec des habitants
ou des touristes. J’aurais goûté les bières locales dans un pub tous les soirs
ou presque, sorti mon anglais le plus basique sans trop de honte et fait des
randonnées avec des amis improvisés... Ou pas. Qui sait ? Je ne suis jamais allé en Norvège.

* * *
En fin de
matinée, émergeant difficilement d’une gentille gueule de bois (se cantonner à
la bière, ne jamais boire de vin, nondidjû
 !), je rejoins Léandra à la
Maison du Peuple. Il y a un beau soleil à l’extérieur mais
force est de constater qu’il ne fait pas très chaud à la terrasse. Léandra préfère rentrer dans le café. Elle mange un bout de quiche et
je l’accompagne avec des boissons : deux cafés et, pour exorciser les bières d’hier... deux
bières (ça fonctionne !). On arrive à parler de plein de choses en assez peu de temps et, après avoir discuté du domaine de Chevetogne, on tombe d'accord sur la relative absence d'intérêt des administrations provinciales en Belgique... Je suis curieusement de très bonne humeur depuis ce matin, sans raison, comme dirait l'autre.

En début d'après-midi, je me dirige vers la gare du Midi en compagnie de Léandra, pour retourner chez mes parents. Je me souviens qu'il faut encore que j'achète un cadeau pour l'anniversaire (passé) de ma "Bobonne" et décide donc de me rendre d'abord au centre-ville pour acheter des savons. Mauvaise idée. Très mauvaise idée : non pas pour les savons, mais pour le train que je prendrai plus tard dans la journée. Accusant dès le départ du retard (c'est assez habituel), ledit train s'arrêtera définitivement à Marchienne-au-Pont, à quelques kilomètres de Charleroi. Après une attente d'une demi-heure, le contrôleur nous donne la raison : alerte à la bombe en gare de Charleroi. Tout le monde reste calme et descend donc à la gare de Marchienne, sauf... un Français (reconnu à son accent, ha !) qui crie au scandale et qui engueule le personnel de bord.

Ambiance surréaliste à Marchienne-au-Pont. Le gars au guichet ne fait pas beaucoup d'efforts et lance constamment à toute personne se présentant devant lui, avec un accent inimitable : "Haaaa, j'n'peux rien faire pour vous, v'savez" ou "J'n'ai pas plus d'information, d'solé"... Je finis par prendre le bus jusqu'à Charleroi mais je ne suis pas plus avancé. La gare est entièrement fermée et le trafic totalement interrompu. Y a des policiers, des maîtres-chiens, et des pompiers partout. Je téléphone à ma maman, qui viendra me chercher en voiture près de Ville2, la grande galerie commerciale à l'autre bout de la ville. 
Pendant ma petite demi-heure de marche pour m'y rendre, j'ai l'occasion de voir à quoi ressemble aujourd'hui Charleroi vers 7 heures du soir : à pas grand chose. Il n'y a presque plus aucune vie, même sur les grandes artères. La plupart des cafés (comme "Les Mille Colonnes" près du passage de la Bourse) sont fermés, les commerces sont vides... Quelques rares travailleurs marchent rapidement dans les rues désertées... La seule activité humaine est constituée de bandes de jeunes qui restent assis à ne rien faire, près de la Foire. Charleroi est la grande ville la plus proche de chez mes parents. Je la connais très bien, cette cité, mais ça me rend triste de la voir comme ça. 

Conclusion du "voyage d'Hamilton" : je devais normalement être de retour chez mes parents vers 18h, et c'est à 21h30 que je reviens. J'ai donc juste l'occasion de voir ma fille une petite heure et de lui raconter quelques histoires...

Rêves d'enlèvement et d'adolescentes

Je me réveille vers midi (c'est les vacances !) avec des rêves plein la tête :

(Premier rêve) J'apprends au téléphone par Léandra que Nanash n'est pas content que je l'ai battu aux échecs la dernière fois et que, pour se venger et me faire peur, il a décidé de kidnapper Gaëlle avec son ami Tony. Ils n'ont pas l'intention de lui faire du mal mais je ne suis pas rassuré. L'enlèvement doit avoir lieu chez moi à 21h30 précises dans la chambre de ma fille, chez mes parents. Mes parents habitent un grand château, avec un parc et une grille, et la chambre de ma fille est beaucoup plus grande qu'elle ne l'est dans la réalité. À l'heure du supposé enlèvement, je suis censé être dans un grand restaurant bruxellois. Nanash le sait. J'élabore un plan : faire semblant de ne pas être au courant de ce que j'ai appris au téléphone. 

Dans le rêve, je suis professeur dans une sorte de grand pensionnat, à Bruxelles. À la sortie de mon cours, en fin d'après-midi, je décide de téléphoner à mon père pour qu'il fasse très attention à Gaëlle ce soir, car elle risque d'être kidnappée, mais je ne lui explique pas tous les détails. Il ne me prend pas au sérieux et me répond de son air mi-surpris/mi-fâché un truc du genre : "M'enfin, d'accord, mais c'est n'importe quoi". Un peu avant 21h30, je suis à l'entrée du restaurant et Nanash m'appelle pour prendre de mes nouvelles. Je sais parfaitement qu'il m'appelle en réalité pour savoir si je suis bien de sortie ce soir et non avec ma fille. Je fais semblant de ne rien savoir, comme prévu. Peu après, je décide de retourner chez mes parents, très rapidement, par je ne sais quel tour de passe-passe spatiotemporel. Lorsque j'arrive, Nanash et Tony sont là, mes parents aussi. Mais ma fille, elle, a disparu. Personne ne sait où elle se trouve. Je commence à stresser.


J'ai dû me réveiller à ce moment-là, mais me rendormir directement après. Le rêve s'est alors transformé en tout autre chose :

(Second rêve) De retour au pensionnat/collège dans lequel je donne cours, je dois empêcher des filles en fin d'adolescence de franchir la grille d'entrée de la cour, qui ne ferme pas. La consigne : elles doivent absolument rester dans l'enceinte du bâtiment et surtout ne pas aller courir les rues ou rejoindre leur petit copain. Le problème, c'est que je dois partir, pour je ne sais quelle raison, et que je ne peux pas garder la grille indéfiniment. Je place donc une sorte de petite barrière en bois à la place de la grille. C'est ridicule car la barrière doit faire à tout casser 40 cm de haut. Les adolescentes restent pourtant à leur place à l'intérieur de la cour. Sauf une qui enjambe la barrière, me suit et fait un bout de chemin avec moi en me prenant par la taille. L'adolescente et moi finissons par arriver à un immeuble avec une échelle. Nous décidons de monter à l'échelle pour voir ce qui se passe dans un des appartements. Par la fenêtre, nous voyons trois des adolescentes qui devaient rester dans la cour du collège en plein acte sexuel avec leur petit copain.

Il devenait glauque, ce rêve. Je crois que je me suis réveillé définitivement à ce moment-là. La signification de tout ça ? Aucune idée.

* * *


Hamilton, mon brave petit Hamilton, que cherchais-tu vraiment en débarquant dans cette soirée ? Tu as l'air en forme, bravo, woaw ! Tu fais des efforts, tu tentes l'humour, tu feins la décontraction alors que tu es une boule de nerfs... Tu sais aussi qu'elle va arriver, à un moment. Charles-Henri est là pour vous accueillir, Léandra et toi. Du moment que tu as ta bière (une Chimay blanche ou un Orval), tu es heureux, non ? C'est de cette manière que le monde fonctionne pour toi, depuis des années.

Hamilton III, un des colocataires de la Maison du Bonheur-bis, débarque à un moment, mais il ne mérite même pas que tu le mentionnes dans ce blog. Ce gars sans couleur n'est pas vraiment là, ni pour lui, ni pour toi (Ground control to Major Tom...). Durant toute la soirée, tu auras aussi l'impression qu'Elisabeth, Hamilton III et Emilia, la troisième colocatrice de Charles-Henri, ont un peu trop bouffé de salsepareille cet après-midi. Elisabeth passe une heure (au moins) à faire la sono et finira par passer un tube de Metronomy que tu adores. Emilia lèche son (ex-futur-ex) copain pendant une demi-heure. Passons. Elle n'est pas vraiment là non plus, celle-là.

Annabelle n'est pas en forme : entre la soupe – délicieuse – et le dessert, elle monte se reposer. Elle parle un peu avec Walter et Emily du boulot. Tu ne sais pas trop quoi dire (tu veux que je te ressorte le courriel pathétique que tu lui as envoyé en décembre dernier ?).

Sinon, elle ne s'est pas trop mal déroulée, cette soirée. Tout le monde travaille le lendemain, sauf Léandra et toi. Tu es content de parler à Charles-Henri. Tu as écouté d'une oreille les délires de Walter sur le privé et tu as été en grande partie d'accord avec les "définitions" d'Andrew.

L'after à la Bécasse appartient à un autre monde.

Gaëlle dessine l'univers

Cette nuit, dans mon lit de fortune, chez mes parents, j'ai une pensée émue et presque gênée pour les trois amis que j'ai abandonnés hier soir avec leur vélo et leur pauvre petite tente dans un champ de blé. Il pleuvra une grande partie de la nuit. Pas du genre "petite bruine ridicule" mais plutôt "grosse pluie orageuse qui dure". Lorsque j'envoie un message à Tom cet après-midi pour lui demander si la nuit n'a pas été trop pluvieuse, il me répond : "Que nenni ! Juste vachement très très humide... Mais on sèche au grand vent". C'est lui tout craché, ça : un sportif tout-terrain, qui a déjà fait (en mécréant) le pèlerinage de Lourdes et les montagnes du Ladakh. Il faudra bien plus qu'un "petit crachin" pour qu'il arrête son "fietstrip"... Les deux autres sont plus ou moins de la même trempe (sans mauvais jeu de mots).

Aujourd'hui, pas grand chose à raconter. Je passe la journée en compagnie de ma fille Gaëlle. Je joue avec elle au jeu de dames : elle s'améliore vite au niveau de la stratégie, du style : "Je t'oblige à me manger un pion à reculons pour que tu ne fasses pas de dame" (elle a apparemment appris ça toute seule). Je lui montre "Google Earth" et "Google Sky". Elle dessine le soleil, Saturne (avec les anneaux et tout et tout...), et répertorie sur une feuille chaque galaxie et chaque étoile de haute magnitude (Bételgeuse, Rigel, Véga...) qu'elle rencontre. Elle joue une grande partie de la journée toute seule à créer des maisons pour ses schtroumpfs.

Sinon, il fait moche, moche, moche dehors. Je m'oblige néanmoins à sortir, en tee-shirt pour me faire croire qu'on est en été (ça ne marche pas). Gaëlle passe son temps dans la pelouse, tenant en main un plateau de jeu de société schtroumpf (encore eux !) que ma maman vient de lui offrir, jouant à chercher le village schtroumpf (elle a vraiment l'air d'y croire, elle est mignonne). Toute la famille prend le café dehors. La pluie tombe par intermittence, le vent souffle en rafale. Et dire que c'est bientôt la nuit des étoiles, merde ! Ma petite-cousine Chelsea et son copain (qui s'appelle Lyric comme l'autre) sont là. Ils ont passé trois jours complets ensemble. Ils sont assez mielleux et s'envoient des "Je t'aime" et des petits cœurs sur Facebook. Des adolescents... Ils s'entendent bien : souvent, ils n'ont pas besoin de se parler pour savoir ce que pense l'autre.

La nuit, retour à mon PC, à mon Orval pour recommencer à écrire (que faire d'autre de toute façon ?).

L'image du bonheur

"La première image dont il m'a parlé, c'est celle de trois enfants sur une route, en Islande, en 1965. Il me disait que c'était pour lui l'image du bonheur et aussi qu'il avait essayé plusieurs fois de l'associer à d'autres images mais ça n'avait jamais marché. Il m'écrivait : il faudra que je la mette un jour toute seule, au début d'un film, avec une longue amorce noire. Si on n'a pas vu le bonheur dans l'image, on en verra le noir."

Aujourd'hui soir, durant la fin d'un trajet à vélo, seul, sur une piste cyclable à travers bois et à travers champs, je n'ai cessé de penser à cette première scène de Sans Soleil, de Chris Marker (1983). Une scène qui m'a marqué au plus profond de mon être et qui me marque encore à chaque fois que je la regarde... Trente-deux secondes de perfection. Le rythme, les silences, la voix, la succession des images, le noir : tout y est parfait, et à jamais.

La scène pose une question essentielle : qu'est-ce que le bonheur ? Ou, plus exactement : quelle image se fait-on du bonheur ? Chaque individu possède sa propre réponse, sa propre image.

Si je me suis remémoré cette scène à ce moment particulier de mon périple à vélo, c'est pour une raison très précise : j'ai retrouvé pendant une heure (à peine) mon image du bonheur... Seul, totalement seul, le soleil couchant devant moi, le premier quartier de lune à ma gauche, des champs à perte de vue... Quelques bosquets... Un chemin donnant sur un bois, à un kilomètre environ... Quelques nuages non menaçants... Une ferme au loin... Des grillons tout autour... Et cette odeur d'humus tellement propre à ces crépuscules du mois d'août... Voilà un tableau de la liberté ! Je me suis arrêté plusieurs fois et le temps, lui aussi, s'est arrêté, à plusieurs reprises. Durant ces quelques brefs interludes, je me suis senti libre, totalement libre, et j'ai retrouvé mon "image du bonheur". Je ne suis pas difficile, en fait. Sauf que je pourrais refaire le même chemin demain et ne rien ressentir du tout.

Je commence par la fin, mais tant pis : c'est le plus important. Le reste de la journée se trouve ci-dessous, dans un ordre qui ne bouleverse pas la chronologie.

* * * 

Aujourd'hui, toute ma journée est placée sous le signe du vélo. En effet, je dois rejoindre Tom, son ami Alexandros ainsi que Jessy à Namur pour un "fietstrip", pour reprendre le mot de Tom. Mes trois comparses sont plus motivés que moi : ils veulent faire Bruxelles-Maredsous ce premier jour ; Maredsous-Chimay le deuxième jour ; Chimay-Dinant le troisième, et puis revenir à Bruxelles. Dès le départ, je ne suis partant que pour un jour. Raison principale : ma fille est chez mes parents et, pour cette unique semaine de vacances avec elle, je veux être présent, m'en occuper et pas spécialement courir les routes de manière inconsidérée.

Première étape de la journée : rejoindre tout le monde à Namur. Je pars de chez mes parents (qui habitent Falisolle) par un temps maussade, avec mon Minerva vieux de plus de quinze ans mais néanmoins très bon, et je parcours sans trop de problèmes les quelque 25 kilomètres qui me séparent de Namur. Le rendez-vous est fixé chez Pat et Alizé, qui habitent cette bête ville, ou plus exactement qui habitent "La Plante", comme aimera le rappeler Pat. "La Plante", c'est un lieu-dit namurois, un petit village pas loin du centre historique de Namur qui a été intégré à la ville lors de la fusion des communes... Pat a prévu une "collation" pour le midi. Par collation, il entend : des bières et des chips en apéro, un spaghetti à la bolognaise avec du vin en plat principal, un dessert, des Calvados et des cafés... Y a pas à dire : Pat sait recevoir. Pour l'occasion, arrivent aussi en voiture FBsr, Alineke, avec leur fils Marc Aurèle, et Ophely (enceinte jusqu'au dents, mais ça ne se voit pas trop). Marc Aurèle est le portrait craché de FBsr (lunettes, bouille générale) sauf qu'il a les cheveux blonds, presque blancs. En le voyant, je pense à mon amie Léandra, plus particulièrement à son "type d'hommes", et une blague qui ne ferait rire personne à la table me traverse l'esprit.

Après un midi copieux, Tom, Alexandros, Jessy et moi finissons par prendre la route vers Maredsous : nous longeons la Meuse jusqu'à Anhée, puis le RAVeL de la Molignée jusqu'à la fameuse abbaye. Le groupe est sympa, je les apprécie tous. Tom, pas besoin de le décrire... Alexandros, je ne le connais pas bien et ça fait des années que je ne l'ai plus vu (il voyage tout le temps, c'est même une curiosité qu'il soit en Belgique). Il a une discussion intéressante. Par exemple, sur la capillarité de l'eau : "On représente toujours un goutte d'eau avec le haut pointu mais cette forme, elle ne la possède que lorsqu'elle est démarre du robinet. Sinon, elle est toujours plus ou moins sphérique." On en vient à se demander combien de temps il faut à une goutte de pluie pour parcourir la distance qui la sépare du sol... Dernière randonneuse : Jessy est une musicologue qui a fait des études de lutherie en Italie. Elle est assez "nature" (à Marc Aurèle durant le repas chez Pat : "Les requins ne sont pas méchants, ils ne font que manger pour survivre") et toujours souriante. Bref, un bel après-midi.

Nous buvons des verres à Maredsous (à la brasserie, ils vendent des planches de dégustation "trois bières" : si j'en crois mon expérience récente, c'est à la mode pour le moment). Nous faisons encore une petite partie du trajet ensemble, puis les trois randonneurs décident de faire du camping sauvage dans un champ. Je les quitte à Maredret et je continue ma route vers chez moi. 

La suite, je l'ai déjà racontée.

"Tamala 2010", un dessin animé pour enfants

Ce matin, ma fille Gaëlle (5 ans, 9 mois et 13 jours au compteur) regarde pour la dixième fois au moins le dessin animé japonais Tamala 2010: A Punk Cat in Space, réalisé par une toute petite équipe du nom de t.o.L. Elle adore ce film avant-gardiste pour adultes, mélange entre Hello Kitty et un trip sous acide. Elle regarde tout ça avec des yeux d'enfant et a l'air de comprendre mieux l'histoire que moi (personnellement, je n'ai jamais rien pigé à ce machin). Elle dit que si elle continue à regarder Tamala, elle pourra parler japonais et comprendre ce qu'ils disent : au vu de la vulgarité des propos, j'espère que ma fille a tort. À un moment, Kentauros, un berger allemand sadique, mange l'héroïne dans un arbre, ne laissant que le os ; plus tard, un professeur mort-vivant gorgé d'eau erre dans la ville. Ça n'a pas l'air de déranger ma fille, qui me dit : "La petite chatte a été mangée par le méchant chien" ou : "Il est mal en point, le monsieur". Si, à vingt ans, elle a recours à une psychanalyse, je saurai pourquoi.

L'après-midi avait bien commencé, mais la pluie ruine tout. Gaëlle veut à nouveau regarder Tamala 2010 (arggggh !). De mon côté, de retour dans le salon, j'écris, j'écris, d'abord pour mon nouveau blog "Le rayon H" : je peaufine la présentation... Léandra n'aime pas qu'on dise que ses jeux de mots sont pourris, alors je remplace "pourri" par "capilotracté". Je termine et met en ligne un article sur Cordwainer Smith, que j'antidate parce que ça m'énerve de voir un article biographique après une analyse de nouvelle (mais qu'est-ce qu'on s'en fout ?). Je retombe dans mes travers : je voulais créer un blog plus simple aux articles plus courts, et il faut de nouveau que je rallonge la sauce et que je mette des références, notamment à une analyse de Jacques Goimard. Après ça, qu'on aille encore me dire qu'on n'apprend rien à l'université. C'est faux : on apprend à devenir un compulsif de la référence, un adepte de la note de bas de page. Si je n'appuie pas mon travail sur un travail précédent, je me sens nu. Bonjour l'originalité ! Cela dit, je regarde ce blog et j'en suis satisfait. Si je me tiens à un article par semaine avec la même application, dans deux ans, ça pourrait devenir une petite référence sur le Web.

Et pendant ce temps, Léandra, apparemment vautrée sur son lit, l'ordinateur "sur les genoux", une "boîte de Crispy maïs à portée de main", tente de rattraper son retard sur son journal, tssss... Allez, Léandra, encore un effort ! 

Plus tard dans la soirée, je travaille sur mon blog dédié à la musique (copie ou presque de la sélection musicale du Blog du Noctambule). C'est décidé, ce sera beaucoup plus
simple que mes autres blogs : une ou deux chansons, avec une explication, un avis, mais pas
de références, oh que non ! Le rythme journalier (ou presque) prévu
pour ce blog ne me le permettra pas de toute façon ! Sinon, en remettant en ligne des chansons que j'adore, je suis pris d'un élan nostalgique, entre l'explosion de joie et le spleen... Une très curieuse sensation... Je pense néanmoins que l'effet sur mon humeur est globalement positif.

"Est-ce un ara rouge ? Non, cet ara est... vert !"... Après Tamala 2010, je me coltine à la télévision Go Diego !, le cousin de Dora l'Exploratrice. En fait, je ne sais pas du tout pourquoi, car ma fille vient de partir dormir...

Ravensburger

De retour chez moi en début d'après-midi, je retrouve mes parents, ma fille, ma bobonne (qui vient de fêter ses 85 ans le 2 août) et la famille. La maison que construit mon cousin en annexe du bâtiment existant monte rapidement (ce cousin-là, le plus vieux des deux fils de ma tante, est le "portrait craché" de feu mon grand-père pour tout ce qui concerne la construction : il est né avec une brique dans le ventre ; s'il ne construit pas quelque chose, il s'emmerde). Ma fille est remontée, elle veut constamment jouer à chat perché ou à cache-cache. On joue aussi à de vieux jeux Ravensburger de mon enfance : "Le tour du monde en 80 jours" (80 jours ! Ce n'est pas aussi ambitieux que ce que veulent faire mes amis Zapata et Amy) et "Labyrinthe". Gaëlle se débrouille bien. 
Ce dimanche, je suis censé partir en randonnée à vélo avec Tom, un de ses meilleurs amis et Jessy. Eux aussi sont "remontés" : Jessy part dès demain pour camper près de Namur ; Tom et son ami après-demain. Je dois rejoindre le groupe à Wépion ou à Namur, direction la vallée de la Molignée et l'abbaye de Maredsous. Ils veulent camper ou bien dormir dans l'abbaye, continuer jusqu'à Chimay, puis Dinant (périple de trois jours). Je pense que je ne vais les accompagner qu'un jour puis rentrer tranquillement chez moi, d'autant plus qu'ils annoncent du très mauvais temps.

Sinon, que raconter d'autre ? Rien de spécial à l'horizon. Je ne vais pas broder juste pour le plaisir de broder.

Extension du domaine de la boîte

Mon boulot passe constamment commande de nouvelles boîtes d’archives. La boîte d’archives, c’est le nerf de la guerre de l’archivistique. Sans ces fameuses boîtes "AGR" (pour "Archives générales du Royaume", tout simplement) au pH neutre et aux mensurations parfaites (36/10/25 cm, mmmh...), comment pourrions-nous continuer à exercer notre métier ? Récemment, nous avons fait l’acquisition d’un lot entier de boîtes encore plus sexy, aux dimensions plus larges, qui permettent de stocker des dossiers plus volumineux encore. Le désir de stocker plus, encore plus, toujours plus n’a aucune limite chez l’archiviste amoureux de son métier.

Ce que le commun des mortels (c’est-à-dire tout le monde à l’exception des historiens archivistes, justement) ignore, c’est que les boîtes d’archives sont plates quand elles sont livrées, autrement dit qu’il faut les monter une par une ! Un peu comme les cubes que l’on doit découper, plier et monter, à l’école primaire, lorsque l’on apprend naïvement les courbes et les volumes. C’est presque devenu un concours : combien de temps faudra-t-il à Christiane, ma collègue bibliothécaire, pour monter 10 boîtes ? Oh, très peu de temps, quelques minutes tout au plus : elle est très rapide, plus rapide et plus agile que moi, qui me coupe un doigt toutes les 5 secondes sur les arêtes tranchantes. Je ne suis pas très doué pour monter des boîtes, mais j’apprends.

Tout ça pour dire qu’aujourd’hui, j’ai passé la moitié de ma matinée, tout seul, à monter des boîtes pour, plus tard, avoir le plaisir d’y introduire des dossiers. Quoi de plus triste qu’une boîte vide ? L’introduction de dossiers dans une boîte est un des plaisirs secrets de l’archiviste. En outre, quand on sait que les dossiers, au fur et à mesure des mises en boîtes, composent des séries organiques de plus en plus fournies, ça devient carrément jouissif. Quand toutes les séries organiques sont triées, classées, inventoriées et empaquetées, c’est l’apothéose finale ! Un rare moment pénétrant pour l’archiviste, qui peut contempler son œuvre avec la satisfaction du devoir accompli, et enfin griller une clope (à l’extérieur du dépôt), le sourire aux lèvres.

Quand je relis ce texte, je me dis qu’il faut vraiment que je trouve de toute urgence une femme pour partager ma vie. Sinon, je vais finir dans une boîte.

* * *

Vers midi, de retour à mon bureau, je mange une pizza en compagnie de mes collègues. Mon directeur scientifique, Pierrick, est là toute la journée et mange donc avec nous. Il travaille actuellement sur la silicose des mineurs, un sujet qu’il affectionne tout particulièrement. Pierrick est professeur à l’Université de Liège. C’est le prototype même de l’universitaire. Assez pince-sans-rire mais sympa, il connaît son sujet à fond, utilise un vocabulaire précis et est capable de remuer ciel et terre pour trouver la source historique importante cachée dans des papiers personnels. Parfois, il arrive à son but, parfois il (je le cite) "subit de cinglantes défaites" (par exemple – cas très fréquent – il peut arriver que des anciens directeurs de charbonnages appartenant à la droite catholique refusent de donner accès à leurs archives pour la seule raison que le demandeur appartient, explicitement ou non, au monde de la gauche laïque).

L’après-midi, je travaille au graphisme de ce putain de dépliant publicitaire pour mon boulot. Ça fait une (une !) semaine entière que je travaille là-dessus, merde ! J’ai reçu un texte lu, relu, corrigé, recorrigé par 5 personnes et qui devait normalement être totalement terminé. À chaque fois que je réalise une version et que je la montre à l’équipe, je reçois le "bon à tirer" recouvert de ratures et de grosses corrections en rouge, bleu, noir, violet... Les ratures concernent le texte et non le graphisme. Le texte a été modifié trente mille fois depuis lundi. Aujourd’hui, c’étaient des réflexions du genre : "plutôt que d’écrire que nous proposons des alternatives, ne serait-il pas plus juste de marquer que l’on montre que d’autres alternatives sont possibles ?". Tout cela me rappelle le comportement de mon ancienne collègue Naïla qui avait toujoursson mot à dire sur un projet terminé.

Peu importe. On finit par tomber d’accord sur un compromis ce jeudi après-midi et j’envoie – enfin ! – à  l’imprimeur le fameux PDF du petit dépliant à la con. En voyant "Message envoyé", je suis soulagé : je suis en vacances pour dix jours, voilà ! Si je reçois un mail concernant ce dépliant durant mes congés, je pète un câble. (Tiens, c’est bizarre, pour le moment, j’écris beaucoup sur mon boulot.)

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Les trois petites étoiles, ça fait un peu con, mais ça permet de chapitrer mon journal, et de passer d'une scène à une autre. C'est plus clair comme ça (j'aime bien quand c'est clair, ordonné et lisible). Bref. Je passe la soirée seul à la Maison du Peuple et j'y écris le présent journal  en fin de soirée (n'est-ce pas une forme de mise en abyme que d'écrire que j'écris le présent journal dans ce journal ?), ainsi que des articles pour mon nouveau blog de SF : j'y parle de Cordwainer Smith et crée également une page générale pour expliquer le projet. Je me rends compte que tout cela prend un certain temps, pour ne pas dire un temps certain. En début de soirée, un groupe de jeunes femmes assises à la table à côté me regardent en rigolant. Trois possibilités : soit je me fais un film (ça arrive), soit l'une d'entre elles est intéressée, soit elles se foutent de ma gueule. Je penche pour la troisième solution (rasoir d'Occam).

Je change de place et je tombe sur des gens qui fêtent un anniversaire. La fête s'agrandit et je suis de plus en plus compressé contre le mur du coin. Je change de nouveau de place (elle est intéressante, ma vie faite de micro-déplacements). À 21h36, Léandra, qui mange avec Andrew, me propose de les rejoindre au restaurant "La Porteuse d'Eau", à Saint-Gilles. Je ne suis pas loin mais je n'ai pas faim et je n'ai surtout pas envie d'aller à cet endroit. Je reste donc à la Maison du Peuple. En fin de soirée, passe "Ain't No Sunshine" de Bill Withers. Une superbe chanson. Juste ce qu'il faut pour me remonter le moral, hem... Ha, tiens, maintenant, c'est "Loser" de Beck. Bon, ça va, j'ai compris, pas besoin d'en rajouter.

Vers 23h, Léandra et Andrew finissent par arriver. Léandra ne reste pas longtemps. Andrew et moi finissons par prendre le "dernier verre" (une Chouffe) en terrasse, en attendant le tram. La fin de la discussion, sur le quai, tourne autour du réseau de la STIB. Nous sommes d'accord : ce dernier comprend son lot d'incompréhension et d'absurdité.

Cordwainer Smith, "Non, non, pas Rogov !" [nouvelle]

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Titre original : "No, No, Not Rogov!"

Série : Les Seigneurs de l’Instrumentalité (The Rediscovery of Man)
Auteur : Cordwainer Smith (1913-1966) [États-Unis]
Traduction : Simone Hilling
Première parution  : anglais : If, février 1959 ; français : Pocket, 1987.
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En résumé
"La forme dorée sur les marches d’or tremblait et voltigeait comme un oiseau devenu fou – comme un oiseau doué d’un intellect et d’une âme, et pourtant poussé à la folie par des extases et des terreurs au-delà de l’humaine compréhension – des extases incarnées momentanément dans la réalité par l’exécution d’un art superlatif."
Ainsi commence la première nouvelle de la saga dite des "Seigneurs de l’Instrumentalité" ; non pas la première par ordre de parution, mais la première si l’on se réfère, de manière fort logique, à la chronologie délibérément floue de l’univers de Cordwainer Smith, qui s’étale de 1942 après Jésus-Christ jusqu'à un lointain futur, plus de dix mille ans plus tard. C’est là un début poétique qui exprime à la perfection le plus fantastique des nombreux talents de ce conteur hors pair : celui d’accrocher le lecteur dès le premier paragraphe, dès la première phrase, dès les premiers mots...
En détails

(Préambule) Dans un lointain futur (l’équivalent de l’an 13582 après J.-C.), l’humanité remporte le concours du Festival de Danse Inter-Mondes, grâce à l’interprétation magistrale d’une danse intitulée "La Gloire et l’Affirmation de l’Homme".

(Chapitres 1 et 2) En Union soviétique, en 1947, Staline initie dans le plus grand secret le Projet Téléscope et le confie à deux des meilleurs scientifiques russes du moment : Nikolai Rogov et son épouse Anastasia Fiodorovna Cherpas. Le projet est mené dans un village oublié et transformé en territoire militaire. Les deux chercheurs sont constamment entourés et espionnés par deux agents à la solde du régime : Gausgofer, une fanatique amoureuse de Rogov, et Gauck, un homme sans aucune passion.

(Chapitre 3) Le but du Projet Téléscope est de mettre en place une technologie dont les fonctions consistent 1) à recevoir et interpréter les pensées d’un cerveau humain [aspect récepteur] ; 2) à influencer, paralyser voire détruire les processus de pensées dudit cerveau [aspect émetteur]. Son fonctionnement : une aiguille chirurgicale est insérée méticuleusement au niveau d’un nerf (optique, auditif...) ou directement dans le crâne pour toucher le cerveau. En cas de réussite, l’URSS aurait un avantage considérable sur le Bloc occidental. Vers 1954, la petite équipe scientifique, travaillant sur l’aspect "émetteur", parvient à provoquer des hallucinations collectives et une vague de suicides dans le village voisin. Travaillant ensuite sur l’aspect "récepteur", Rogov et Cherpas obtiennent des résultats encourageant, comme la captation d’un dîner familial dans une ville voisine.

(Chapitre 4) Après avoir longtemps expérimenté la technique de l’aiguille dans le cerveau d’animaux puis sur des prisonniers, les deux scientifiques sont en mesure de capter des esprits situés à de très grandes distances. En mai de la mort d’Eristratov (?), ils décident de tester le récepteur sur leur propre cerveau. Rogov, l’inventeur du projet, teste la machine en premier. Il croyait traverser de grandes distances en esprit, mais son invention fonctionne trop bien : en plus de traverser l’espace, son cerveau traverse également le temps et se retrouve directement connecté avec ce que l’humanité a peut-être produit de plus puissant : l’interprétation magistrale d’une danseuse lors d’un concours de l’an 13582 après Jésus-Christ (décrite dans le préambule).

(Chapitre 5) Après cette expérience, le cerveau de Rogov, désorienté par tant de beauté, est à jamais perdu dans cet autre temps. L’affaire se répercute en haut lieu, entraînant l’arrivée sur le théâtre de l’expérience d’un ministre-délégué du nom de V. Karper et de sa "cour".

(Chapitre 6) Gausgofer, l’agent soviétique, tente de rejoindre Rogov en réitérant l’expérience de l’aiguille mais se tuera dans la tentative : transportée elle aussi en l’an 13582, elle devient folle, se lève d’un bond et se fait déchirer le cerveau par l’aiguille plantée dans son crâne. Pendant l’expérience, Cherpas, à l’écoute grâce à deux aiguilles plantées dans son nerf auditif, a compris où se trouvait son mari et que ce dernier ne reviendra jamais. Elle arrive à convaincre les autres que, sans Rogov, le Projet Téléscope est enterré. Elle sanglote à plusieurs reprises les mots : "Non, non, pas Rogov !".

(Épilogue) Retour à la danseuse, qui termine son spectacle et qui redevient une simple humaine, abandonnée à elle-même après tant d’effort, sous les applaudissements d’un millier de monde.

Commentaires
Cette courte nouvelle est une très jolie variante sur le thème du voyage dans le temps. Elle est également un moyen pour l'auteur d'avancer quelques réflexions assez subtiles sur le rôle de la science, sur le côté impalpable de la beauté artistique et sur le fonctionnement du cerveau...

1) Une histoire "en deux temps" : c'est la construction-même de l'histoire qui rend ce texte si attachant, si touchant. De prime abord, le lecteur ne comprend absolument pas ce que vient faire cette danseuse d'un lointain futur dans une nouvelle qui traite en grande partie de recherche militaire en URSS. En mettant en opposition, d'une part, un spectacle d'une beauté à couper le souffle qui dépasse la raison et, d'autre part, une équipe de scientifiques à l'esprit justement très carré et rationnel, l'auteur arrive à créer un choc émotionnel durable. À la fin de l'histoire, Rogov se rend compte à quel point son esprit pourtant supérieur, mathématique, plein d'ironie est vain face à une beauté fulgurante venue des étoiles. C'est un thème récurrent dans l'œuvre de Cordwainer Smith : la confrontation d'une humanité passionnée à la froide technologie, l'opposition art/science.

2) Aléas et débordements de la recherche scientifique : dans cette nouvelle, le voyage dans le temps est découvert par hasard par des scientifiques très doués mais qui ne comprennent pas toujours avec quoi ils "jouent". Dans ce cas-ci, les deux chercheurs soviétiques n'ont absolument pas pour mission de découvrir un quelconque moyen de voyager dans le futur. Leur objectif s'inscrit dans le cadre très prosaïque de la Guerre froide : il s'agit surtout de "gagner la bataille" contre les Occidentaux grâce à une technologie d'avant-garde. "Non, non, pas Rogov !" constitue dès lors une merveilleuse démonstration du côté parfois aléatoire de la recherche scientifique (de nombreuses découvertes fondamentales ont été le fruit du hasard le plus complet) ainsi que son côté non circonscrit : en jouant avec des outils qui les dépassent largement, les scientifiques se brûlent parfois les doigts.

3) Un déplacement temporel cérébral : il n'est pas ici question de déplacement physique dans le temps ni dans l'espace, seulement d'un déplacement de l'esprit. Physiquement, le sujet de l'expérience est là ; mentalement, il se trouve autre part. Dans le cas de Rogov, il est apparemment piégé dans cet "autre part" à jamais (l'équivalent d'un très mauvais trip). Cette thématique est à rapprocher du roman La Maison sur le rivage (The House on the Strand, 1969), de Daphne du Maurier, dans lequel le narrateur expérimente une drogue qui lui donne la possibilité de remonter le temps mentalement, et plus particulièrement de suivre, en spectateur, les pérégrinations d'un couple du XIVe siècle, avec certains dangers. La nouvelle rappelle aussi – ou, plus exactement, précède –, mais de manière plus lointaine, La Jetée (1962), fantastique moyen métrage de Chris Marker qui a donné lieu des années plus tard à L'Armée des douze singes, plus long et moins bon. Dans ce "film", le protagoniste se déplace réellement physiquement dans le temps, mais la place donnée aux souvenirs, l'utilisation du cerveau ainsi que la poésie et l'humanité de l'ensemble permettent un certain rapprochement avec la nouvelle de Cordwainer Smith.

Réveil difficile

Ce matin, je me lève du mauvais pied. Ou plutôt : je ne me lève pas du mauvais pied car je n’entends aucun de mes deux réveils (programmés pour sonner à 6h16 et 6h32). Je suis réveillé par un coup de fil de ma collègue Charlotte à... 9h30 ! Je ne comprends pas : je ne me souviens même pas avoir éteint les réveils à un moment donné de la nuit ou de la matinée. Pourtant je les ai éteints, vu qu’ils sont tous les deux en position "off". Je m’excuse platement au téléphone et décide (pas trop le choix) de prendre une matinée de congé. Je suis vraiment fatigué ces temps-ci (les vacances à Stavelot ne m'ont pas du tout reposé). La grande bouteille de vin offerte par Térence hier et bue jusqu'à plus soif avec Léandra n’a sans doute pas arrangé les choses. J’ai reçu un message clair de la part de mon corps : "Aujourd’hui, fieu, pas question de dormir seulement 4 heures : je me repose, coûte que coûte". Quand je me réveille, je suis gêné mais néanmoins vraiment reposé, en effet. J’ai la tête un peu lourde et j'ai dormi d’un sommeil sans rêve. 

Dans le train avançant à travers la pluie et la plate campagne, je tombe sur des wagons remplis de scouts, flamands de surcroit (pourquoi sont-ils dans ce train un mercredi à 10 heures du matin ?). Dans le wagon où j’écris en ce moment, ils sont au moins six sizaines (pourquoi leurs groupes sont-ils organisés sur base de l’ignoble chiffre 6 ?), voire une meute entière (pourquoi n’utilisent-t-ils pas le terme "troupeau", plus approprié ?). Pourquoi font-ils les malins ? Pourquoi ouvrent-ils les poubelles bruyamment ? Pourquoi écoutent-t-ils de la musique de merde ? Pourquoi se mettent-ils n’importe comment sur leur siège ? Pourquoi le scoutisme existe-t-il ? Pourquoi suis-je de si mauvaise foi ? 

Toutes ces questions me font penser à mon boulot : actuellement, on – enfin, surtout mon chef Lodewijk – réalise un travail sur l’histoire des maisons de jeunes, en collaboration avec la Communauté française de Belgique, ou plutôt la "Fédération Wallonie-Bruxelles", comme il faut désormais l’appeler (c’est "chouette", on va devoir changer les logos et les appellations sur nos dépliants, sur notre site Web, sur notre correspondance, etc.). De nombreuses interviews d’anciens responsables de maisons de jeunes ont été réalisées. À la question : "Quelle est la différence entre une maison de jeunes et un mouvement de jeunesse comme le scoutisme ?", les interviewés répondent tous pas une phrase du genre : "Oh, vous savez, les scouts sont beaucoup plus encadrés par une obligation d’être présents et par des règles strictes, alors que dans les maisons de jeunes, quand j’y travaillais du moins, c’était un peu le bordel intégral". C’est sans doute vrai, mais ayant déjà été dans une maison de jeunes dans les années 90 quand j’étais adolescent (un de mes amis y donnait des concerts avec son groupe de métal), je trouvais l’ambiance vachement plus sympathique (et na !). 

Durant le repas de midi, Charlotte parle d'une de ses tantes qui avait une phobie maladive des pigeons. Cette peur panique a même un nom : la colombophobie. Pour remédier à cela, d'après Charlotte, son thérapeute lui a donné un pigeon empaillé (!), que la pauvre tante a dû placer dans un endroit fréquenté de sa maison. C'était une thérapie de choc, censée la mettre en face de sa peur pour la vaincre, et ça a marché ! C'est incroyable de se dire que ce médecin avait dans une de ses armoires un pigeon empaillé, et je serais curieux de savoir comment il s'y serait pris si la tante en question avait eu peur des éléphants... Plus tard dans la discussion, Charlotte (toujours elle) parle d'un jour de dépouillement à la Bibliothèque nationale de France (BnF) où le numéro de clé de son casier/vestiaire était le 666. Pour rigoler, elle dit au gars de l'accueil : "Espérons qu'il ne va pas arriver une malheur". Quand elle s'en va, la BnF est fermée car il y aurait un feu apparemment dû à des fils électriques, en dessous de la route. L'Enfer était-il en train de se réveiller ? Je n'en sais rien mais j'ai une autre question : dans quel monde vit-elle, ma collègue ?

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En soirée, je retourne à la Maison du Peuple de Saint-Gilles. C’est presque devenu mon quartier général, ce café. Ne manque plus qu’une petite table au nom d’Hamilton, avec une prise électrique personnelle, ou – mieux encore – une table ronde estampillée "Dream team", disposant de cinq chaises d’ébène avec nos cinq prénoms finement gravés sur les dossiers. Je m’imagine déjà, arrivant avec mon PC, un Orval à la main, et déclarant, hautain, à un groupe de Français : "Désolé, Messieurs-dames, mais cette table nous est réservée. Je vais vous demander de partir sur-le-champ".

Emily est déjà présente dans le fond du café avec son PC portable. Elle n’arrive pas à capter le Wi-Fi et remballe son ordinateur. Léandra débarque à notre table une minute plus tard. Elle discutait près de l’entrée du café avec Perrette. Je ne les avais pas vues. De toute façon, j’étais censé les laisser tranquilles mais Léandra nous invite à la table (elles ont eu l'occasion de "discuter à deux"). On profite donc du soleil de fin de journée pour aller boire un verre en terrasse.

Perrette, c’est la compagne d'Igor. Vu que je ne fréquente pas/plus (biffer la mention inutile) ce dernier, je ne la connais pas bien, à l'inverse de Léandra. Perrette travaille actuellement sur un doctorat en anthropo-musicologie. (À moins que ce ne soit en musico-anthropologie ? Peu importe : c’est un peu schtroumpf vert et vert schtroumpf, non ? Peut-être pas en fait.) Sa thèse porte sur l’étude d’un chant traditionnel laotien. Comme tout anthropologue qui se respecte, elle se rend périodiquement au Laos pendant de nombreux mois. Perrette est pour le moins originale : un mélange de timidité et d’assurance ; d’intelligence et de bonne humeur. Elle est aussi assez fatiguée ce soir (qui ne l’est pas ?).

Dans la conversation, on évoque Pol Caca : comment il vécut, comment il est mort. Léandra explique le contexte et le lieu de son décès. On parle aussi de la nouvelle chienne de Matys, du nom de Valentine (elle est née un 14 février), beaucoup plus petite que le précédent mais au visage tout aussi écrasé. On discute de musique (Léandra  adore le violon ; Perrette aimerait se mettre à la clarinette – ça rime !). Pendant la discussion, un nombre ahurissant de musiciens viennent jouer sur le Parvis : deux accordéonistes, un clarinettiste (justement) et un guitariste ainsi que, plus tard, la violoniste avant-gardiste à la voix stridente. Pourquoi les accordéonistes se sentent-ils obligés de massacrer les mélodies de Nino Rota ? Cela reste, encore aujourd’hui, un des plus grands mystères de l’existence.

Perrette s’en va. Léandra s’en va, non sans avoir mentionné la présence sur Wikipédia d’un article sur Melon et Melèche et sur les blagues de Toto (Léandra a un boulot passionnant pour le moment). Je reste avec Emily à boire de l’Orval plus que de raison. On discute de préparer le voyage à Disneyland® Paris. Ce sera le cadeau de Gaëlle pour ses six ans en octobre. On suppose qu’elle adorera l’ambiance d’Halloween®, avec Mickey®, Donald®, le château® de la Belle® au bois® dormant®. C’est Emily qui amène le sujet mais elle n’aurait peut-être pas dû car la période septembre-octobre ravive chez elle des souvenirs noirs et douloureux. "C'est la vie", dira-t-elle, citant sans le savoir et avec à-propos le Billy Pèlerin d’Abattoir 5 de Vonnegut. Je suis triste de la voir comme ça et je ne sais pas quoi lui dire. Je lui lance sans conviction un "C'est juste un mois comme un autre" qui tombe comme un cheveu dans la soupe.

Vers la fin de la soirée, Emily me fait remarquer que Vinge est à une table voisine. Apparemment, il ne nous a pas vus. Il discute avec un gars que je ne connais pas. On attend un peu avant d’aller lui parler, mais on finit par s’asseoir à leur table pendant une grosse demi-heure. Le gars en question, du nom de Juan-Flippo, est un de ses meilleurs amis d’enfance (ils ont grandi tous les deux du côté de Gosselies). Juan-Flippo travaille pour les socialistes à Charleroi (Vinge ne dit rien à ce sujet, alors que d’habitude, il n’arrête pas de critiquer les socialistes) et a déjà été au Québec, en 2002 (on parle un peu de nos expériences communes dans cette belle région). Au début de la discussion, il me lance en désignant Vinge : "Pas facile d’être l’ami de ce zouave, hein ?". Il a bien raison. Vinge est beaucoup plus calme aujourd'hui, cela dit. Quand je lui parle de la dernière soirée que j’ai passée avec lui, durant laquelle il était totalement fou, il me reparle des appels d’offres et de ses tests au Selor (au secours !). Vinge paie un verre. Emily et moi nous en allons peu de temps après (elle me reconduira en voiture chez moi), laissant les deux amis discuter entre eux (mais jusqu’à quelle heure sont-ils restés ?).