Les Lessinois en force ce soir. — Après quelques hésitations (car il a du travail à finir, mais oui, mais oui), Flippo accepte de participer au repas avec FBsr. Celui-ci nous attend dans le hall des pas perdus de la Gare centrale, à Bruxelles. (Jeudi dernier, pour la seconde fois, Fred Jr et FBsr avaient annulé le rendez-vous.)
FBsr a un cadeau pour moi : une clé USB de 8 Go dans son emballage d'origine. Je le remercie : « C'est gentil, je n'en avais plus ! » Ensuite, il me donne un petit papier contenant une liste de 60 dossiers d'albums musicaux : « Et ça, c'est ce qu'il y a dedans... » Du FBsr tout craché : il a ouvert méticuleusement l'emballage de façon à en extraire la clé, y a placé environ 5 Go de chansons en tout genre pour ensuite la replacer tout aussi méticuleusement à son emplacement initial, en faisant en sorte que la manipulation reste invisible, à moins d'y regarder de très près.
Détail amusant : la liste des albums présents sur la clé... Si j'avais voulu réaliser une compilation pour FBsr, j'aurais pu y placer au moins un tiers des artistes qu'il a choisis : Alela Diane, Andrew Bird, Bonnie « Prince » Billy, Death in Vegas, DeVotchKa, Elbow, Feist, First Aid Kit, Fleet Foxes, James Yorkston, Jonathan Wilson, Kurt Vile, Patrick Watson, R.E.M., Radiohead, Sharon Van Etten, The National, Timber Timbre, Tindersticks, Wilco... Il me dit : « Il y a un groupe que j'aime particulièrement dans cette liste, c'est Other Lives... Tu connais ? C'est un peu dans le genre de Fleet Foxes... » — Non, je ne connais pas.
Si ma vie devenait subitement passionnante, ce blog s'arrêterait-il brusquement de déverser sa rivière quotidienne de pessimisme ? À vrai dire, dans l'hypothétique cas où tout irait bien dans ma vie, il se pourrait même que ce blog s'arrête de déverser quoi que ce soit et ferme à jamais ses balises, tant l'inoccupation et l'ennui sont de très puissants moteurs d'écriture. — À tous ceux qui trouvent un quelconque plaisir à me lire, s'ils existent : pour votre bonheur personnel, priez je-ne-sais-quelle-entité pour que je m'emmerde jusqu'à la fin de mes jours !
Je demande à Maïté, debout à côté de moi contre un des flancs du chapiteau, quel est l'intérêt de toutes ces simagrées. Elle me répond que certains enfants apprécient le fait d'être au centre de l'attention (d'autres, par contre, sont mal à l'aise, voire au bord des larmes). D'accord, et à part ça ? Du côté des parents, l'intérêt est souvent purement égoïste : il s'agit de regarder son ou ses gamins danser, puis de se lever de sa chaise pour aller acheter des pains saucisses et des bières. La preuve : au début de la première partie le chapiteau est rempli jusqu'à ras bord, alors que sur la fin il est aux trois quarts vide : les familles regardent leurs mioches puis se cassent en courant.
J'en viens à imaginer un tout autre genre de spectacle, durant lequel les petits enfants danseraient sur des musiques bruitistes expérimentales (comme Merzbow), sur de très longues plages post-rock, ou encore sur du trash metal... Sur fond de guitares hurlantes, les bambins sacrifieraient trois chèvres au milieu du podium et les déposeraient, sanglantes et encore chaudes, sur un pentacle dessiné à la craie à même le sol, afin de satisfaire les désirs de mort de Béhémoth... Maïté suit ma logique et me demande : « Comment s'appelle-t-il encore, ton groupe allemand, là, Einstürzende... ? » « Haaaa ! Einstürzende Neubauten... Très bon choix ! » On donnerait aux gosses des perceuses et des scies sauteuses à l'aide desquelles ils devraient improviser une musique industrielle... Une danse enfantine sur « Armenia », ça aurait une de ces gueules ! (Il faudrait cependant prévoir une cellule psychologique, pas loin de la scène, afin de gérer les nombreux cas de chocs post-traumatiques). Sind die Vulkane noch tätig?
La discussion ne s'arrête pas là car j'apprends, je ne sais trop comment, que le premier vendeur participe à des reconstitutions médiévales. Je déteste les reconstitutions médiévales, mais je ne peux m'empêcher de lui lâcher (sans doute pour faire le malin) : « C'est amusant ! Je suis justement historien du Moyen Âge... » Il s'en fout complètement mais me signale, tout fier, qu'il suit une formation accélérée de six semaines pour être « moyenâgiste ». Je lui souhaite bonne chance dans son apprentissage et il me répond en guise d'au revoir : « J'espère que ça ira. Ça me coûte 650 euros ! » (Bigre ! Ce n'est pas donné, de nos jours, d'être un « moyenâgiste » !)
Mais on s'en fout un peu de notre vie, hein ?
Non ?
Plus intéressant : Léandra m'explique l'histoire qu'elle a rêvée la nuit dernière... Elle faisait partie d'une sorte d'équipe sous-marine (?) menée d'une main de fer (du moins au début) par le vieux Lewis (c'est-à-dire le président de mon ancien club de badminton — une précision pour ceux qui débarquent car les autres connaissent le bonhomme, évidemment). La situation lui fait penser au film d'aventures Les Goonies et est clairement inspirée de ses activités et lectures du moment (Le Scarabée d'or d'Edgar Allan Poe, entre autres). Au début du rêve, Lewis est en forme et mène vaillamment l'équipée mais, au fur et à mesure de l'escapade, perd peu à peu son souffle ainsi que son leadership. Léandra se souvient, presque gênée, de la conclusion : « À la fin, il était tellement épuisé que nous l'avons laissé tomber et avons continué l'aventure sans lui, en le laissant derrière nous... Je crois qu'il est mort seul. » — C'est MOI qui aurais dû faire ce rêve !
La dulcinée. — Ma grand-mère me demande : « Toujours pas de dulcinée ? » Je lui réponds : « Non. Je n'aurai plus jamais personne. » « Pourquoi dis-tu ça ? Tu n'es pourtant pas un monstre ! » « Si. Presque. » « Il y a que tu es extrêmement difficile, voilà ce qu'il y a ! » D'abord je nie, et ensuite je lui décris quelques uns de mes critères de recherche comme : les yeux en amande pétillants d'intelligence et d'ironie, ce genre de choses toutes simples, quoi... Mais j'en viens tout de même finalement à l'idée que oui, peut-être que je suis un tout petit peu exigeant (en plus d'être un monstre, cela va de soi).
Le « dulciné ». — Ma grand-mère toujours : « Et un homme avec des yeux en amande, ça n'irait pas ? » — C'est la troisième fois en moins d'un mois (sans rire) qu'un membre de ma famille me demande si je ne devrais pas passer de l'autre côté du miroir, autrement dit changer d'orientation sexuelle. Je me demande ce qui, dans mon comportement actuel, leur a donné cette idée saugrenue de coming out. Peut-être le fait que je suis célibataire depuis très longtemps ? — Bon, t'es bien gentille Bobonne, mais aux dernières nouvelles, ce sont toujours des femmes (et uniquement des femmes) qui hantent la totalité de mes fantasmes...
Crampe mentale. — À l'origine de nombreux questionnements d'ordre philosophique, ce terrible constat : la seule chose dont je suis absolument certain, c'est de ma propre conscience. Je reçois des informations de différents types (visuel, auditif, olfactif, gustatif, tactile, en un mot sensoriel) et je les organise, analyse, catégorise, etc. L'existence de mes propres organes — directement visibles (mes mains, mes pieds...) ou non (mon cerveau, ma vésicule biliaire...) —, n'est pas certaine. Autrement dit : même mon corps tel que je le vois et le ressens ne pourrait être qu'une image et une sensation. — Pire : c'est une image et une sensation, dont la source se trouve dans mon cerveau (c'est du moins ce qu'énonce l'énorme majorité de la littérature à ce sujet). Les idéalistes « à l'extrême » n'ont eu de cesse que d'exprimer cette évidence (mais alors pourquoi et pour qui l'exprimaient-ils ?) ; les matérialistes, quant à eux, ont essayé de la réfuter, de prouver l'existence d'un monde extérieur à eux-mêmes (ou plutôt à moi-même)... Quelle que soit la philosophie proposée (idéaliste ou matérialiste, ou bien un complexe mélange des deux, ou autre chose encore), cette tendance à infirmer ou confirmer la présence d'un monde en dehors de soi-même semble découler d'une angoisse fondamentale liée à la nature des données sensorielles reçues. — La seule manière de m'en sortir, d'arrêter ce flux de réflexions obsédantes et stériles, est de penser que, jusqu'à présent, tout ce que j'ai observé est conforme à l'idée que je m'en fais... Jusqu'à présent, si j'agis de telle façon sur mon environnement, celui-ci prendra en compte, de manière totale, l'action effectuée. Que toute cette vision grouillante de vie soit une idée ou au contraire une réalité physique est somme toute annexe et n'enlève rien au fait que le Monde dont j'ai la chance de recevoir quelques maigres données (et sur lequel je peux laisser une très légère empreinte) est extraordinaire à tout point de vue.
Par le plus grand des hasards, la maquilleuse possède à peu de chose près le même tee-shirt que Gaëlle : une marinière blanche et rouge. Seules différences : les coutures à l'épaule et l'absence d'un dessin représentant Hello Kitty sur le vêtement de la dame.
Gaëlle veut se transformer en tigresse. À la fin du grimage (très réussi), la maquilleuse lui demande si elle désire des paillettes. Réponse de ma fille : « Non, non, pas de paillettes car les vraies tigresses n'en ont pas ! » La collègue d'à côté s'arrête brusquement de travailler et demande à Gaëlle, interloquée : « Est-ce que je peux avoir ton prénom et ton adresse ? Un enfant qui refuse les paillettes, c'est extrêmement rare... » Et la maquilleuse de Gaëlle d'ajouter : « Elle ne va pas suivre des chemins ordinaires, votre fille... » — Le destin du Monde est-il contenu dans ce court moment, en apparence anodin, durant lequel Gaëlle a refusé obstinément qu'on lui mette des paillettes sur le visage ?
Pendant ce temps, mes parents font un tour du côté de la scène « Idéaux beurre noir » (encore un jeu de mots de malade, wouhou !), un combat de boxe qui prend place sur un ring loufoque... À leur retour, ma mère est toujours aussi énervée : « Et comment je vais ravoir le maquillage ? Elle en a aussi sur les yeux, ça risque de lui piquer... Et patati, et patata... » (Soupir.)
Dans la cour de récréation, un petit garçon que je ne connais pas me montre du doigt et crie à Gaëlle : « Hé ! Ton papa est là ! » Gaëlle partie chercher ses affaires, le même me lâche : « Ce week-end, c'est cool. On n'a pas de devoir parce que ce lundi, c'est une journée spéciale ! » (Il fait allusion à la fancy-fair.) Ensuite, il se présente : « J'suis Haruna, M'sieur ! » « Ha oui, Haruna... Gaëlle m'a souvent parlé de toi. » « Normal, me répond-il, je suis son nouvel amoureux ! » Gaëlle revient avec sa (trop) grosse mallette. Je veux dire au revoir au petit garçon, mais il est déjà occupé à jouer avec d'autres enfants. Sympa l'amour à cet âge-là ! (À cet âge-là ?)
Gaëlle explique, dans le jardin familial, le fonctionnement de son appareil photo au gamin de la voisine d'en face, de deux ans son cadet : « Si tu veux faire une photo, tu appuies là. Si tu veux filmer, tu dois faire comme ça. Là, c'est pour regarder les photos que tu as déjà faites. Tous les autres boutons, c'est pas pour toi ! Mais tu peux faire ce que tu veux comme photo... Non, attends ! Il faut attendre ! Non, tu ne pousses pas assez fort ! Attends ! Il faut pousser, pousser jusqu'à ce que ça fasse "clic" ! Là, tu vois, ça a fait la photo, maintenant. C'est bien. Tu apprends vite ! »
Comme chaque vendredi que je passe en famille, j'ai droit à Money Drop, cet horripilant jeu de TF1 présenté par Laurence Boccolini, où deux participants (un couple, deux amis, deux sœurs, etc.) tentent désespérément de sauver les 250.000 euros qu'on leur donne initialement. Ils doivent disposer l'argent sur un des quatre plateaux-réponses ; si la réponse n'est pas celle du plateau, l'argent qu'ils y ont placé est perdu à jamais... Une des questions concerne l'animal, du nom de Zarafa*, que le vice-roi d'Égypte Méhémet Ali donna à Charles X en 1827 : était-ce une girafe, un panda, un koala (pfff...) ou un chimpanzé ? Ma mère penche pour un chimpanzé, mais Gaëlle la reprend : « Non, c'est sans doute une girafe, parce que "Zarafa", ça ressemble à "Girafe"... » — Alors, là, bravo : trouver la bonne réponse sur base d'une comparaison de sonorités, je trouve ça pas mal du tout, surtout à six ans !
Sans aucun intérêt, je vous avais prévenus !
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* C'est en tout cas le nom que lui donne l'auteur américain Michael Allin dans son livre Zarafa: A Giraffe's True Story, from Deep in Africa to the Heart of Paris (1998).
Écoutée des dizaines de fois : la très mélancolique « Animals », narrant l'ambiance de décrépitude dans laquelle est plongée l'Angleterre chaque samedi soir, lorsqu'une partie de la population descend sur les centres urbains avec pour seul et unique objectif de boire le plus possible et de faire n'importe quoi. Talbot se sent étranger à ce monde fait de bières et de senteurs d'urine : « I wish I could be like them and I try, but I find it more rewarding to walk along the river, picturing my body discarded in the water. » Oh, comme je le comprends... Sur son blog, dans un article intitulé « Booze Britain », il argue que les Espagnols, les Italiens et les Français (mais je suppose qu'il engloberait sans problème les Belges) n'ont pas ce problème de violence urbaine liée à l'alcool. Je ne connais pas l'ampleur de la situation en Albion, mais pour avoir déjà vu le centre-ville de Bruxelles un samedi soir ainsi que le comportement de certains amis d'anciens amis français, de passage en Belgique, j'aurais tendance à dire que nous ne sommes quand même plus très loin de cette culture-là...
Rencontre du troisième type. — Le troisième type, c'est Vinge. Je ne l'ai plus vu depuis... euh... le 3 août 2011, apparemment. Il me rejoint au Starbucks de la gare de Bruxelles-Central et, comme il fait délicieusement bon dehors, nous laissons tomber l'idée de nous enfermer à la Porte Noire et nous dirigeons à pied vers la terrasse du Potemkine : « Y a plein de mes collègues là-bas... Travaillent à la justice... Ouaip... Elles sont top biches... Ouais... Quoi ? » (Le « Quoi ? » en fin de phrase est un de ses plus ou moins nouveaux tics de langage.) Arrivés à la terrasse en question, nous buvons de la Volga forte. Curieux : cette bière est bien meilleure que la Volga classique. Je regarde l'étiquette : normal, elle est brassée à Le Roeulx par la brasserie Saint-Feuillen ! (Bizarre...)
« Putain, mais tu notes tout sur ton vieux téléphone ! Tu devrais t'acheter un carnet ! » (J'en ai un, que Jonas m'a donné, mais il est trop voyant.)
À l'écoute de ces sujets de discussion, Sylvette se tient la tête entre les mains puis propose, résignée : « Franchement, il faudrait écrire ces conversations dans un carnet... Ou bien dans un blog. » Je réponds : « Dans un blog, c'est déjà le cas. » Mais personne ne tique... — De temps en temps, j'en viens cependant à me demander si certains de mes collègues ne me lisent pas régulièrement en « cachette »... Car c'est une manie récurrente des lecteurs de ce blog que d'essayer de me cacher qu'ils me lisent. Peut-être d'aucuns sont-ils quelque peu honteux de regarder à l'intérieur de la vie de quelqu'un d'autre ? Ou bien, plus sûrement, trouvent-ils que mon écriture perdrait de sa franchise si je savais qu'ils me lisent ?
Plus tard, durant une heure environ, Bob et sa copine viendront nous faire un petit coucou. Cette dernière, psychologue de formation, vient de démissionner d'une maison d'accueil pour enfants tenue par une sorte de psychopathe qui, entre autres sévices, fait dormir les gamins sur l'escalier lorsqu'ils font pipi au lit. « Une plainte est en cours », nous rassure-t-elle.
La soirée se termine un peu avant minuit... Je suis très fatigué, je n'ai pas envie de marcher. En attendant mon bus, les extrasystoles recommencent. Ambiance !