Je demande à Maïté, debout à côté de moi contre un des flancs du chapiteau, quel est l'intérêt de toutes ces simagrées. Elle me répond que certains enfants apprécient le fait d'être au centre de l'attention (d'autres, par contre, sont mal à l'aise, voire au bord des larmes). D'accord, et à part ça ? Du côté des parents, l'intérêt est souvent purement égoïste : il s'agit de regarder son ou ses gamins danser, puis de se lever de sa chaise pour aller acheter des pains saucisses et des bières. La preuve : au début de la première partie le chapiteau est rempli jusqu'à ras bord, alors que sur la fin il est aux trois quarts vide : les familles regardent leurs mioches puis se cassent en courant.
J'en viens à imaginer un tout autre genre de spectacle, durant lequel les petits enfants danseraient sur des musiques bruitistes expérimentales (comme Merzbow), sur de très longues plages post-rock, ou encore sur du trash metal... Sur fond de guitares hurlantes, les bambins sacrifieraient trois chèvres au milieu du podium et les déposeraient, sanglantes et encore chaudes, sur un pentacle dessiné à la craie à même le sol, afin de satisfaire les désirs de mort de Béhémoth... Maïté suit ma logique et me demande : « Comment s'appelle-t-il encore, ton groupe allemand, là, Einstürzende... ? » « Haaaa ! Einstürzende Neubauten... Très bon choix ! » On donnerait aux gosses des perceuses et des scies sauteuses à l'aide desquelles ils devraient improviser une musique industrielle... Une danse enfantine sur « Armenia », ça aurait une de ces gueules ! (Il faudrait cependant prévoir une cellule psychologique, pas loin de la scène, afin de gérer les nombreux cas de chocs post-traumatiques). Sind die Vulkane noch tätig?
— Oui, "Ticket invalide !"...
— (Elle se tourne vers un collègue) Oh non, ce n'est pas vrai ! Ça recommence ! Il va encore falloir les appeler ! »
Elle me fait signer une décharge et me demande de l'attendre devant les guichets. Quelques minutes plus tard, je l'accompagne en direction des consignes. Elle dispose d'une procédure spéciale et d'un très long code pour accéder au panneau d'administration du système et forcer l'ouverture de la porte blindée... C'est aussi simple que ça... Elle me dit : « En journée, ça va encore, mais imaginez en soirée ! À partir de 21 heures, je suis seule au guichet et en plus, les gens sont beaucoup moins nets qu'à cette heure-ci... »
La discussion ne s'arrête pas là car j'apprends, je ne sais trop comment, que le premier vendeur participe à des reconstitutions médiévales. Je déteste les reconstitutions médiévales, mais je ne peux m'empêcher de lui lâcher (sans doute pour faire le malin) : « C'est amusant ! Je suis justement historien du Moyen Âge... » Il s'en fout complètement mais me signale, tout fier, qu'il suit une formation accélérée de six semaines pour être « moyenâgiste ». Je lui souhaite bonne chance dans son apprentissage et il me répond en guise d'au revoir : « J'espère que ça ira. Ça me coûte 650 euros ! » (Bigre ! Ce n'est pas donné, de nos jours, d'être un « moyenâgiste » !)
Mais on s'en fout un peu de notre vie, hein ?
Non ?
Plus intéressant : Léandra m'explique l'histoire qu'elle a rêvée la nuit dernière... Elle faisait partie d'une sorte d'équipe sous-marine (?) menée d'une main de fer (du moins au début) par le vieux Lewis (c'est-à-dire le président de mon ancien club de badminton — une précision pour ceux qui débarquent car les autres connaissent le bonhomme, évidemment). La situation lui fait penser au film d'aventures Les Goonies et est clairement inspirée de ses activités et lectures du moment (Le Scarabée d'or d'Edgar Allan Poe, entre autres). Au début du rêve, Lewis est en forme et mène vaillamment l'équipée mais, au fur et à mesure de l'escapade, perd peu à peu son souffle ainsi que son leadership. Léandra se souvient, presque gênée, de la conclusion : « À la fin, il était tellement épuisé que nous l'avons laissé tomber et avons continué l'aventure sans lui, en le laissant derrière nous... Je crois qu'il est mort seul. » — C'est MOI qui aurais dû faire ce rêve !