Ébranler les cieux : c'est le titre d'un livre en vitrine de la Librairie du Dieu vivant, à Namur, que j'aperçois la plupart des vendredis lorsque je vais chercher ma fille à l'école. — C'est un titre dangereux : supprimez le « E » initial et vous aurez de la neige tout au long de l'année (du moins si Dieu existe... et si c'est un homme).
« Sailor's Tale » de King Crimson (Islands, 1971) est un chef-d'œuvre que je n'avais plus écouté depuis des années ! Même si je le connais très bien, j'y découvre encore aujourd'hui des territoires inconnus, des éléments mélodiques ou rythmiques qui m'avaient échappé jusque-là. C'est un morceau compliqué qu'il faut apprivoiser, avec ses ruptures, ses envolées, son instrumentation changeante. Mentions spéciales à la guitare anguleuse qui se met à parler peu après la deuxième minute et surtout — surtout ! — à la batterie de Ian Wallace qui décolle avec le reste du morceau peu après la quatrième. (J'écoute cette perle à pleine puissance au moment où ma fille apparaît à la sortie de la cour de récréation et il me faut quelques secondes pour redescendre).
« Dangerous Curves » (The Power to Believe, 2003) est un air qui commence par une mélodie lente et relativement simple, typique de certains débuts de morceau de King Crimson. Sur cette première mélodie, viennent se greffer une guitare nerveuse, une boîte à rythmes, mais aussi une batterie bien réelle. Plus tard, la mélodie est toujours aussi merveilleuse, mais elle n'est plus du tout simple. Que s'est-il passé ? À quel moment est-ce devenu plus compliqué ? Nulle part exactement : c'est un trésor de construction.
Le train du retour est rempli d'étudiants. À côté de nous, le téléphone portable d'une jeune femme émet un son. « C'est le "Hey !" de Navi dans Ocarina of Time ! », lance Gaëlle. La navetteuse regarde ma fille, étonnée : « Oui, c'est bien ça ! » Par après, nous essayons de retrouver chacune des musiques du jeu, mais nous ne sommes pas les deux seuls à jouer. Non loin, un inconnu sifflote à chaque fois directement le bon air, avant même que Gaëlle n'ait le temps de le trouver. « Hé, tout le monde connaît Zelda dans le train ou quoi ? » C'est un jeune homme assis sur la banquette d'à côté : « Ocarina of Time sur N64, faut dire que vous touchez une sacrée corde sensible, là ! » (La situation rappelle celle du 22 mars 2013.) — Prends garde, humanité, la génération Y est adulte désormais... et elle connaît ses classiques !
Gaëlle adore aligner des éléments de son environnement, mais ne range pas. — Mais à qui donc ressemble-t-elle ?
Ma grand-mère, 88 ans au compteur, voit depuis peu des inconnus qui se tiennent debout à la limite de son champ de vision. « Elle a vu une dame avec une robe à fleurs tout près d'elle, à sa droite, mais quand elle s'est retournée pour la regarder en face, il n'y avait plus personne. Elle n'a pas l'air de s'en tracasser outre mesure. »
Toujours sur ma grand-mère : « Ce qui est horripilant en ce moment, c'est qu'elle ne sait pas prendre une décision. Par exemple, je lui demande si elle préfère acheter une chemise bleue ou une chemise rouge et elle me répond : "Je ne sais pas, ça n'a pas d'importance." » — Ça me rappelle quelqu'un, mais qui ? (D'un autre côté, c'est vrai que ça n'a pas d'importance.)