Archives mensuelles : novembre 2014

Année zéro

« La fleur est artificielle, mais l'intention ne l'est pas », dis-je à Léandra en entrant. Et si je lui avais offert des chocolats à la place d'une fleur ? J'avais également réfléchi à une formule consacrée : « Ce sont des "Merci", car ils ne vendaient pas de "Désolé". » (Cette phrase aurait eu plus de sens encore, mais le marchand de pralines était déjà fermé.)

À l'exception des tout derniers épisodes, ce journal ne conserve pas de traces du feuilleton. (On remerciera ou on maudira, selon l'humeur, l'indolence crasse dans laquelle j'étais embourbé à ce moment.) Il serait peut-être intéressant, un jour, de retracer de la manière la plus plate possible, en historien, la chronologie des événements, non pas pour Léandra et moi-même, mais pour tous les autres impliqués de près ou de loin dans ce petit maelström. Car il est tout de même important d'avoir une vision exacte de la chronologie, et surtout de l'instant où tout a commencé : ce n'est pas elle qui a coupé les ponts, c'est moi.

Léandra s'est fait une entorse cette nuit, « en sortant de Chez Maman ». J'aurais dû me rendre compte des majuscules en lisant son message matinal, mais je n'étais sans doute pas encore bien réveillé. Du coup, durant toute la journée, j'avais en tête qu'elle s'était fait mal en sortant de chez sa maman. — Mais non ! C'est en sortant de Chez Maman, le célèbre bar à travestis bruxellois ! « Ça t'aurait sans doute intéressé. Bon, il y avait plein de monde et on était assez compressés, mais c'était une expérience ! » Plein de monde ? Compressés ? Je serais parti en courant, oui !

Quid, le chat ventripotent de Léandra, se rend-il compte que sa maîtresse souffre d'une entorse ? Je suis dubitatif, mais elle me répond : « Si, si... Mon chat se rend compte qu'il y a quelque chose qui ne va pas aujourd'hui et que je ne vais pas bien... Mais à part ça, il s'en fout ! En fait, ça l'emmerde. Et donc il saute sur ma jambe quand même et il me fait mal. »

Pour autant que je puisse en juger, mon « second Dorabella » est vraiment résolu. Ne reste plus qu'à résoudre le premier, celui de 1897, sans néanmoins en faire une fixation (il y a des choses plus importantes dans la vie que de résoudre des énigmes).

Problème de loquet

Un rêve matinal : je parle avec une inconnue (une femme de plus ou moins mon âge, aux longs cheveux blonds lisses et aux yeux bleus, seuls détails dont je me souviens avec certitude). Nous sommes assis à une table, dans une Maison du Peuple transformée, un grand parallélépipède rectangle impersonnel rempli de monde, sans aucune séparation, ni pilier, ni renfoncement d'aucune sorte. Il est clair que nous nous parlons dans le cadre d'un rendez-vous amoureux. Nous finissons par nous embrasser et, très vite, je me rends compte qu'elle veut aller plus loin ; en fait, elle est déjà en train d'aller plus loin ! Mais je suis gêné et je freine des quatre fers : « Non, non, tu ne peux pas me faire ça ici, devant tous ces gens ! » Alors elle m'entraîne aux toilettes, dans un petit espace assez sale dont les murs sont recouverts de rouille. Dans l'intervalle, ses cheveux sont devenus bruns et plus courts. Détail qui a son importance : elle est nue. Elle me saute dessus pendant que j'essaye de verrouiller la porte, mais je m'aperçois que, bien que le loquet puisse être déplacé sans problème, il ne verrouille pas vraiment la pièce : comme la porte est à battant, le loquet ne la retient que dans un sens, c'est-à-dire dans le cas où quelqu'un essayerait de la tirer depuis l'extérieur (cette image-là est très claire, car je me souviens parfaitement avoir essayé de comprendre comment arriver à fermer la porte dans les deux sens). « On s'en fout », me dit-elle en se frottant à moi — et je me réveille, zut !

Gaëlle et ses pieds de plomb au magasin Decathlon de Châtelineau, en fin de matinée : elle rechigne à essayer des vêtements et veut ressortir au plus vite, ce qui a plutôt tendance à m'agacer, malgré le fait que je sais parfaitement que je me comportais aussi de la sorte à son âge (je suis même encore comme ça aujourd'hui). Nous sommes pourtant là pour elle, pour lui acheter une tenue d'équitation de la tête au pied : bombe, polo, polaire, pantalon, chaussettes et bottes. Je voulais absolument lui acheter tout cet attirail parce que ça m'énervait de la voir arriver habillée n'importe comment à ses cours, alors que d'autres enfants, de milieux beaucoup plus bourgeois sans doute, semblaient à l'aise dans leurs jolis vêtements.

Quand je demandais à cet ami pourquoi il était célibataire depuis tant d'années, il ne répondait pas directement à la question, mais déclarait plutôt, très calme et très confiant : « Patience ! Une cathédrale ne se construit pas en un jour ! » Aujourd'hui, des années après sa mort, on serait bien en peine de trouver ne fût-ce que les fondations de l'édifice qu'il espérait élever de ses propres mains, brique par brique. « Il est mort trop jeune : il n'a eu le temps de rien construire », disent certains ; « Il a vu beaucoup trop grand », disent d'autres. Peut-être, mais ça n'explique pas tout. Et lorsqu'on me demande aujourd'hui ce que je pense de cette triste histoire, je réponds souvent : « Ce n'est ni la brièveté de son existence, ni sa mégalomanie qui ont signé son échec, mais sa décision d'entreprendre pareille construction tout seul. » — Cette petite histoire m'est venue à l'esprit dans la voiture, au retour du Decathlon, et je ne sais vraiment pas d'où elle sort !

« Dis donc, Gaëlle, ton papa t'a gâtée pour ta nouvelle tenue d'équitation, lance la jeune monitrice.
— Oui, je sais, mais moi, au départ, je ne voulais pas aller l'acheter !
— Ha bon ? Pourquoi ?
— Parce que j'aurais préféré rester jouer à la console de jeu.
— La console de jeu ? Mais quel intérêt ? Tu as un gigantesque jeu tout autour de toi, alors à quoi bon rester devant un petit écran ridicule ? »

Récit de marin

Ébranler les cieux : c'est le titre d'un livre en vitrine de la Librairie du Dieu vivant, à Namur, que j'aperçois la plupart des vendredis lorsque je vais chercher ma fille à l'école. — C'est un titre dangereux : supprimez le « E » initial et vous aurez de la neige tout au long de l'année (du moins si Dieu existe... et si c'est un homme).

« Sailor's Tale » de King Crimson (Islands, 1971) est un chef-d'œuvre que je n'avais plus écouté depuis des années ! Même si je le connais très bien, j'y découvre encore aujourd'hui des territoires inconnus, des éléments mélodiques ou rythmiques qui m'avaient échappé jusque-là. C'est un morceau compliqué qu'il faut apprivoiser, avec ses ruptures, ses envolées, son instrumentation changeante. Mentions spéciales à la guitare anguleuse qui se met à parler peu après la deuxième minute et surtout — surtout ! — à la batterie de Ian Wallace qui décolle avec le reste du morceau peu après la quatrième. (J'écoute cette perle à pleine puissance au moment où ma fille apparaît à la sortie de la cour de récréation et il me faut quelques secondes pour redescendre).

« Dangerous Curves » (The Power to Believe, 2003) est un air qui commence par une mélodie lente et relativement simple, typique de certains débuts de morceau de King Crimson. Sur cette première mélodie, viennent se greffer une guitare nerveuse, une boîte à rythmes, mais aussi une batterie bien réelle. Plus tard, la mélodie est toujours aussi merveilleuse, mais elle n'est plus du tout simple. Que s'est-il passé ? À quel moment est-ce devenu plus compliqué ? Nulle part exactement : c'est un trésor de construction.

Le train du retour est rempli d'étudiants. À côté de nous, le téléphone portable d'une jeune femme émet un son. « C'est le "Hey !" de Navi dans Ocarina of Time ! », lance Gaëlle. La navetteuse regarde ma fille, étonnée : « Oui, c'est bien ça ! » Par après, nous essayons de retrouver chacune des musiques du jeu, mais nous ne sommes pas les deux seuls à jouer. Non loin, un inconnu sifflote à chaque fois directement le bon air, avant même que Gaëlle n'ait le temps de le trouver. « Hé, tout le monde connaît Zelda dans le train ou quoi ? » C'est un jeune homme assis sur la banquette d'à côté : « Ocarina of Time sur N64, faut dire que vous touchez une sacrée corde sensible, là ! » (La situation rappelle celle du 22 mars 2013.) — Prends garde, humanité, la génération Y est adulte désormais... et elle connaît ses classiques !

Gaëlle adore aligner des éléments de son environnement, mais ne range pas. — Mais à qui donc ressemble-t-elle ?

Ma grand-mère, 88 ans au compteur, voit depuis peu des inconnus qui se tiennent debout à la limite de son champ de vision. « Elle a vu une dame avec une robe à fleurs tout près d'elle, à sa droite, mais quand elle s'est retournée pour la regarder en face, il n'y avait plus personne. Elle n'a pas l'air de s'en tracasser outre mesure. »

Toujours sur ma grand-mère : « Ce qui est horripilant en ce moment, c'est qu'elle ne sait pas prendre une décision. Par exemple, je lui demande si elle préfère acheter une chemise bleue ou une chemise rouge et elle me répond : "Je ne sais pas, ça n'a pas d'importance." » — Ça me rappelle quelqu'un, mais qui ? (D'un autre côté, c'est vrai que ça n'a pas d'importance.)

Plan d'urgence

Gare de Bruxelles-Midi, sur l'escalator menant au quai, une dame m'interpelle : « Ha, c'est toi ? Comment ça va ? Tu vas à Mons toi aussi ? Mais pourquoi tu vas à Mons ? » « Je participe à une journée sur les plans d'urgence à mettre en œu... » « Je me demandais : lors de ta communication de la dernière fois, tu avais parlé d'un annuaire permettant de retrouver les noms et adresses de tous les financiers belges. Où peut-on le trouver, cet annuaire ? » « Ce n'est pas moi qui en ai parlé, c'est... » « Parce que j'en aurais besoin pour... Tiens, tu marches vers ce côté-là du quai ? Parce que moi je vais plutôt de l'autre côté. C'est une meilleure idée. Je t'explique : à cause des passerelles à la gare de Mons, c'est mieux de monter dans le train de ce côté-là. On est plus près de la sortie. » « Ha oui, les passerelles, j'ai d'ailleurs eu l'occ... » « Mais qu'est-ce que tu vas faire à Mons, toi ? Donc, concernant cet annuaire dont tu parlais lors de ta communication, je t'explique : j'en aurais besoin pour une étude que je réalise en ce moment sur un type particulier de mobilier, créé par [etc.] » — Un si grand flot de paroles, si tôt le matin, alors que je bois mon tout premier café de la journée, c'est difficile, très difficile. Que faire ? Mais voilà que le train arrive en gare et qu'elle voudrait être encore plus proche de la queue de ce très long véhicule. Quand je lui dis au revoir, elle s'est déjà remise à marcher et je la vois seulement de dos secouer la tête en guise de salut. (Cette femme fonctionne à très grande vitesse : comparé à son train de pensées, je suis un omnibus.)

Quelle clarté dans son exposé et aussi quel travail que d'avoir mis en place tous ces protocoles ! Elle a classé les principaux risques pouvant survenir à l'intérieur de cette grande bibliothèque, les a « priorisés » (un néologisme qui sera souvent entendu aujourd'hui) et a placé dans des tableaux tout ce qu'il fallait faire en matière de prévention des risques et d'intervention en cas de sinistre... Mais dans ce métier, rien n'est acquis ; il faut être dynamique, revoir constamment les routines établies et ne jamais se reposer sur ses lauriers. On voit qu'elle a beaucoup réfléchi. Elle parle même des nouveaux risques pouvant surgir à la suite d'une intervention pour un autre risque : par exemple, si des livres qui ont été victimes d'une inondation doivent sortir de la bibliothèque pour être restaurés, il faut alors prendre aussi en compte le risque de vol. Mais a-t-elle tout prévu ? Non, c'est impossible de tout prévoir : « Si un avion s'écrasait sur la bibliothèque, je ne pourrais pas faire grand-chose pour empêcher la catastrophe ! » — Plus tard, durant le temps de midi, elle nous explique comment elle a constitué sa petite équipe : en allant chercher les compétences et les intelligences là où elles se trouvent réellement. « Celui-là, il travaillait à la cafétéria et j'avais déjà remarqué qu'il était très méticuleux et soigné dans tout ce qu'il faisait. Un jour, je l'ai invité à aller prendre un café et je lui ai demandé s'il voulait faire partie de mon équipe. "Pourquoi pas", m'a-t-il répondu, "mais que devrai-je y faire ?" Je voulais qu'il réalise les nouveaux plans de la bibliothèque avec le logiciel AutoCAD. "Mais je n'ai jamais travaillé sur AutoCAD !", s'est-il exclamé. "Ce n'est pas grave, tu vas apprendre !" Et il a appris. »

« Tout d'abord, je voudrais vous préciser que nous sommes dans un lieu de culte. C'est très important. Oui, c'est aussi un élément patrimonial. Oui, c'est aussi un musée. Mais c'est avant tout un lieu de culte... » Le conservateur de la collégiale Sainte-Waudru ressemble un peu à mon père : il a le front haut et carré typique de la famille Evenvel. Le pauvre homme n'a que vingt minutes pour faire sa visite et, manifestement, il en souffre beaucoup. « Je vais vous parler de l'histoire des reliques de sainte Waudru, en une petite minute seulement, parce qu'on n'a pas le temps. » Son explication dure un quart d'heure environ. La visite continue... « Ha, les grandes orgues, je vais quand même vous en dire un mot, même si on n'a pas trop le temps. » « Le Car d'Or, il faut quand même que je vous en parle. Oui, je sais, votre temps est compté. » « Il est très important de comprendre l'esprit de communion dans lequel les Montois, catholiques ou non, vivent les festivités du Doudou. Je pourrais vous en parler des heures, mais nous n'avons pas le temps. » « Est-ce qu'on a encore un peu de temps pour aller voir un bas-relief de Du Brœucq ? Oui ? Parfait ! » « Le trésor de la collégiale ? Je vais vous le montrer. En quelques minutes, oui, parce que nous n'avons pas le temps. » — Je n'ai pas eu le temps de le remercier.

L'après-midi, je participe au deuxième atelier, où une archiviste française nous propose de simuler une situation de crise. Plusieurs bassines remplies d'eau sont placées devant nous, dans lesquelles baignent divers types de documents : archives papier, photographies, brochures... « Pour cet exercice, il faut imaginer que vous êtes dépêchés en tant que spécialistes dans un centre d'archives qui a subi une grave inondation. Ou bien que des volontaires ont récupéré les archives sur le lieu du sinistre, puis vous les ont apportées telles quelles dans un autre centre pour que vous les traitiez. Que faites-vous ? » — Dans son atelier, L. a quant à lui dû jouer avec des Legos !

Je connaissais le concept de résilience, vulgarisé notamment par Boris Cyrulnik (voir l'article du 21 septembre 2011, très mal écrit, bouh !), mais je n'avais jamais pensé qu'on pouvait l'appliquer à une institution (c'est pourtant évident) : « La résilience d'une institution », nous dit-il en conclusion de cette journée, « c'est sa capacité à retrouver un fonctionnement normal — ou plus ou moins normal — après un sinistre. » Et il parle en connaissance de cause : peu de temps avant, ont en effet été mentionnés les cas de la Bibliothèque nationale de Haïti, secouée par un terrible séisme en 2010 (la vidéo), et des Archives historiques de Cologne, qui ont presque littéralement été englouties dans le sol de la ville en 2009, semble-t-il à la suite de la construction d'une nouvelle ligne de métro : quand on sait que le bâtiment contenait plus de mille ans d'histoire, ça fait mal. — Forcément, la capacité de résilience d'une institution dépend aussi de celle des personnes qui y travaillent. Une dame explique : « À Cologne, certains archivistes sont encore aujourd'hui en dépression nerveuse, non seulement parce qu'ils se sont dit au moment de l'effondrement qu'ils allaient mourir, mais aussi parce qu'ils ont vu des archives qu'ils avaient inventoriées patiemment pendant des années — voire des dizaines d'années — réduites à néant. »

Il fait la promotion du Bouclier bleu, sorte de « Croix-Rouge du patrimoine » dont un des slogans est : « Pas de futur sans culture ». Il nous rassure : « Au Bouclier bleu, on pratique une politique d'échange, de partage et de mise en commun des informations. En parlant de nos erreurs de manière collective, nous empêchons d'autres institutions de les commettre. Ici, au Bouclier bleu, on peut parler de tous nos problèmes, en toute franchise, sans jugement. » Puis il ajoute : « Bon, je sais, dit comme ça, ça fait un peu "Alcooliques anonymes", je l'avoue ! » (Rires dans l'assemblée.)

Ce soir, de retour à la Maison du Peuple de Saint-Gilles, je suis un centre d'appel à moi tout seul. Lorsque je me reconnecte avec le monde après cette journée d'étude sans accès à Internet, je me rends compte que plusieurs personnes m'ont contacté. C'est toujours plus ou moins en rapport avec Léandra ou avec Andrew. — Vite, un plan d'urgence !

Je suis exténué, mais j'ai encore un peu de force, que je peux canaliser à bon escient. La priorité est toute trouvée.

Principe des vases communicants : ils maintiennent un pont, je détruis le mien ; je reconstruis mon pont, ils détruisent le leur. Mais c'est loin d'être aussi simple.

Cette peau que j'ai revêtue ces dernières années, je l'ai retournée. C'est toujours la même peau, mais elle est retournée désormais.

Clarification

C'est le genre de réunion qui commence le matin et qui continue l'après-midi, mais ça ne suffit pas : il faut fixer d'autres rendez-vous, encore et encore, parce que le projet est nébuleux et qu'une journée complète de travail ne permettra d'éclaircir que quelques aspects du problème, lentement mais sûrement. Parfois, nous restons bloqués une heure sur un concept, voire sur un terme (au fait, sait-on vraiment désormais ce que l'on entend par « type de document » ?). C'est aussi le genre de réunion qui entretient un rapport avec le cuir chevelu : autour de la table, on coupe les cheveux en quatre et on se les arrache. Pour une fois, ce n'est pas comme si j'étais extérieur à la démarche : je me considère comme un élément actif (qui a son mot à dire) à l'intérieur de ce groupe de travail ; j'y trouve ma place. — Aujourd'hui cependant, une certaine lassitude marque presque tous les visages : ne serait-on pas en train de travailler pour rien, de tourner en rond, de ne pas avancer ?

Lorsque personne ne se lance, il reprend le problème à bras-le-corps. Peu importe la difficulté : c'est quelqu'un qui n'élude jamais. C'est le profil typique — presque exemplaire — de la personne qui n'a pas spécialement envie de prendre la direction d'une tâche, mais qui la prend malgré tout, par souci du travail bien fait. C'est aussi quelqu'un qui clarifie, autrement dit qui a la capacité de transformer une pensée confuse et difficilement exprimable en une parole claire, précise et organisée. C'est, sur ce point, quelqu'un d'impressionnant.

Il y a non loin de moi un thermos de café qui me sert de ravitaillement permanent, presque de transfusion. Sam et son « Café, boss ? » me reviennent en tête. En ai-je déjà parlé ? Oui.

D'où vient donc ce tic de faire « entre guillemets » avec ses doigts ? Ils le font, je le fais aussi. Il faudrait que je m'en débarrasse de toute urgence, car c'est ridicule : si tout le monde se mettait à mimer de la même manière avec ses doigts (ou avec tout autre membre mis à l'honneur pour l'occasion) des parenthèses pour chaque incise, un deux-points pour chaque explication ou un point d'exclamation pour chaque surprise, le monde deviendrait rapidement un enfer — à considérer qu'il ne le soit pas déjà, pour d'autres raisons.

Un sentiment curieux, qui semble venir du fond des âges, mais qui ne trouve son origine que dans les années 2010 : je suis à jour dans mon journal.

Qui a dit que je devais écrire quotidiennement des tartines sur le monde, la vie et moi-même ? Personne ! J'ai repris un rythme journalier et non un martyre ! (Et quand il ne se passe pas grand-chose, il ne se passe grand-chose.)

Un ajout de dernière minute, maintenant que je suis à nouveau un adepte de la complétude : assis à ma droite depuis une heure (à la Maison du Peuple donc, ai-je encore besoin de le préciser ?), se trouvent trois benêts, dont un expert en flatulences discrètes et un surexcité qui se prend pour John Bonham : il frappe constamment la table des mains en essayant de suivre un rythme de sa propre composition, mais ce n'est pas John Bonham, donc c'est tout simplement horrible. Pourquoi n'est-ce pas plutôt les médiocres qui meurent étouffés dans leur vomi ?

Le pipi de la souris

Un capharnaüm encore plus grandiose que les travaux de la nouvelle gare de Liège-Guillemins (un vieux souvenir vécu au jour le jour) : les travaux de la nouvelle gare de Mons. Pour atteindre la place Léopold sur laquelle débouchait directement feu l'ancienne gare, il faut actuellement faire un détour d'au moins 650 mètres (j'ai fait le calcul). La place en question ressemble plus à une reconstitution de la plaine de Waterloo après la bataille qu'à un endroit de vie : le panorama est défiguré par ce no man's land où sera édifiée prochainement la future gare Calatrava. C'est moche, oui, mais haut les cœurs ! Car comme pour la gare de Liège, le but de ce chantier mégalomane est louable : il s'agit de créer une monumentale cathédrale d'acier, paradis des courants d'air, dans laquelle les navetteurs pourront s'engouffrer en toute quiétude pour attendre leur train en retard.

« Un jour, aux archives du Royaume, j'ai dû consulter un registre d'Ancien Régime reliant plusieurs parchemins. Je ne sais pas par quels drôles d'endroits il était passé et je ne veux pas le savoir, mais qu'est-ce que ça fouettait ! Je devais constamment relever la tête pour ne pas avoir la nausée... Les autres lecteurs ont dû se demander ce qui m'arrivait.
— C'était vraiment une bonne idée, cette invention du papier !
— Pas sûr. J'ai connu quelqu'un qui s'est chopé un champignon pulmonaire à cause d'une vieille archive "papier".
— Ha, c'est un métier dangereux, archiviste, faut pas croire !
— Oui, et puis le papier peut aussi sentir très mauvais... Il suffit qu'une souris fasse pipi dessus, par exemple...
— Ça me fait penser que j'ai déjà eu en main un registre en partie rongé. Une souris, morte depuis longtemps, avait indubitablement laissé sa trace dans l'histoire. »
C'est Gilles qui clôturera cette discussion collective, entraînant un petit fou rire dans l'assemblée : « Une souris... ou bien un archiviste gourmand et affamé ? »

C'est un superbe scanner A2+ qui répond au doux nom de « CopiBook™ Cobalt » et qui possède entre autres la caractéristique d'être composé d'un porte-livre au déplacement vertical motorisé (et automatisé), afin d'éviter que le dos de la reliure ne souffre trop du processus de numérisation lorsque les pages sont tournées. « Et la question que tout le monde se pose est : combien ça coûte ? » Réponse d'un des spécialistes : « Si chaque lecteur payait dix euros pour accéder à la salle de lecture, il nous faudrait, à la grosse louche, deux mille cinq cents lecteurs pour rentrer dans nos frais. » Voilà qui nous donne une estimation !

Deuxième chiffre de Dorabella

Mon deuxième chiffre de Dorabella n'est pas à proprement parler un cryptogramme, c'est un problème de la vie de tous les jours, une situation qui implique des humains en chair et en os. Si je lui donne ce nom-là, c'est tout simplement parce que, tout comme le premier, je n'arrive pas à le résoudre en ce moment. Pourtant, il peut paraître beaucoup plus simple que le chiffre de 1897 : d'un côté une femme hypersensible, qui souffre beaucoup et qui a besoin d'une démonstration de quelque chose de la part de plusieurs amis qui semblent s'éloigner d'elle plus ou moins en même temps ; de l'autre un homme qui frise de plus en plus la schizoïdie, sans doute très sensible aussi, mais qui le cache bien, car il possède une très longue expérience dans l'art de se cacher. La première envoie au second des messages de détresse ou de colère, que le second prend pour ce qu'ils ne sont pas, ce qui n'arrange pas les choses, puisqu'il ne réagit plus du tout : au contraire, il s'enfuit le plus loin possible, car il a aussi, pour assombrir encore un peu plus le tableau, une très longue expérience dans l'art de la fuite (qu'il n'appelle plus « fuite » mais « refuge », un joli mot qui lui évoque plein d'images positives, aussi chaleureuses qu'un bon feu de bois dans une vieille bâtisse en pierre entourée de neige). — La façon dont je tourne autour de ce « Dorabella personnel » sans en atteindre le cœur ne me satisfait pas. En fait, elle ne satisfait personne, sauf peut-être des gens beaucoup trop extérieurs à la situation qui haussent les épaules et disent : « Bah ! », comme si le problème ne pouvait pas être résolu de toute façon, comme s'il fallait arrêter d'y penser une bonne fois pour toute. Mais c'est impossible d'arrêter de penser à un problème tant qu'il n'est pas résolu. C'est bien là tout le problème d'un problème : il a tendance à être tenace et à hanter l'esprit jusqu'au moment où l'on trouve la solution qui convienne. Ici donc, ni la planque, ni la fuite (transformée astucieusement en un refuge) ne conviennent. Mais alors quoi ? J'ai bien quelques idées. Il faut seulement me laisser du temps. Merci de me laisser un peu de temps. (Je ne t'oublie pas !)

Ce monsieur assis deux tables plus loin à ma droite a un problème avec son PC. Est-ce que je peux l'aider ? Oui. Utilisez-vous Firefox ? Oui. Utilisez-vous Hotmail ? Non, mais je connais. Comment retrouver le dossier dans lequel sont téléchargés tous les fichiers en attachement ? Facile, la chose est réglée en trente secondes. — Peu de temps après, il se lève et revient à la charge pour me demander quel système d'exploitation j'utilise et aussi pour vanter les mérites de Windows XP, ha oui, c'était le meilleur, Windows XP, bien plus pratique que ce Windows Sept auquel on ne comprend rien. Soudain, je flaire que toute cette histoire de dossier de téléchargement n'était sans doute qu'un simple subterfuge pour parler à quelqu'un. Il a besoin de parler ! Bigre, le pauvre est vraiment mal tombé. Si, d'habitude, j'ai déjà beaucoup de mal à échanger des banalités avec un inconnu, aujourd'hui c'est encore pire ! Il n'y a aucune place ce soir pour le small talk. Donc non, monsieur, je ne vais pas commencer à disserter sur les avantages et les inconvénients de tel ou tel système d'exploitation, ni sur les nouvelles techniques sexuelles étonnantes mises en pratique par le dendrolague des plaines en Nouvelle-Guinée.

« Tardi, c'est fini ! »

Gaëlle ouvre la porte de ma chambre, regarde le réveille-matin électronique et s'exclame, un peu abattue : « Oh, il est déjà neuf heures vingt ! On va déjà devoir partir pour retrouver les autres ! Je voudrais tant rester ici pour jouer à la DS ou regarder des dessins animés ! » Elle n'a pas vraiment droit à ce genre d'activités en semaine avec sa maman qui fait régner dans le foyer une discipline beaucoup plus stricte. Alors, quand Gaëlle est avec moi à Bruxelles, elle préfère le plus souvent rester « à ne rien faire ». Mais c'est une mauvaise idée que de la laisser se comporter de la sorte (c'est-à-dire en légume), tant pour elle que pour moi.

— Une mise en garde remarquable, entendue il y a quelques mois en attendant le tram à la station Rogier, lancée par un jeune gars à deux amies (?) : « Vous vous plaignez tout le temps d'être fatiguées ! Vous n'avez donc toujours pas compris ce que je vous ai dit la dernière fois ? La fatigue entraîne la fatigue. Si vous êtes fatiguées, c'est parce que vous passez la majeure partie de votre journée chez vous à ne rien faire. Si vous passiez plus de temps dehors à faire réellement quelque chose de votre vie, vous seriez moins fatiguées ! » (Les phrases sont approximatives, mais le sens y est.) —

Gaëlle et moi retrouvons Fred Jr, Donna et leurs deux enfants en matinée, avec vingt-cinq minutes de retard sur le programme, dans le grand hall de la gare centrale à Bruxelles. L'idée du jour est d'aller visiter une exposition : soit celle sur Tardi et la grande guerre au Palais des Beaux-Arts (exposition qui ferme ses portes aujourd'hui même), soit l'exposition permanente sur les figurines de bande dessinée située dans une des nouvelles extensions de la gare (le MOOF Museum). À la question de Donna : « Quelle exposition voudrais-tu aller voir ? », je ne peux que répondre en haussant les épaules : « Peu importe. » Donna, à nouveau : « Mais tu préférerais aller voir l'exposition sur Tardi avec Fred ou bien qu'on reste tous ensemble au musée des figurines ? » « Voir l'une ou voir l'autre, ça n'a pas vraiment d'importance. C'est secondaire. » Je reconnais que j'ai un grave problème avec les choix et les décisions, un problème qu'il faut que je règle à tout prix. Par exemple, dans ce cas-ci, j'aurais dû répondre directement : « Je préfère aller voir l'exposition consacrée à Tardi », dans la mesure où je considère ce dessinateur comme l'un des maîtres francophones de la bande dessinée encore en vie. Donna : « Vous voulez aller voir l'exposition sur Tardi tous les deux pendant qu'on reste entre filles ? » Oui, voilà ! Allons voir entre hommes cette exposition sur Tardi et la guerre et laissons donc les filles entre elles à l'exposition de figurines !

« Tardi, c'est fini ! », lance un gardien à l'entrée, et nous de continuer : « Et dire que c'était la ville de mon premier amour ! », mais c'est idiot. — Que dire de cette exposition ? Tout d'abord qu'elle montre, dès le début du parcours, le talent extraordinaire de Jacques Tardi pour le cadrage, chaque « panorama » étant une petite merveille de mise en scène (un homme solitaire, très proche de la marge droite du dessin, en train de boire un verre dans un bistrot ; un soldat empêtré dans des fils barbelés, au milieu d'un paysage aussi mort que lui ; un avion en vol, puis le même qui s'est écrasé...). En regardant l'un après l'autre chacun de ces dessins originaux, je me rends compte beaucoup plus facilement de l'immense recherche esthétique qui se cache derrière tout ce travail et qui était moins immédiatement visible à la lecture des albums (principalement Putain de guerre ! et C'était la guerre des tranchées). La raison est assez simple à comprendre : ici, les cases sont mises en avant pour elles-mêmes et sont extraites de leur contexte, alors que dans la bande dessinée, elles forment une séquence ininterrompue, ce qui les rend d'une certaine manière plus anodines. L'impression d'avoir devant soi des dessins indépendants est encore augmentée par les textes qui les accompagnent : dans la BD, ceux-ci sont intégrés à l'intérieur de la case, alors que dans l'exposition, ils se retrouvent tout en bas du cadre, laissant l'image dans sa plus stricte nudité. — Autre remarque : le parti pris scénographique a été de commenter le moins possible, afin de laisser la plus grande place à l'œuvre elle-même. C'est une bonne idée, car les planches sont explicites à elles seules et auraient été alourdies par un texte explicatif. La seule critique que l'on pourrait émettre par rapport à cette exposition, assez curieusement, c'est d'être trop exhaustive : y est en effet exposée l'intégralité des dessins originaux et des mises en couleur de Putain de guerre !, ce qui peut donner, à la fin de la visite, un sentiment de trop-plein et de dégoût. Mais il est facile de transformer la critique en un compliment : le trop-plein et le dégoût, c'est tout ce qu'on peut espérer quand on regarde de trop près la Première Guerre mondiale.

Vers midi moins quart, nous prenons un apéritif à deux pas de la fontaine Charles Buls, dans le centre de Bruxelles. À cinquante mètres environ, un homme souffle d'énormes bulles de savon. Plus près de nous, une femme se met à chanter en italien. Fred et moi commandons un rosé et Donna un vin rouge. Fred déclare pince-sans-rire à la serveuse : « Je suis désolé, mais je n'autorise pas à ma femme de boire de l'alcool. Je suis le seul à décider en la matière et elle prendra donc une eau plate. » La serveuse lui répond, tout aussi pince-sans-rire : « Nous sommes dans un pays libre, votre femme boit ce qu'elle veut. » Puis, le sourire aux lèvres : « Et les enfants, ils prendront du vin eux aussi ? » « Oui, parfaitement ! »

Le reste de la journée peut être raconté beaucoup plus rapidement : nous allons tous manger au Quick d'à côté, ce qui est assez curieux (non pas d'aller manger au Quick, mais d'y aller avec une famille complète). Puis Gaëlle et moi rentrons à notre appartement pour deux petites heures. Puis je laisse Gaëlle entre les mains de Maïté, à la gare centrale à nouveau. Puis je passe à la Maison du Peuple, mais le cœur n'y est pas (ma fille me manque). Puis je rentre chez moi et je m'endors rapidement... avant dix heures du soir, ce qui constitue un véritable record !

L'agitation moléculaire

Dans un tram en direction d'Ixelles, Gaëlle et moi sommes assis devant ce qui ressemble de prime abord à une famille : le père, la mère et une petite fille d'à peine deux ans qui gazouille sans rien comprendre. Il s'agit sans doute du père et de la mère, mais certainement pas d'une famille. Elle : « Je ne suis pas folle ! Je sais ce que j'ai dit ! » Lui, un peu plus tard : « Sébastien, je l'emmerde ! » Elle : « Ma mère t'accepte à nouveau chez elle, mais tu n'es pas chez toi ! Et tu veux revenir avec ta fille ? Mais qu'est-ce que tu crois, franchement ? T'as pas honte ? » Lui : « Tu dis que tu veux m'aider, mais c'est faux, tu ne m'aides pas ! » Elle : « Tu crois que je ne t'aide pas ? Ha, tu crois que je ne t'aide pas ! Eh bien d'accord, passe à autre chose alors. Pas de problème ! » Ambiance ! Un peu plus tard, au Pitch-Pin, sur un coin de la place Flagey, Gaëlle et moi buvons un verre en attendant qu'A. et Z. reviennent de chez le pédiatre. Je demande à ma fille si elle a remarqué la dispute dans le tram. Elle me répond : « Oui. Je crois qu'ils étaient séparés, que l'homme voulait revenir, mais que la femme ne voulait pas qu'il revienne. » (L'impression, parfois, de parler avec une adulte en miniature.)

À la table d'à côté, trois personnes âgées d'une cinquantaine d'années discutent. Un des deux hommes s'enflamme : « Balzac n'a jamais écrit de livre ! Non, non, il n'a jamais écrit de livre ! Il dictait à quelqu'un ses grandes idées et la trame générale de l'histoire, mais il n'écrivait pas lui-même ses romans ! » (Où a-t-il été chercher pareille information ?) Plus tard, à la même table, le fan de Balzac est parti et le deuxième homme raconte : « L'agitation moléculaire, c'est ce qui nous compose. Nous sommes de l'agitation moléculaire. L'agitation moléculaire, c'est primordial. » Elle : « L'agitation moléculaire ? Ha ? Je n'y avais jamais pensé... L'agitation moléculaire... Oui, l'agitation moléculaire, c'est intéressant, ça... » Elle répète « agitation moléculaire » une dizaine de fois, puis : « je vais le noter, mais je ne sais pas écrire en français. Donc comment ça s'écrit, "agitation moléculaire" ? » (C'est surréaliste !)

Le mug magique

Jeudi 13 novembre, j'avais été très étonné de trouver à quai, en gare de Liège-Guillemins, un train à destination de la banlieue liégeoise qui n'existe pas en temps normal : le train P pour Statte de 8 heures 2. J'étais monté à bord en compagnie d'une flopée d'étudiants et le train m'avait effectivement conduit à destination, avec vingt-trois minutes d'avance sur l'horaire. Très satisfait de cette nouvelle correspondance me permettant de ne plus poireauter une demi-heure en gare et d'arriver à l'heure au travail, j'avais essayé les jours suivants de réitérer l'expérience... En vain : le train miracle était devenu un train fantôme. « Des trains qui apparaissent puis disparaissent de la circulation, ça arrive parfois », avait confirmé Flippo, fumant sa traditionnelle cigarette du matin et observant en ma compagnie les voies depuis une des terrasses surélevées de la gare. L'explication la plus probable est certainement la suivante : ce train de 8 heures 2 était un test en prévision du nouveau plan de transport de la SNCB qui sera mis en place le 15 décembre prochain. J'aurais bien voulu que ce soit un train fantôme ou bien une passionnante histoire de portail spatio-temporel, mais la réalité est très certainement beaucoup plus triviale.

C'est un mug foncé sur lequel le visage épuré de Tintin est dessiné en blanc à trois reprises suivant le style de la ligne claire. Je l'avais déjà repéré la semaine dernière dans la vitrine du magasin Slumberland à Namur et je le vois à nouveau aujourd'hui lorsque je passe dans cette rue très proche de l'école de ma fille. — Contre : pour un simple mug, c'est cher (près de vingt euros) et je n'ai pas d'argent à dépenser pour ces bêtises. Pour : je vais bientôt recevoir quelques sympathiques rentrées (retour d'impôt et prime de fin d'année). Contre : il ne faut pas que je les dépense, d'autant plus que je ne les ai pas encore reçues. Pour : et pourquoi pas ? Contre : c'est du merchandising qui joue sur la figure de Tintin, un produit dérivé élaboré par la relativement antipathique société Moulinsart. Pour : oui, mais il est magnifique ! Contre : j'ai déjà mon mug au boulot. Pour : ce n'est pas vraiment mon mug, c'est celui que j'ai adopté après que celui à l'effigie de Stan le T. rex (paix à son âme) a tristement été cassé par la concierge au moment où mon bureau était rempli de livres. Contre : quelle importance ? Tu as déjà un mug ! Pour : oui, mais ce mug ne me correspond pas... J'aime boire mon café dans un objet qui me caractérise et ce mug Tintin est parfait ! Je suis toujours en train de réfléchir à cette histoire de mug quand je récupère ma fille dans la cour de récréation. — « Ça te dit d'aller acheter des bandes dessinées, Gaëlle ? » Elle choisit le quatrième tome de Chi, un manga assez simpliste centré autour de la vie d'un chaton, ainsi qu'un des guides officiels de Minecraft, celui dédié au combat. Au moment de payer, je lance au vendeur : « Et je vais également prendre un des mugs en vitrine, celui sur lequel on voit seulement le visage de Tintin. » (En me voyant agir de la sorte, tonton Arthur aurait sans doute repéré une manifestation flagrante de la Volonté en action, mais tonton Arthur est mort depuis bien longtemps.) Le vendeur : « Ce mug est magique, en plus ! » « Magique ? » « Oui, quand on le remplit d'un liquide chaud, il change de couleur et on aperçoit des mouettes au-dessus de la tête de Tintin ! » Gaëlle : « Ouah ! » (Je ne dis rien, mais je n'en pense pas moins.)