Réveil difficile

Ce matin, je me lève du mauvais pied. Ou plutôt : je ne me lève pas du mauvais pied car je n’entends aucun de mes deux réveils (programmés pour sonner à 6h16 et 6h32). Je suis réveillé par un coup de fil de ma collègue Charlotte à... 9h30 ! Je ne comprends pas : je ne me souviens même pas avoir éteint les réveils à un moment donné de la nuit ou de la matinée. Pourtant je les ai éteints, vu qu’ils sont tous les deux en position "off". Je m’excuse platement au téléphone et décide (pas trop le choix) de prendre une matinée de congé. Je suis vraiment fatigué ces temps-ci (les vacances à Stavelot ne m'ont pas du tout reposé). La grande bouteille de vin offerte par Térence hier et bue jusqu'à plus soif avec Léandra n’a sans doute pas arrangé les choses. J’ai reçu un message clair de la part de mon corps : "Aujourd’hui, fieu, pas question de dormir seulement 4 heures : je me repose, coûte que coûte". Quand je me réveille, je suis gêné mais néanmoins vraiment reposé, en effet. J’ai la tête un peu lourde et j'ai dormi d’un sommeil sans rêve. 

Dans le train avançant à travers la pluie et la plate campagne, je tombe sur des wagons remplis de scouts, flamands de surcroit (pourquoi sont-ils dans ce train un mercredi à 10 heures du matin ?). Dans le wagon où j’écris en ce moment, ils sont au moins six sizaines (pourquoi leurs groupes sont-ils organisés sur base de l’ignoble chiffre 6 ?), voire une meute entière (pourquoi n’utilisent-t-ils pas le terme "troupeau", plus approprié ?). Pourquoi font-ils les malins ? Pourquoi ouvrent-ils les poubelles bruyamment ? Pourquoi écoutent-t-ils de la musique de merde ? Pourquoi se mettent-ils n’importe comment sur leur siège ? Pourquoi le scoutisme existe-t-il ? Pourquoi suis-je de si mauvaise foi ? 

Toutes ces questions me font penser à mon boulot : actuellement, on – enfin, surtout mon chef Lodewijk – réalise un travail sur l’histoire des maisons de jeunes, en collaboration avec la Communauté française de Belgique, ou plutôt la "Fédération Wallonie-Bruxelles", comme il faut désormais l’appeler (c’est "chouette", on va devoir changer les logos et les appellations sur nos dépliants, sur notre site Web, sur notre correspondance, etc.). De nombreuses interviews d’anciens responsables de maisons de jeunes ont été réalisées. À la question : "Quelle est la différence entre une maison de jeunes et un mouvement de jeunesse comme le scoutisme ?", les interviewés répondent tous pas une phrase du genre : "Oh, vous savez, les scouts sont beaucoup plus encadrés par une obligation d’être présents et par des règles strictes, alors que dans les maisons de jeunes, quand j’y travaillais du moins, c’était un peu le bordel intégral". C’est sans doute vrai, mais ayant déjà été dans une maison de jeunes dans les années 90 quand j’étais adolescent (un de mes amis y donnait des concerts avec son groupe de métal), je trouvais l’ambiance vachement plus sympathique (et na !). 

Durant le repas de midi, Charlotte parle d'une de ses tantes qui avait une phobie maladive des pigeons. Cette peur panique a même un nom : la colombophobie. Pour remédier à cela, d'après Charlotte, son thérapeute lui a donné un pigeon empaillé (!), que la pauvre tante a dû placer dans un endroit fréquenté de sa maison. C'était une thérapie de choc, censée la mettre en face de sa peur pour la vaincre, et ça a marché ! C'est incroyable de se dire que ce médecin avait dans une de ses armoires un pigeon empaillé, et je serais curieux de savoir comment il s'y serait pris si la tante en question avait eu peur des éléphants... Plus tard dans la discussion, Charlotte (toujours elle) parle d'un jour de dépouillement à la Bibliothèque nationale de France (BnF) où le numéro de clé de son casier/vestiaire était le 666. Pour rigoler, elle dit au gars de l'accueil : "Espérons qu'il ne va pas arriver une malheur". Quand elle s'en va, la BnF est fermée car il y aurait un feu apparemment dû à des fils électriques, en dessous de la route. L'Enfer était-il en train de se réveiller ? Je n'en sais rien mais j'ai une autre question : dans quel monde vit-elle, ma collègue ?

* * *

En soirée, je retourne à la Maison du Peuple de Saint-Gilles. C’est presque devenu mon quartier général, ce café. Ne manque plus qu’une petite table au nom d’Hamilton, avec une prise électrique personnelle, ou – mieux encore – une table ronde estampillée "Dream team", disposant de cinq chaises d’ébène avec nos cinq prénoms finement gravés sur les dossiers. Je m’imagine déjà, arrivant avec mon PC, un Orval à la main, et déclarant, hautain, à un groupe de Français : "Désolé, Messieurs-dames, mais cette table nous est réservée. Je vais vous demander de partir sur-le-champ".

Emily est déjà présente dans le fond du café avec son PC portable. Elle n’arrive pas à capter le Wi-Fi et remballe son ordinateur. Léandra débarque à notre table une minute plus tard. Elle discutait près de l’entrée du café avec Perrette. Je ne les avais pas vues. De toute façon, j’étais censé les laisser tranquilles mais Léandra nous invite à la table (elles ont eu l'occasion de "discuter à deux"). On profite donc du soleil de fin de journée pour aller boire un verre en terrasse.

Perrette, c’est la compagne d'Igor. Vu que je ne fréquente pas/plus (biffer la mention inutile) ce dernier, je ne la connais pas bien, à l'inverse de Léandra. Perrette travaille actuellement sur un doctorat en anthropo-musicologie. (À moins que ce ne soit en musico-anthropologie ? Peu importe : c’est un peu schtroumpf vert et vert schtroumpf, non ? Peut-être pas en fait.) Sa thèse porte sur l’étude d’un chant traditionnel laotien. Comme tout anthropologue qui se respecte, elle se rend périodiquement au Laos pendant de nombreux mois. Perrette est pour le moins originale : un mélange de timidité et d’assurance ; d’intelligence et de bonne humeur. Elle est aussi assez fatiguée ce soir (qui ne l’est pas ?).

Dans la conversation, on évoque Pol Caca : comment il vécut, comment il est mort. Léandra explique le contexte et le lieu de son décès. On parle aussi de la nouvelle chienne de Matys, du nom de Valentine (elle est née un 14 février), beaucoup plus petite que le précédent mais au visage tout aussi écrasé. On discute de musique (Léandra  adore le violon ; Perrette aimerait se mettre à la clarinette – ça rime !). Pendant la discussion, un nombre ahurissant de musiciens viennent jouer sur le Parvis : deux accordéonistes, un clarinettiste (justement) et un guitariste ainsi que, plus tard, la violoniste avant-gardiste à la voix stridente. Pourquoi les accordéonistes se sentent-ils obligés de massacrer les mélodies de Nino Rota ? Cela reste, encore aujourd’hui, un des plus grands mystères de l’existence.

Perrette s’en va. Léandra s’en va, non sans avoir mentionné la présence sur Wikipédia d’un article sur Melon et Melèche et sur les blagues de Toto (Léandra a un boulot passionnant pour le moment). Je reste avec Emily à boire de l’Orval plus que de raison. On discute de préparer le voyage à Disneyland® Paris. Ce sera le cadeau de Gaëlle pour ses six ans en octobre. On suppose qu’elle adorera l’ambiance d’Halloween®, avec Mickey®, Donald®, le château® de la Belle® au bois® dormant®. C’est Emily qui amène le sujet mais elle n’aurait peut-être pas dû car la période septembre-octobre ravive chez elle des souvenirs noirs et douloureux. "C'est la vie", dira-t-elle, citant sans le savoir et avec à-propos le Billy Pèlerin d’Abattoir 5 de Vonnegut. Je suis triste de la voir comme ça et je ne sais pas quoi lui dire. Je lui lance sans conviction un "C'est juste un mois comme un autre" qui tombe comme un cheveu dans la soupe.

Vers la fin de la soirée, Emily me fait remarquer que Vinge est à une table voisine. Apparemment, il ne nous a pas vus. Il discute avec un gars que je ne connais pas. On attend un peu avant d’aller lui parler, mais on finit par s’asseoir à leur table pendant une grosse demi-heure. Le gars en question, du nom de Juan-Flippo, est un de ses meilleurs amis d’enfance (ils ont grandi tous les deux du côté de Gosselies). Juan-Flippo travaille pour les socialistes à Charleroi (Vinge ne dit rien à ce sujet, alors que d’habitude, il n’arrête pas de critiquer les socialistes) et a déjà été au Québec, en 2002 (on parle un peu de nos expériences communes dans cette belle région). Au début de la discussion, il me lance en désignant Vinge : "Pas facile d’être l’ami de ce zouave, hein ?". Il a bien raison. Vinge est beaucoup plus calme aujourd'hui, cela dit. Quand je lui parle de la dernière soirée que j’ai passée avec lui, durant laquelle il était totalement fou, il me reparle des appels d’offres et de ses tests au Selor (au secours !). Vinge paie un verre. Emily et moi nous en allons peu de temps après (elle me reconduira en voiture chez moi), laissant les deux amis discuter entre eux (mais jusqu’à quelle heure sont-ils restés ?).

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