Mary, de retour à l'appartement, entame une discussion qui ne s'est pas déroulée de cette manière :
« Hamil ? Je peux te dire quelque chose ?
— Hmmm ? Mais oui !
— J'ai vu Fabien hier soir, au Bar du Matin, et il m'a expliqué qu'il était tombé par hasard sur ton blog — déjà, il faudrait qu'on m'explique comment on peut tomber par hasard sur ton blog, mais passons !... "Tiens, Mary, tu t'es abonnée au Monde ?", m'a-t-il dit... En fait, il le savait parce qu'il lisait ton journal !
— Ha, oui, ha-ha ! Amusant...
— Et donc, je suis tout de même allée voir ce que tu y racontais, sur ce blog, même si j'avais pensé de prime abord ne jamais y aller, de peur d'y lire des choses que je n'avais pas envie de lire... Et je voulais te dire — mais je ne suis pas fâchée, hein ! — que tu simplifies quand même énormément ce que je raconte, que c'est tout de même bien plus complexe que ça ! Aux yeux de personnes qui ne me connaissent pas, je passe presque pour une conne... Et cette histoire où je te dis que "tu parles comme Fabien", que "tu es beaucoup trop élitiste"... En fait, j'ai l'impression que c'est toi qui a exprimé cette pensée en tout premier lieu, et non moi ! »
Voilà qui est rectifié !
Ce journal n'a absolument rien à voir avec la vie. En doutiez-vous encore ? Tous les traits y sont exacerbés au point de ne plus rendre compte d'une quelconque réalité. Léandra s'y exclame (« Ha ! Hamil ! J'ai une idée ! ») ou y soupire (« Pfff, rien ne va ! »), mais ce n'est pas la vraie Léandra, ou si peu. Andrew n'y parle que de Mao, de Tsé, de Tung ou d'émissions culturelles, mais ce n'est pas le vrai Andrew, ou si peu. Mary y possède constamment un air confiant et péremptoire, mais ce n'est pas la vraie Mary, ou si peu...
Et quel rapport entre le Lionel bégayant et hésitant de tous les jours et cet Hamilton qui semble avoir réponse à tout, qui fait semblant de comprendre Schopenhauer, Nietzsche et Wittgenstein ? — Hamilton est la version papier, héroïque et imaginaire de ce Lionel somme toute banal. (Une sorte de Superman légèrement plus élaboré, quoique !)
Tout ce que je raconte de faux sur les gens dans ce journal est donc l'aveu de ma propre impuissance : c'est moi-même qui suis incapable de rendre la complexité d'une parole ; c'est moi-même qui, en dernier recours, ne comprends rien et suis à blâmer pour l'étroitesse de ma pensée ; c'est moi-même, encore, qui passe sous un prisme déformant toute la réalité qui arrive jusqu'à mes sens !
Que penser d'un spectacle de marionnettes quand le marionnettiste est un empoté ?