Je n'ai jamais vraiment été convaincu par les psychologues (ces gens qui demandent au moins cinquante euros pour m'expliquer ce que j'aurais pu découvrir par moi-même ou ce que je savais déjà), donc si je suis allé aujourd'hui après-midi voir un psychothérapeute pour Gaëlle dans la jolie banlieue proprette de Gerpinnes, c'est avant tout pour faire plaisir à sa maman, qui s'inquiète. Pourquoi s'inquiète-t-elle ? Parce que Gaëlle est hypersensible (c'est vrai), qu'elle fait parfois des réflexions bizarres (c'est sans doute vrai aussi, mais tout dépend de ce que l'on entend par « bizarre »), qu'elle a un sens de la justice extrêmement (voire trop ?) développé, qu'elle a très peu d'amis de son âge (durant la séance, elle déclare clairement préférer les enfants plus jeunes, « pour pouvoir les protéger contre les enfants plus grands qui les embêtent », ou exceptionnellement plus vieux — sa meilleure amie a bientôt treize ans), qu'elle se fait ennuyer dans la cour de récréation, qu'elle n'arrive pas à dormir avant dix heures du soir et qu'elle n'a pas l'air de prendre vraiment au sérieux l'école, les règles et les devoirs, bien qu'elle réussisse sans problème pour le moment. « Elle veut en avoir fini le plus vite possible pour faire ce qu'elle a envie de faire... », dis-je, avant d'ajouter : « Comme moi à son âge, en fait ».
Il nous demande : « Comment vous comportiez-vous à l'école primaire ? Étiez-vous comme elle ? » Maïté explique qu'elle était très tête en l'air. Quant à moi, j'entre un peu plus dans les détails (parce que j'adore ça et que j'y ai déjà beaucoup réfléchi) : « Oh, moi, vous savez, à l'école primaire, je "flottais". J'avais de très bons résultats, sans m'impliquer plus que ça, si ce n'est dans des choses qui me tenaient vraiment à cœur. J'ai d'ailleurs continué à "flotter" par la suite, en secondaire, mais avec de moins bons résultats, parce que parfois il fallait étudier et que je n'étudiais que quand j'avais envie d'étudier. » (Souvenir d'un 7/20 en biologie, avec ce commentaire : « Aucune étude ! », et de mes parents qui signaient le bulletin sans jamais m'engueuler ou me poser de questions.) « Cela dit, je ne pense pas que les deux situations soient comparables. Je n'étais pas comme elle à l'école primaire. »
Je ne le dis pas, mais je pense (très fort) qu'il n'y a aucune anormalité dans la façon dont Gaëlle se comporte et que, par conséquent, il n'y a pas vraiment de comportements à rectifier ou à comprendre. Le fait qu'elle soit hypersensible, réfléchisse pas mal, s'endorme relativement tard ou ne s'investisse pas plus que cela à l'école n'est pas un problème à mon sens. Le problème se situe plutôt dans cette obsession de trouver « pourquoi ça ne va pas », alors que ça va. C'est un problème de formatage : on veut que l'enfant réponde à un certain moule et, quand il ne répond pas à ce moule, on veut le mettre dans un autre moule. Ce serait particulièrement hypocrite qu'en tant que père, j'en veuille à Gaëlle parce qu'elle veille tard, trouve certaines règles absurdes ou certains devoirs répétitifs. Hypocrite parce que moi aussi, je veille tard, que moi aussi je considère certaines règles comme étant particulièrement absurdes, et que ça ne date pas d'hier : toute cette histoire d'éducation et de règles strictes est en grande partie vide de sens. Je ne dis pas qu'il ne faut pas suivre les règles instituées au sein d'une classe (à son âge, j'avais même plutôt tendance à les suivre scrupuleusement) ; je dis que certaines règles peuvent paraître absurdes si l'on creuse un tant soit peu... et donc que la remise en question de ces règles est un signe de bonne santé mentale, et non pas du tout un signe de déliquescence, un symptôme avant-coureur de délinquance ou bien encore le symbole d'une éducation mal distillée.
L'autre moule en question, c'est l'intelligence supérieure à la moyenne. Aujourd'hui, le terme à la mode est « zèbre », et je le trouve encore plus ridicule que « surdoué » ou « HP », ce dernier m'ayant toujours fait penser à la marque d'imprimantes. « Je vais vous expliquer », nous dit-il en prenant une feuille blanche et un stylo. Va-t-il dessiner une courbe de Gauss ? Bingo ! Il dessine une courbe de Gauss. C'est d'un convenu. « La moitié des enfants se trouvent entre 90 et 110. Si tu te trouves beaucoup plus à droite de la courbe, c'est normal que tu te sentes déphasée. » Oui, mais se sent-elle vraiment déphasée ? Je n'en ai pas l'impression. En arrière-plan, il y a les nouvelles théories de Jeanne Siaud-Fachin et consorts sur les hauts potentiels, le tout accompagné d'un discours, presque mielleux, qui fait l'éloge de la différence : « Tu sais, être hypersensible, ça peut être embêtant, mais ça peut aussi être une qualité. Quand on est hypersensible, on comprend plus de choses, des choses que d'autres ne voient même pas... Les sens sont exacerbés, le cerveau devient une éponge qui absorbe tout, le bien comme le moins bien... » Il pose ensuite une série de questions à Gaëlle et je vois parfaitement où il veut en venir. Jusqu'à un certain point, les questions induisent les réponses (si je cherche à trouver un profil, je finirai par le trouver) : « Est-ce que tu as l'impression de t'ennuyer à l'école ? », « Est-ce que ça t'arrive d'être distraite en classe ? », etc.
Après une heure, la conclusion est qu'il n'y en a pas : il faut faire des tests pour aller plus loin. « Les tests ne sont jamais que des tests », nous dit-il, « ils ne permettent que de déceler deux types bien ciblés d'intelligence : la logico-déductive et la verbo-linguistique. L'intelligence globale d'un individu est bien sûr quelque chose de plus complexe que ça. » Concrètement, cela ferait deux séances de tests, suivies d'une dernière séance où il nous détaillerait les résultats. (3 x 50 = 150 : moi aussi je peux faire de la « logico-déduction ».)
« Ça te dit de faire des tests, Gaëlle ?
— Je ne sais pas... Ce sera un quel jour ?
— Un samedi.
— Alors non. »
Affaire à suivre... (En tout cas, ça m'amuse beaucoup.)