Justification

L'étymologie d'un mot nous en apprend beaucoup plus que sa simple définition. Certains termes viennent de très loin : dans ce « monde des origines », la terre est liée à la soif et la vie à un chemin. — Et la déception ? Assez curieusement (du moins de prime abord), à la duperie et à la tricherie (voir le latin decipio). La déception entretient un rapport direct avec le monde des apparences : par exemple, je suis déçu si une personne n'est pas conforme à l'image que je m'en faisais. Et la justification ? Justifier, cela renvoie à la vérité, à l'honneur, au fait de rendre la justice. — Ce soir, à la Maison du Peuple de Saint-Gilles, Léandra est déçue parce qu'elle a l'impression que son entourage se dérobe. Quant à moi, j'explique que je ne peux m'empêcher de me justifier, sans doute parce que j'entretiens un rapport enfantin avec cette idée de vérité et de droiture. Il faut que je montre que ce que je fais est juste et vrai. (Récemment, Léandra a parlé à Romain de ma tendance récurrente à glorifier mon enfance. « C'est évident que son enfance compte beaucoup pour lui », aurait-il répondu, « cela se voit ne fût-ce que par les  photos de lui enfant qu'il poste régulièrement sur Facebook. »)

Léandra me déclare qu'elle n'a pas été surprise en lisant mon nouveau blog, autrement dit que celui-ci est dans la continuité de l'ancien. C'est tout le problème : je suis prévisible. Pire encore : mon journal est une justification ! Il est beaucoup plus cadenassé que le précédent. Il faut constamment que je justifie non seulement mon comportement, mais aussi tout ce que j'écris. Je ne me libère pas du tout, je m'enferme encore plus ! Je suis encore plus insatisfait de ce que je rédige, je dois me relire encore plus de fois, je dois absolument tout contrôler. Il n'y a strictement plus rien de naturel. Rien de nouveau ne peut sortir de tout cela. Pour que du nouveau soit créé, il faut que je me relâche. « Actuellement, comme tu le sais, j'apprends de nouveaux langages, comme l'arabe ou certaines branches des mathématiques. Est-ce une libération ? Non, pas du tout : c'est un enfermement supplémentaire ! » Tout cela est lié au contrôle : je veux pouvoir tout contrôler par moi-même.

Léandra propose une solution : « Tu devrais essayer autre chose que l'écriture, d'autres moyens d'expression. L'écriture, tu la maîtrises trop. Pas le dessin, parce qu'en dessinant, tu serais encore dans le contrôle. Tu devrais peut-être acheter un dictaphone et t'enregistrer, seul. Dire quelque chose, t'exprimer. Je ne sais pas si ça peut fonctionner, c'est juste une idée. »

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