« Eh bien ! Voyez maintenant combien peu de cas vous faites de moi. Vous voulez jouer de moi ; vous voulez avoir l'air de connaître mes trous ; vous voulez arracher l'âme de mon secret ; vous voulez me faire résonner tout entier, depuis la note la plus basse jusqu'au sommet de la gamme. Et pourtant, ce petit instrument qui est plein de musique, qui a une voix excellente, vous ne pouvez pas le faire parler. Sangdieu ! Croyez-vous qu'il soit plus aisé de jouer de moi que d'une flûte ? Prenez-moi pour l'instrument que vous voudrez, vous pourrez bien me froisser, mais vous ne saurez jamais jouer de moi. » (Hamlet, scène IX.)
Hamlet au Varia. — « Serais-tu un puriste ? », me demandera Inger en fin de soirée, chez Ophely et Tom, devant une bouteille de délicieux Calvados hors d'âge, ouverte depuis à peine une demi-heure. Il y a peut-être un peu de cela : en allant voir Hamlet ce soir, je m'attendais à une très (peut-être même trop) longue pièce portée par le souffle de la tragédie et je me suis retrouvé face à des acteurs qui n'ont cessé de briser le quatrième mur pour plaisanter ou converser avec moi. — J'exagère, évidemment !
Je dois être, quoi que j'en dise à d'autres moments, assez imperméable à l'innovation : j'ai du mal à regarder une pièce de théâtre — à plus forte raison une tragédie de Shakespeare — au cours de laquelle les acteurs s'adressent au public en lançant de petites feintes, comme si de rien n'était, comme pour casser l'effet dramatique... Pourquoi font-ils cela ? Pourquoi sortent-ils de leur bulle, de leur... globe (ha !) ? Pourquoi cassent-ils cette barrière entre eux et nous ? Nous ne devrions même pas exister : nous ne devrions qu'être les spectateurs d'un drame qui se joue malgré nous ! — Autre avis, celui d'un Tom lui aussi à moitié déçu : « Il y a un moment où il faut aller jusqu'au fond des choses... Où l'on doit arrêter de rigoler et continuer sur sa lancée, sans coupure dans la tragédie... Dire : "Voilà ! On est dedans et on n'en sort plus !" » Bien sûr, le moment tragique finira coûte que coûte par arriver : à la fin, et ce n'est une surprise pour personne (la licence a ses limites), tout le monde meurt.
Il est très facile, n'est-ce pas, de critiquer depuis son fauteuil ? Aurais-tu aimé, mon petit Hamilton, te taper les quatre heures de dialogues ? Aurais-tu aimé entendre ces acteurs réciter Hamlet, seconde version, dans son intégralité ? — Je suis partial et je me dois de rétablir l'équilibre : Hamlet/Karim Barras est fantastique lorsqu'il joue la folie : ses veines, sa sueur, ses muscles sont pleinement dédiés à son tiraillement ; le parti pris de se concentrer avant tout sur le drame familial, sur l'incompréhension des proches face à la folie (feinte ou non feinte) du prince, en oubliant de nombreux protagonistes propres au château et à l'intrigue secondaire, tient parfaitement la route ; le décor labyrinthique en arrière-plan où les acteurs errent de temps à autre en attendant de ressurgir sur le devant de la scène est très bien pensé ; le petit groupe de jazz/blues (batterie, saxophone, clavier) donne du dynamisme à la pièce ; quant à la modernité affichée de ce décor qui ressemble beaucoup plus à un appartement branché qu'à une pièce du château d'Elseneur, pourquoi pas ? Hamlet est intemporel.
Après Hamlet. — Tom et moi buvons de l'Orval, Jyl de la Duvel et les autres... je ne m'en rappelle plus. Tom me parle de cette pièce complètement déjantée signée Raoul collectif et intitulée Le signal du promeneur : « Ça commence avec des gars en parka qui débarquent sur scène, dans l'obscurité, avec une lampe sur le front... » La suite : des histoires entrelacées, un procès, un surréalisme à la Monty Python... Ça donne envie.
Jyl se souvient d'une représentation très marquante de Coriolan de Shakespeare durant laquelle le personnage principal, le patricien Caius Martius Coriolanus, était interprété par Jean-Claude Drouot. Ce dernier récitait semble-t-il son texte tellement à la hâte qu'un homme a osé crier depuis le public : « Caius, articule ! » Le drame : Drouot quitte aussitôt la scène, le rideau tombe et un membre du personnel du théâtre arrive finalement pour donner des nouvelles de l'acteur blessé : « Monsieur Drouot ne reviendra sur scène que lorsque la personne qui a proféré ces paroles aura quitté la salle. » Le monsieur obtempère et le spectacle reprend. Ambiance !
« Tiens, j'ai découvert ton blog, me lâche Tom.
— Ha bon ! Je me demandais justement si...
— C'est Carmela qui m'en a parlé.
— Oui, je m'en doutais.
— Je dois t'avouer que je suis allé regarder les articles dans lesquels j'apparaissais...
— Et ça va ? Tu n'es pas fâché par ce que j'ai écrit à ton sujet ?
— Non, pas du tout... Sinon, ça fait combien de temps que tu tiens ce journal ? »
Etc.