« C'est une pulsion »

Conchita. — J'ai décidé de prendre un jour de congé ce lundi. Un lundi ? Pauvre de moi ! J'ai oublié, inconscient que je suis, que tous les lundis matin, la femme de ménage passe désormais trois heures dans mon (ou plutôt notre) appartement pour tout nettoyer ! — Elle aurait pu ouvrir la porte de ma chambre et ne pas voir que je dormais ; passer son doux plumeau sur les draps de lit cachant mon jeune (?) corps nu encore endormi et s'apercevoir, au mouvement occasionné par ma lente respiration, qu'un homme se cachait là ! Alors, elle aurait sursauté de surprise et se serait excusée : « Oh ! Señor Hamilton ! Je ne savais pas que vous étiez encore présent en votre demeure ! » Et je l'aurais alors rassurée de ma voix grave et suave : « Non, non, ne t'inquiète pas, ma brave Conchita, je ne suis pas fâché de ta présence, que du contraire ! » Enfin, je me serais levé et lui aurais demandé de lâcher son plumeau pour etc. — Sauf que nous ne sommes pas dans une stupide histoire machiste et paternaliste et qu'au moment où elle est arrivée, j'étais déjà dans le labyrinthe saint-gillois, cherchant avec difficulté un café ouvert pour prendre mon petit déjeuner. (Ce paragraphe me fut soufflé par Léandra et Andrew qui trouvèrent, je cite, « très amusant » que j'homard j'écrivisse cette obscénité dans mon journal.)

Lewis. — Je téléphone à Lewis, après de longs mois de silence : « Je ne sais pas pourquoi je ne t'ai plus appelé, lui dis-je tout de go, mais je ne sais pas non plus pourquoi je t'appelle aujourd'hui.
— Ça ne s'explique pas, me répond-il, c'est une pulsion. »
Lewis ne se vexe pas des vérités : c'est un monsieur intelligent. Quel dommage qu'il n'ait apparemment jamais pu s'empêcher d'utiliser son cerveau pour manipuler les autres ! Mais il est trop vieux pour changer désormais : la manipulation fait partie de son être. (Parfois, je me demande s'il est possible d'oublier l'art de manipuler si l'on traverse en sa compagnie, et avec succès, le cap de l'enfance.) Il m'explique qu'il ne va pas bien, ni physiquement (le cœur), ni psychologiquement (aucune femme pour tendrement partager avec lui un musée, un voyage, sa couette...). Toutes les rencontres qu'il fait en ce moment sont mornes et futiles : il ne peut rien échanger avec ces dames-là... À peine savent-elles qui est Michel-Ange ; tout au plus peuvent-elles lui apporter un peu de sexe, mais sans aucune attache... — Évidemment, cet échange téléphonique me touche ; il m'a d'ailleurs touché dès le moment où j'ai décidé de composer le numéro.

Nocturne. — À la nocturne, chez Filigranes, avec Léandra et Andrew. Au centre de la librairie, un cocktail mondain permanent où tout le monde s'accueille, vin rouge à la main, à grandes envolées de « Comment ça va, mon cher ? » Heureusement, au-delà du centre névralgique, c'est tranquille : le rayon Philo est désert (les quelques personnes qui s'y rendent cherchent en réalité le rayon Jardinage) et le rayon BD complètement abandonné. Léandra me montre une série de manuels pour apprendre à dessiner : « Ça pourrait t'intéresser ! », me lance-t-elle, mais tout compte fait non : chaque chose en son temps ; je reste dans mes montagnes !

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