Raconter tous les jours que je passe ma soirée à la Maison du Peuple de Saint-Gilles à boire des Orval et des thés (hein ?) avec Emily ET/OU Léandra ET/OU Andrew ET/OU Walter n'est pas toujours des plus intéressants. Pour changer, j'ai décidé aujourd'hui de mettre en avant quelques chansons entendues durant la soirée. Je me dis, en écrivant ce texte, que mon juke-box est dès lors clairement superflu et que je pourrais aussi bien parler de musique de temps en temps dans ce journal (ce que je fais déjà d'ailleurs).
Le juke-box : est-ce encore un blog qui tombe à l'eau, faute de "naturel" ? Je me laisse le temps de la réflexion... N'empêche, autant mon "blog" sur la science-fiction est un projet personnel de longue haleine qui ne demande pas à être nourri tous les jours, autant le juke-box est très contraignant et m'emmerde royalement pour l'instant...
Ce soir, ils ont notamment passé "I Heard It Through the Grapevine", magistralement interprétée par Marvin Gaye... La chanson n'est pas de lui mais de Norman Whitfield et Barrett Strong. C'est dingue : j'ai dû l'écouter des centaines de fois (ma mère est une grande fan de soul et le grand Marvin a baigné toute mon enfance), mais je n'ai jamais fait gaffe aux paroles, parce que je l'écoutais sans comprendre lorsque j'étais petit. Le message est pourtant limpide : l'histoire d'un gars qui vient d'apprendre par la rumeur ("through the grapevine") que sa femme le trompe avec un de ses anciens compagnons. L'homme en est très meurtri : pourquoi ne lui a-t-elle pas dit la chose directement, en face ? Pourquoi a-t-elle louvoyé ?
Dans les liens Youtube, à la fin de la chanson, apparaît une version merveilleuse de "Ain't No Sunshine" de Bill Withers. Elle n'est pas passée aujourd'hui à la Maison du Peuple, mais elle aurait pu tant elle correspond au style un peu "rétro" de l'ambiance musicale de ce soir. C'est une interprétation toute personnelle, mais j'ai souvent considéré "Ain't No Sunshine" comme une suite logique de "I Heard It Through the Grapevine" : "après m'avoir trompé, elle est partie et il n'y a plus de soleil dans mon existence". La version ci-dessous est très "marrante" (si on peut dire) grâce au jeu exagérément smooth et cool du batteur. Ce mec souriant a vraiment l'air d'être ailleurs, dans son trip : il a atteint la plénitude. Tout se passe d'ailleurs dans une ambiance feutrée : les autres musiciens jouent tranquillement dans leur coin, décontractés. Ils jouent leur rôle, ils n'ont rien à prouver, ils n'en rajoutent pas, ils sont juste là pour apporter leur pierre à ce petit chef-d'œuvre de la soul music.
Juste après Marvin Gaye, on entend "Summer Wine", gros succès de Lee Hazlewood et Nancy Sinatra. Andrew constatera la relation ténue qui existe entre cette chanson et "I Heard It Through the Grapevine" : les deux ont un rapport avec le vin ! On se dit que le serveur qui a fait la playlist de ce soir a certainement dû faire la même association d'idées. La chanson parle d'un homme qui se balade en ville, avec ses éperons d'argent (un cow-boy ?), et qui croise une séductrice. La dame lui fait boire plus que de raison un "vin d'été" fait "de fraises, de cerises et du baiser d'un ange" (parabole d'une relation sexuelle ?). Lorsque l'homme se réveille, plus tard, la tête lourde, il se rend compte que la charmeuse est partie en lui volant ses éperons, ainsi qu'un dollar et 10 cents... Et qu'il a de nouveau une folle envie de goûter de ce nectar.
À un moment, on entend aussi "Paint It Black" des Stones. Cette chanson est une vraie tuerie, dont le thème central est la dépression nerveuse. Quand on analyse un tant soit peu les paroles des bonnes chansons, on se rend vite compte qu'elles parlent souvent de désespoir, de tristesse, de perte, de manque, de mort et de mélancolie (oui, rien que ça !). Ce qui donne le plus de frissons à l'écoute, ce n'est pas le Grand Jojo (quoique), ni Carlos, ni "Tata Yoyo", mais bien le drame, la tragédie dans son plus simple apparat.
"Paint It Black" : un type qui ne va pas bien du tout et qui ne voit que du noir, encore du noir, toujours du noir dans sa vie. Plus que de voir du noir, il veut transformer en noir ("paint"/peindre, voire même "taint", c'est-à-dire polluer) tout ce qu'il croise, retirer toutes les couleurs de l'existence. Mais il y a plus encore : en relisant les paroles de cette chanson, je viens de comprendre un truc que je n'avais pas pigé jusqu'à ce jour (je suis parfois très long à la détente). C'était pourtant évident. Dès le deuxième couplet, le narrateur explique qu'il voit passer près de lui des jeunes femmes en tenue estivale et doit détourner la tête avant de replonger dans l'obscurité (autrement dit : avant que la dépression ne le gagne à nouveau). Pourquoi ? Hé bien, parce que la femme qu'il aimait est morte et enterrée ! Les jeunes filles lui font repenser à son amour et à tout ce qu'il a perdu. Juste après, ces paroles : "I see a line of cars and they're all painted black. With flowers and my love both never to come back". Il voit des voitures peintes en noir (des corbillards), avec des fleurs et sa compagne qui ne reviendront jamais plus (car on va les enterrer). D'hymne nihiliste, cette chanson prend une tout autre dimension et ça me donne sévèrement le bourdon... Ce qui ne m'empêchera pas de l'écouter en boucle durant une partie de la nuit...