Les rescapés du 457

Zelfmoord. — Mon train est supprimé dès Bruxelles-Midi. Je prends le suivant, beaucoup moins rapide. Arrivé en gare de Leuven, ce message dans l'interphone : « Dames en heren, door een aanrijding van een person ter hoogte van Ezemaal is het treinverkeer naar Tienen, Landen en Luik-Guillemins onderbroken. Gelieve ons te verontschuldigen. » En clair, un accident de personne (c'est-à-dire, dans le langage courant, certainement un suicide) fout le boxon de bon matin sur la ligne.

Tout le monde ou presque descend donc sur le quai en gare de Leuven. Devant notre train immobilisé et aux portes grand ouvertes, j'échange quelques mots avec une navetteuse régulière, une blonde qui ressemble un peu à Laurence Boccolini (nulle critique dans ce cas-ci, juste un constat) et portant de gros écouteurs en forme de pompons. Vingt minutes passent... Le train avec lequel nous sommes arrivés est toujours immobilisé mais soudain, sans crier gare, les portes de tous les wagons se referment d'un coup. Des centaines de passagers sur le quai se rendent compte, affolés, que leur train vers Tienen, Landen, Waremme, etc. s'apprête à reprendre le rail sans eux, ce qu'il fait d'ailleurs, à leur grand dam. (La communication à la SNCB, une longueur d'avance !)
Le « train-escargot » parti sans la majorité de ses voyageurs, j'aperçois Epiphany sur le quai d'en face. Elle nous fait signe et crie : « Le train direct pour Liège a changé de voie ! » Je fais un rapide appel de la main à deux autres navetteurs réguliers (deux frères ?) afin de leur signaler le changement. — Si ça continue comme ça, dans deux ans, les utilisateurs du train de 7h24 vers Liège formeront une grande famille unie. On jouera aux cartes, on fera des barbecues à l'ombre des ruptures de caténaire et on créera l'association « Les rescapés du train 457 », qui s'occupera de soutenir moralement tous ceux qui souffrent des retards sur cette joyeuse ligne « grande vitesse ».

Urbain. — Et de celui-là, t'en ai-je déjà parlé ? Non, je ne pense pas. Au départ, il ne se destinait pas spécialement à faire carrière dans le syndicat. Licencié en droit, il a longtemps hésité entre plusieurs vies, notamment celle de chercheur à plein temps. Mais il était de gauche et c'était l'époque où l'on recrutait des interlocuteurs pour expliquer les enjeux du syndicalisme aux cadres d'entreprise, d'habitude plutôt portés sur la louange patronale. Et pour leur expliquer ces enjeux, à ces cadres, il fallait, disait-on, des gens qui parlaient le même discours qu'eux : des universitaires. C'est donc à cette époque qu'il fut engagé au profit de la lutte syndicale.

Tous les gens interviewés en disent exactement la même chose, à tel point que que ça en devient presque suspect : « C'était un petit gars à lunettes, frêle, asthmatique et d'une santé fragile. » Ensuite ils ajoutent : « Au départ, il n'était pas aimé de tous, car il semblait ne pas appartenir au même monde... Mais il a rapidement réussi à convaincre des foules entières grâce à la puissance de son analyse et à sa vision d'ensemble du monde politique et institutionnel. » — Devenir charismatique simplement à l'aide d'une certaine fulgurance dans la pensée, voilà qui n'est pas banal !

Trombes d'eau. — Une centaine de mètres seulement séparent l'arrêt de bus de la gare des Guillemins, mais lorsque je sors du transport, la pluie et le vent s'abattent sur ma pauvre personne et ne me font pas de cadeau. Pour le coup, je ressemble à ce personnage, récurrent dans les bandes dessinées, qui se balade constamment avec un nuage d'orage miniature au-dessus de la tête. Comme la dernière fois, je suis en tee-shirt ; comme la dernière fois, je fais semblant de rien et marche stoïquement à travers les trombes d'eau ; comme la dernière fois, je suis trempé de la tête aux pieds en l'espace de quelques secondes.

Paranoïa.  Le soir, à la Maison du Peuple, Léandra m'explique cette histoire de chômeur fou qui pratique une forme de harcèlement larvé envers l'organisme où elle travaille, en particulier par l'intermédiaire des réseaux sociaux : « Il est complètement paranoïaque. Il dit que s'il ne trouve pas de job, c'est à cause des Flamands, des marxistes et des immigrés... Il croit que nous ourdissons un vaste complot à son encontre et que c'est à cause de cela qu'il n'arrive pas à trouver de boulot. Mais en fait, c'est lui qui est à côté de la plaque. Ce genre de gars ne sera jamais en mesure de trouver du boulot. Qui voudrait de lui comme collègue ? Il fait peur ! »
« En plus, il est un peu geek sur les bords et se prend pour un Anonymous. Il raconte des mensonges aux internautes qui fréquentent notre page, tente de saturer nos serveurs en nous envoyant des milliers de messages, enregistre une conversation dans une de nos agences pour essayer de prouver qu'il est spolié... N'empêche, ce gars, s'il pétait vraiment un câble, je l'imagine très bien acheter un flingue et prendre pour cible des inconnus dans la rue ! Notre service juridique est déjà au courant. Il y a d'ailleurs déjà une plainte contre lui au pénal... » — Il a l'air sympa, son travail, à Léandra.

Les autres histoires, Léandra vous les racontera elle-même (ou pas).

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