Revenons à la "violoniste du Parvis", lançant ses sons stridents à l'intérieur du café, sous le regard amusé, moqueur ou interloqué des clients. Déplaçons la dans un autre environnement. Par exemple, disons que c'est la nouvelle violoniste avant-gardiste du moment, qui vient de sortir un album chez le label ultra-indépendant Constellation Records. Rajoutons à cette situation hypothétique quelques critiques dithyrambiques par-ci, par-là, de la part des Inrockuptibles ou d'autres journaux branchouilles. À ce moment, il se trouvera toujours des personnes pour adorer la violoniste... Pourquoi ? Parce que si des critiques disent que c'est bien et que plein d'autres gens qui ont lu les mêmes critiques disent que c'est bien, ben c'est que c'est forcément bien, t'as rien compris à la vie, toâââ !
Ce texte n'a ni queue ni tête. Comment vais-je retomber sur mes pattes ? Aucune idée... Et puis, je m'en fous un peu. La thérapie, tout ça...
L'exemple de la violoniste du Parvis est imaginé (elle existe bel et bien mais n'a pas encore rejoint un label musical), mais des exemples bien réels existent. Prenons Queen : presque tout le monde trouve que c'est fantastique, Queen... Même des gens très bien comme Flippo ou FBsr ! Pourtant, Queen, c'est de la merde en barres. J'aurais presque envie de dire que c'est encore pire que U2. Et pourtant je déteste U2. Mais je m'égare...
Joshua Bell, c'est l'exemple inverse : c'est un virtuose du violon (qui le dit ? Bah, les gens !) mais il n'a pas été reconnu comme tel par le public du métro de Washington. Pourtant, il y a fort à parier que si le même public avait écouté le même concert dans une salle consacrée à la musique, en sachant qu'ils écoutaient un virtuose, beaucoup auraient sans doute été chamboulés. Peut-être certains auraient même fondu en larmes devant tant de beauté blablabla.
Et c'est là que Léandra me dit : "Oui, et alors ? C'est normal !"
Peut-être est-ce normal, mais ça me fiche les jetons. Ça me fiche les jetons de penser que nos comportements, nos goûts, nos pensées, nos perceptions du monde sont forgées par l'idée que se font les autres de ce monde. Si je suis à un repas d'amis composé de 9 personnes et que mes 8 amis soutiennent que Queen est le plus grand artiste de tous les temps, vais-je arriver m'opposer à l'écrasante majorité ?
(Calme-toi, Hamilton, tout doux... Ça va aller, ça va aller...)
C'est la question que s'est posée Solomon Asch dans les années 1950. À cette époque, Freddy Mercury n'était encore qu'un enfant et le monde de la musique était en paix. Mais je m'égare à nouveau...
Normalement, dans le cas ci-dessus, tout le monde devrait donner la réponse "C", c'est votre dernier mot ? Oui c'est mon dernier mot. Cependant, si tous les autres étudiants avant lui donnent une mauvaise réponse, il arrive que le sujet donne aussi la mauvaise réponse, pour rester en conformité avec le reste du groupe. Ainsi, sur 123 participants (uniquement des hommes dans l'expérience initiale), seul environ un quart n'a jamais donné une réponse fausse par conformisme ; les trois autres quarts l'ont fait au moins une fois (dont 5% qui se sont conformés à chaque fois !).
C'est à la fois effrayant et somme toute assez logique. Ça ne veut pas dire que les sujets sont stupides ou ont du caca dans les yeux ; ça montre simplement le poids de la pression sociale. Les mauvaises réponses du sujet peuvent être comprises de différentes manières : par la volonté de faire plaisir, d'être poli, de ne pas créer de dispute, de se faire apprécier des autres, de ne pas se poser en dissident ou même, tout simplement, par l'idée qu'il est plus rationnel, sur un jugement d'ordre purement visuel, de se conformer à un groupe plutôt qu'à sa propre perception (mais c'est une très mauvaise idée de penser une chose pareille, si on me demande mon avis).
Tout n'est pas perdu cependant : si une seule voix dans le groupe (autre que le sujet) donne la bonne réponse alors que tous les autres en donnent une autre, le sujet saute très souvent sur l'occasion pour répondre correctement (seuls 5 à 10% des sujets se conforment alors encore à la mauvaise réponse). C'est une des preuves que l'expression d'une dissidence, même très minoritaire, dans un groupe dont l'opinion est a priori unifiée peut susciter un rapide ralliement. On pourrait aller encore plus loin et se dire que le ralliement à la dissidence n'est somme toute qu'une forme de conformisme déguisé... Nous nous conformons toujours à un référentiel donné, quoi que nous fassions...
Pour terminer, comment ne pas penser au film 12 Angry Men de Sydney Lumet (1957), dans lequel douze jurés doivent décider à l'unanimité de la culpabilité d'un homme accusé de parricide (coupable, il est condamné à mort ; innocent, il est acquitté). Onze jurés le considèrent coupable. Un seul (le 8e juré, Mr Davis, joué magistralement par Henry Fonda dans la version de Lumet) a de sérieux doutes. Après de nombreuses argumentations (et reconstitutions !), les douze jurés finissent par voter l'acquittement.
Voilà, dans toute sa splendeur, le poids de la dissidence, celui qu'un être humain isolé peut avoir sur le monde qui l'entoure..
Mais ceci nous éloigne d'Orson Welles. Ou peut-être pas, tout compte fait.