Les morts ne votent pas

Réunion  d'information à destination des présidents de bureau de vote ce matin, à Bruxelles.

« Mauvaise nouvelle ! », déclare notre formateur en début de réunion. « Il y a une activité sportive ce samedi, donc contrairement à la fois dernière, vous n'avez pas le droit de vous garer sur le parking. »
Soupirs dans le public. Plusieurs dizaines de personnes se lèvent et sortent de la salle, clé de voiture en main. Dix minutes plus tard :
« Tout le monde est revenu ? Y a-t-il des gens dans l'assistance qui sont mal garés ? »
Une dame lève la main.
« C'est vrai, vous êtes mal garée ? Bon, notez votre numéro d'immatriculation sur un papier. Je viens d'avoir le commissaire au téléphone, il fera sauter le PV si vous en avez un... Même chose pour ceux qui ont dû mettre de l'argent dans un parcmètre. Nous en avons ici pour deux-trois bonnes heures, donc si vous n'avez pas mis assez d'argent dans la machine, c'est pas grave : vous n'aurez pas d'amende. »
Plusieurs personnes se regardent et chuchotent, incrédules : « Hein ? Deux-trois bonnes heures ? »

« Vous devez arriver à sept heures dans votre bureau de vote. Sept heures. Pas sept heures et demi : sept heures. Ne passez pas votre temps à aller chercher des pains au chocolat et du café pour vos assesseurs, hein... Nous nous en chargeons. Oui, nous nous en chargeons désormais, parce qu'un jour, un président a eu la bonne idée de passer par une pâtisserie avant d'arriver dans son bureau de vote. Résultat : il est arrivé à huit heures parce qu'il y avait une file ! »

« Le bureau de vote est ouvert en permanence, de huit à seize heures. Ça peut paraître évident mais ça ne l'est pas toujours, puisqu'un jour, un président de bureau a décidé d'aller au restaurant avec ses assesseurs sur le temps de midi. Il avait laissé une pancarte sur la porte : "Bureau fermé". À son retour, il y avait une file énorme, évidemment ! »

« Il y a une question qui se pose de temps en temps, c'est celle du voile : est-ce qu'une assesseure peut porter le voile ? Le ministère n'a pas rédigé de consigne claire à ce sujet. Tout au plus dit-il qu'il ne faut pas mettre en avant ses convictions philosophiques. Mais c'est très flou, tout ça. En fait, le ministère ne se positionne pas vraiment. Mais si une assesseure arrive voilée, est-ce grave ? Est-ce important ? Vous savez, ça fait trente ans que je suis responsable du bon déroulement des élections, et j'ai connu des curés qui venaient voter après la messe sans s'être changés. Ou des bonnes sœurs en habits de bonnes sœurs... Voilà... Tout cela n'a pas vraiment d'importance. En fait, il n'y a aucun problème. »
Petite pause, puis :
« Ha si, parfois, il peut quand même y avoir un problème : un collectif d'électeurs qui se plaint qu'une assesseure soit voilée. C'est déjà arrivé une fois, c'était le bazar dans le bureau de vote. Ils peuvent même faire circuler une pétition, ou bien remettre une lettre expliquant leur motivation. En tant que présidents, vous êtes chargés de la police dans votre bureau. Ce qu'il faut faire quand ça arrive, c'est prendre le document, le noter dans le PV et leur dire que la juge de paix sera informée de la plainte. En dernier ressort, c'est à elle de décider du bien-fondé de tout ça... »

« Et que se passe-t-il si un électeur veut faire un selfie dans l'isoloir, avec son smartphone par exemple ? », demande un homme au premier rang.
« Ha, eh bien figurez-vous qu'il y a quelques jours, j'ai reçu une note hilarante du ministère à ce sujet. Hilarante... Bon, je vous résume la chose : grosso modo, il faut faire en sorte que ça ne soit pas possible. Ne me demandez pas comment ! »
(Rires dans la salle.)
« Ha, il y a peut-être un truc quand même : c'est de regarder si les pieds de l'électeur sont tournés du bon côté... »
(À nouveau des rires.)
« Parce que bon, si le gars fait un selfie dans l'isoloir, c'est sans doute pour se photographier avec le résultat du vote sur l'écran de l'ordinateur, sinon ça n'a pas vraiment de sens... Le gars, il ne va pas se dire : "Ha, chouette, je vais me photographier dans l'isoloir" ! Et il ne va pas non plus tourner toute la machine pour se prendre en photo avec les pieds dans le bon sens, donc bon... S'il a les pieds tournés, c'est qu'il y a une raison. Mais tout compte fait, est-ce grave ? Le secret du vote n'est pas préservé dans ce cas précis, certes, mais c'est plus lui que ça regarde. C'est un peu comme si le gars se rendait au café après l'élection et criait aux autres clients : "Hé, moi, j'ai voté pour lui, ha-ha !"... »

« Les listes d'électeurs ont été arrêtées le 28 février. Entretemps, il y a eu des rectificatifs. Vous aurez donc le jour du scrutin une liste qui reprend les électeurs qui ne peuvent plus voter parce qu'ils ont été déchus de leurs droits civiques. Il y a aussi ceux qui sont décédés. Leur nom est sur la liste, mais eux, évidemment, vous ne risquez pas de les voir débarquer. »

Conclusion : être président de bureau de vote, c'est à coup sûr avoir plein de bonnes histoires à raconter. Une expérience intéressante sur une longue liste d'expériences intéressantes donc.

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