Le café, au croisement de la Rue Américaine et de la Rue du Page, est à quelques minutes du quartier du Châtelain. Cela se ressent jusque dans l'habillement et le mode d'expression de nombreux clients. Le Bistro des Restos est un poste frontière. Il est comme ce "saloon de la dernière chance" qui, dans tout Western qui se respecte, donne à l'aventurier, au desperados ou au cow-boy l'ultime possibilité de se désaltérer ou de faire demi-tour avant le grand plongeon dans l'espace sauvage ou le désert de sel.
"Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance", disait l'autre.
Au-delà du Bistro des Restos, j'entrerais dans une zone de non-retour. Là-bas, dans un monde constitué de beaux décors, de marchés bio hors de prix et de visages souriants, les m'as-tu-vus aux chemises échancrées changent le monde sans le changer. Ils parlent du poste qu'ils ont réussi à décrocher au sein de leur société. — Depuis la terrasse, j'observe l'étendue du désert de sel et me dis que jamais, jamais plus, je n'y remettrai les pieds. (Je joue un jeu dangereux en me rapprochant à ce point : je pourrais me faire happer.)
Mary est originale, complexe, difficilement cernable. C'est aussi pour cela que je l'aime bien. Paradoxe : elle est à la fois très sure d'elle et remplie de doutes. Elle lance constamment de nouvelles idées ou de nouveaux sujets de discussion. Elle peut changer de sujet très rapidement. J'ai, avec le temps, appris à reconnaître ce motif — le fait de changer de sujet très rapidement — comme un signe de grande intelligence. Elle me rappelle mon vieil ami (?) Hamilton, deuxième du nom, sur ce point. Sur d'autres, elle me rappelle Léandra.
Je ne suis donc que modérément surpris lorsque, au détour d'une conversation sur sa recherche d'une colocation pour l'année prochaine, elle me propose de venir loger un an chez moi. Elle prendrait la chambre de ma fille, s'en irait quand cette dernière devrait y loger (une fois par mois, la plupart du temps) et payerait une partie significative du loyer. J'essaie d'imaginer le pour, le contre, mais je n'y arrive qu'à moitié. Il faut que j'en parle avec Léandra, avec ma maman et avec Gaëlle (l'amie, la mère, la fille : les trois femmes de ma vie ? — Haha !).
Chez Mary. Nous écoutons des groupes qui participent à l'Optimus Primavera Sound 2012, un festival de rock (vraiment) alternatif qui a lieu du 7 au 10 juin à Porto. Mary s'y rend, cette veinarde. Je l'accompagnerais bien, mais je n'ai en ce moment ni les congés, ni l'argent nécessaire pour un tel minitrip. Je regarde la liste des groupes : "Mon dieu, il y a Jeff Mangum de Neutral Milk Hotel ! Et Yo La Tengo ! Et Shellac ! Et les Flaming Lips, bordel ! Et Explosions in the Sky ! Et Dirty Three. Et Merde, merde, merde."