Archives mensuelles : août 2014

Heisenberg 3

Schrödinger VS Bohr. — Telle que racontée par Werner Heisenberg1, la première rencontre entre Niels Bohr et Erwin Schrödinger pourrait presque faire l'objet d'un sketch comique : en 1926, Schrödinger est invité à l'université de Munich pour faire un exposé sur la fameuse équation (permettant de calculer la fonction d'onde) qu'il vient alors de publier. Mais son interprétation de la mécanique ondulatoire, censée mettre un terme aux aspects les plus déroutants — voire carrément absurdes pour le sens commun — de la mécanique quantique, ne rencontre pas l'approbation de Heisenberg, présent dans le public, qui fait rapidement part de ses inquiétudes dans un courrier envoyé à Bohr. Au mois de septembre de la même année, ce dernier invite donc Schrödinger (et Heisenberg par la même occasion) à Copenhague pour discuter des détails de la nouvelle théorie. La lutte intellectuelle entre les deux hommes, défendant chacun une interprétation différente du comportement de l'électron au sein de l'atome, débute quasiment dès l'instant où Schrödinger descend du train (ce détail, en lui-même, est déjà très amusant). La discussion continue ensuite littéralement durant tout le temps d'éveil des deux hommes : du petit matin jusque tard dans la nuit. « Et cette fois Bohr, bien qu'il fût par ailleurs quelqu'un de particulièrement aimable et compréhensif dans les rapports humains, me fit presque l'effet d'un fanatique, en ce sens qu'il n'était pas prêt à faire la moindre concession à son partenaire ou à admettre le moindre manque de clarté. » À l'époque, Schrödinger semble considérer avec la plus grande méfiance les phénomènes discontinus observés au cours d'expériences comme celle de la chambre de Wilson... Ou plus exactement : il n'est pas satisfait de l'interprétation qu'en donnent Bohr et son « école » — celle que Heisenberg nommera a posteriori l'« interprétation de Copenhague », bien qu'il ne s'agisse pas d'un groupe partageant strictement les mêmes vues... H. prête à Schrödinger les paroles suivantes : « Si ces damnés sauts quantiques devaient subsister, je regretterais de m'être jamais occupé de théorie quantique. » Ensuite, l'invité tombe malade et doit rester au lit. Et (c'est là le plus comique) Bohr ne démord pas : il reste au chevet de Schrödinger pour essayer de le rallier à son point de vue, alors même que sa femme est au petit soin pour le malade, lui apportant « du thé et des gâteaux ». — La science passe avant tout autre problème (même de santé), que voulez-vous mon bon monsieur ?

Dirac le perfectionniste. — Une anecdote de Niels Bohr sur Paul Dirac, citée par Heisenberg (ce qui fait tout de même beaucoup d'intermédiaires)2 : « Récemment, je me trouvais avec Dirac dans un exposition de peinture ; il y avait là un paysage italien de Manet, représentant une scène au bord de la mer et peint en couleurs gris-bleu magnifiques. À l'avant-plan, on voyait un bateau, et à côté de celui-ci, dans l'eau, un point gris foncé dont la présence semblait difficile à justifier. Dirac me dit : "Ce point n'est pas admissible." » — Bon sang, il faut absolument que je me procure une biographie de ce type3 !

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1 Werner Heisenberg, La partie et le tout..., p. 130-139.
2 Ibidem, p. 155.
3 Je viens d'apprendre qu'il en existait une toute récente : Graham Farmelo, The Strangest Man: The Hidden Life of Paul Dirac, Mystic of the Atom, Basic Books, 2011.

Heisenberg 2

Le violoniste du château de Prunn. — L'évocation par Werner Heisenberg de ses années de jeunesse1, dans le climat chaotique de l'immédiat après-guerre, ressemble par moment à un tableau romantique : au printemps 1919, avec d'autres adolescents, il est nommé agent de liaison pour les troupes occupant Munich. Lui et ses amis mènent alors pendant un court moment « une vie d'aventures marquée par une très grande liberté ». Seul, après une nuit de garde au central téléphonique, il lit les Dialogues de Platon, éclairé par les premiers rayons du soleil, sur le toit du séminaire de la Ludwigstrasse (élu quartier général des troupes temporairement stationnées dans la ville) ; plus tard, en groupe, il participe à des promenades bucoliques en forêt, dont une le long de la rive ouest du lac de Starnberg, au printemps 1920, durant laquelle lui et quelques-uns de ses amis se mettent à parler des atomes et de leur représentation dans les manuels scolaires. — Mais l'épisode le plus romantique est sans conteste celui de l'escapade au château médiéval de Prunn : tout commence avec un jeune homme qui aborde Heisenberg dans la Leopoldstrasse, à Munich, et l'invite à un rassemblement de nature politique au château de Prunn. La semaine suivante, H. décide de s'y rendre, en train, accompagné de son ami Kurt. Le climat romantique est planté : un vieux château fort installé sur un promontoire rocheux dominant la vallée de l'Altmühl, avec non loin une clairière dans laquelle ils passeront la nuit, éclairés par les feux de bois et bercés par un mélange de musique classique et de vieux chants populaires. — Heisenberg raconte les nombreuses heures passées, jusqu'à la tombée de la nuit, dans la cour du château, à écouter divers orateurs parler de l'avenir de l'Allemagne et de l'humanité, du sort de la jeunesse, des nouvelles valeurs, etc. Il explique que, pour lui, ces heures de débats manifestaient une tendance au désordre : les discours étaient passionnés, mais contradictoires, éclatés ; ils n'arrivaient pas à trouver « un chemin vers le centre ». Ensuite arrive un jeune violoniste, au balcon du château, qui se met à jouer la chaconne de Bach sous le clair de lune. Silence dans la cour du château. Et ce commentaire de l'auteur : « Les notes claires de la chaconne étaient comme un vent frais déchirant le brouillard et faisant apparaître les structures nettes cachées derrière celui-ci. » En quelques minutes, un seul violoniste avait atteint ce centre que de longues heures de discussion n'étaient jamais arrivées à trouver. (Une page plus loin, on apprend que ledit violoniste est aussi un joyeux drille amateur de calembours.)

Dirac, super-héros discret. — De toutes les personnalités évoquées dans le livre de Heisenberg, c'est de loin celle du mathématicien et physicien britannique Paul Dirac que j'ai le plus appréciée. Il se dégage de la description qu'en fait H. l'image d'un homme honnête, détestant les compromis sociaux, doté d'un esprit logique, froid et implacable (les quelques éléments biographiques glanés sur la Toile confirment cette première impression — note pour plus tard : me procurer à tout prix une bonne biographie de ce personnage). — Lors d'une discussion sur la religion, un soir dans un hôtel bruxellois à l'occasion du congrès Solvay, H. prête à Dirac, alors âgé de vingt-cinq ans, les paroles suivantes2 (lues jeudi dernier, au matin, sur le quai de la gare de Liège-Guillemins, avec un énorme sourire aux lèvres) : « Je ne sais pas [...] pourquoi nous parlons ici de religion. Si l'on est honnête — et, comme scientifique, on doit être honnête avant tout —, on doit reconnaître que la religion contient une foule d'affirmations fausses pour lesquelles il n'existe aucune justification dans la réalité. » Puis, sur l'existence d'une hypothétique entité supérieure omnipotente : « Je ne vois pas en quoi l'hypothèse de l'existence d'un Dieu tout-puissant pourrait nous aider. Ce que je vois, au contraire, c'est que cette hypothèse conduit à se poser des questions absurdes, par exemple la question de savoir pourquoi Dieu a permis le malheur et l'injustice dans notre monde, l'oppression des pauvres par les riches, et toutes les autres choses horribles qu'il aurait pu, après tout, empêcher. » Plus loin encore : « La religion est une sorte d'opium que l'on donne au peuple pour le faire rêver de bonheur et pour le consoler de l'injustice qu'il subit. » Lorsque Heisenberg, beaucoup plus tempéré, lui objecte que ce qu'il aborde dans son discours, c'est l'exploitation politique de la religion et que celle-ci peut, au-delà de cette exploitation, servir de « langage commun permettant de discuter de la vie et de la mort », Dirac lui répond sans ambages : « Par principe, [...] je n'ai rien à faire des mythes religieux, ne serait-ce que parce que les mythes des diverses religions se contredisent entre eux. Ce n'est qu'un pur hasard que je sois né en Europe et non en Asie, et ce n'est pas de ce hasard que peut dépendre ce qui est vrai, donc ce que je dois croire. Je ne peux, en effet, croire que ce qui est vrai. La manière dont je dois agir, je peux la déterminer tout simplement à l'aide de la raison, en me basant sur le fait que je vis à l'intérieur d'une communauté, avec d'autres hommes auxquels je dois reconnaître fondamentalement les mêmes droits que ceux que je revendique pour moi-même. Je dois donc agir avec loyauté, de manière à équilibrer mes intérêts avec ceux d'autrui, et cela suffira ; et tous ces discours sur la volonté divine, sur le péché et la pénitence, sur l'existence d'un autre monde en fonction duquel nous devrions orienter nos actes, ne servent qu'à voiler la simple et rude réalité. La croyance en l'existence d'un Dieu favorise aussi l'idée qu'il faut s'incliner devant une autorité supérieure, parce que cela est "voulu par Dieu" ; et ainsi, il s'agit en fait de maintenir indéfiniment les structures sociales qui étaient peut-être, dans le passé, conformes à la nature des choses, mais qui ne s'ajustent plus à notre monde d'aujourd'hui. Du reste, vos phrases sur les "grandes corrélations" et autres balivernes métaphysiques ne me plaisent pas. » (Amen !) — En fin de compte, c'est Wolfgang Pauli qui clôturera la discussion, sur une note humoristique : « Oui, notre ami Dirac a lui aussi sa religion. Et cette religion a pour premier commandement : "Dieu n'existe pas, et Dirac est son prophète." »

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1 Werner Heisenberg, La partie et le tout..., p. 13-35.
2 Pour une retranscription plus complète de cette discussion, voir : Ibidem, p. 152-155.

Greene 3

Composition avant-gardiste. — Si l'on me demandait quelle est la différence fondamentale entre un mathématicien et un physicien théorique, je répondrais de prime abord quelque chose comme : « Le mathématicien peut formaliser un monde qui n'existe pas tant que celui-ci se tient mathématiquement, tandis que le physicien est obligé de confronter son formalisme au monde réel (quitte à se prendre parfois une belle gifle de la part d'une nature complètement indifférente aux expériences qu'il lui fait subir) ». — Bien qu'il parle évidemment aussi de la nécessité des tests expérimentaux en physique, Brian Greene donne dans son livre une réponse différente : « Les physiciens sont comme des compositeurs avant-gardistes, prêts à se jouer des règles traditionnelles et à frôler les limites de l'acceptable pour atteindre leur but. Les mathématiciens sont comme des compositeurs classiques, travaillant généralement dans un cadre plus restrictif, rechignant à passer à l'étape suivante tant que toutes les précédentes n'ont pas été établies avec la rigueur nécessaire. » (Brian Greene, L'univers élégant1.) — Que cette déclaration émane d'un théoricien des cordes n'est pas étonnant : la théorie des cordes est une construction mathématique qui n'a semble-t-il pas encore vraiment reçu de confirmation expérimentale éclatante (comme ce fut le cas à de nombreuses reprises, et de façon extrêmement précise, pour la relativité générale et pour la mécanique quantique). Peut-être même n'en recevra-t-elle jamais. En tout cas, ce ne sont pas les esprits dubitatifs qui manquent ! (Voir par exemple le livre de Lee Smolin, Rien ne va plus en physique !2 ou encore ce qu'en dit Roger Penrose3.)

Stupéfaction de physicien. — « Une fois que la sphère s'est réduite à un point, le trou noir correspondant — tenez-vous bien — se retrouve dénué de masse. Bien que cela semble complètement loufoque et mystérieux [...], nous verrons bientôt quel rapport cela a avec la physique des cordes. » (Brian Greene4.) — L'air de rien, ce « tenez-vous bien » placé en incise est terriblement amusant. Lisant cette phrase, le commun des mortels (c'est-à-dire grosso modo tout être humain à l'exception du physicien de métier) risque sans doute de se demander pourquoi il faut bien se tenir ! Ce n'est pas un cas isolé : lisant en parfait dilettante des travaux de vulgarisation en physique théorique, je tombe assez fréquemment sur des phrases choc censées stupéfier le badaud. Par exemple, dans de nombreux cas, il convient d'être étonné lorsque le résultat de pages entières de calculs extrêmement compliqués donne zéro ou, pire encore, l'infini, ou bien une inacceptable probabilité négative. — Dieu merci, après de nombreuses circonvolutions tout aussi compliquées (voire plus encore) que les calculs initiaux, toutes ces irritantes singularités sont effacées, contournées... et l'on retombe sur un résultat compréhensible par notre esprit fini. Ouf, on a eu chaud !

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1 Brian Greene, L'univers élégant, Robert Laffont, 2000, p. 297.
2 Lee Smolin, Rien ne va plus en physique ! L'échec de la théorie des cordes, Dunod, 2007. (Livre que je dois encore me procurer !)
3 Voir par exemple : Roger Penrose, À la découverte des lois de l'univers..., p. 853-854 : « Aux yeux de ses plus fervents défenseurs, la théorie des cordes (et ses transmutations ultérieures) est la physique du XXIe siècle [...]. Quant à ses détracteurs les plus virulents, ils considèrent qu'elle n'a absolument rien apporté jusqu'à présent, sur le plan physique, et pensent même qu'il y a très peu de chances qu'elle ait un jour à jouer un quelconque rôle en physique. » (Penrose se situe plutôt du côté des détracteurs.)
4 Brian Greene, L'univers..., p. 358.

Heisenberg 1

Niels, Wolfgang et les autres. — En exergue de l'introduction de son livre La partie et le tout1, Werner Heisenberg cite un passage [I, 22] de l'Histoire de la guerre du Péloponnèse de Thucydide sur la difficulté de rapporter fidèlement un discours (j'ai privilégié ici une traduction différente et non tronquée du même passage2) : « En ce qui concerne les discours que les uns ou les autres ont prononcés à la veille de la rupture ou au cours des hostilités, il était difficile d’en donner le texte exact, aussi bien pour moi, lorsque je les avais personnellement entendus, que pour ceux qui me les rapportaient de telle ou telle provenance. J’ai prêté aux orateurs les paroles qui me paraissaient les mieux appropriées aux diverses situations où ils se trouvaient, tout en m’attachant à respecter autant que possible l’esprit des propos qu’ils ont réellement tenus. » (Thucydide était un pionnier de l'histoire orale !) Cette citation est vraiment très bien choisie, car c'est exactement ce que fait Heisenberg sur environ 400 pages : rapporter, tout en les remettant dans leur contexte, les longues discussions auxquelles il a pris part au sein du monde de la physique atomique, de 1919 à 1965. Tout comme Thucydide, Heisenberg est incapable de retranscrire les mots exacts prononcés par les nombreux protagonistes de son récit. Il est néanmoins un témoin de tout premier plan : il a été l'élève d'Arnold Sommerfeld à Munich, le camarade de classe de Wolfgang Pauli, l'ami de Niels Bohr ; il a discuté avec Paul Dirac, Albert Einstein, Erwin Schrödinger, etc. La partie et le tout est un livre étrange dans lequel les discours reconstitués s'étalent parfois sur plus d'une page, sans aucune coupure, un peu à la manière des Dialogues de Platon, dont le jeune Heisenberg était d'ailleurs un lecteur plutôt assidu — il les lisait en grec pour s'entraîner, au petit matin du printemps 1919, sur le toit du séminaire des prêtres de la Ludwigstrasse. Autre originalité : la plupart des personnes citées dans ce livre sont appelées par leur prénom. Ainsi retrouve-t-on, au fil des pages, l'avis de Niels sur telle ou telle question ou bien les boutades de Wolfgang. Cela donne l'impression de côtoyer de très près ce petit univers de chercheurs, d'être au cœur de leurs incessantes querelles sur l'interprétation du monde quantique. Comme l'écrit H. dans son introduction, « [...] l'auteur s'est attaché à décrire, de la façon la plus exacte et la plus vivante possible, l'atmosphère dans laquelle se sont tenues ces discussions. En effet, cela lui permet de mettre en évidence le processus de création de la science, de faire comprendre comment l'action commune d'hommes très différents entre eux peut finalement conduire à des résultats scientifiques de grande portée. » Le résultat est tout simplement... fascinant !

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1 Werner Heisenberg, La partie et le tout. Le monde de la physique atomique, Flammarion, 2010. [Première édition allemande : Der Teil und das Ganze. Gespräche im Umkreis der Atomphysik, 1969.]
2 Hérodote - Thucydide. Œuvres complètes, traduction d'Andrée Barguet (pour Hérodote) et de Denis Roussel (pour Thucydide). Gallimard, 1964.

Greene 2

Éternel retour cordiste. — Pour être fonctionnelle, la théorie des cordes exige l'existence de dix dimensions : neuf spatiales (dont six enroulées sur elles-mêmes) et une temporelle. Mais « est-il possible que certaines soient, en fait, de nouvelles dimensions temporelles, et non spatiales ? [...] Par exemple, imaginons qu'une petite fourmi trotte autour d'une dimension spatiale supplémentaire qui forme une boucle. Elle se retrouvera perpétuellement à la même position à chaque fois qu'elle aura fait un tour complet. [...] Mais, si la dimension enroulée était une dimension de temps, alors la parcourir entièrement signifierait revenir, après un certain laps de temps, à un instant antérieur dans le temps. » (Brian Greene, L'univers élégant1) — Tenter de concevoir une seconde dimension temporelle est horriblement contre-intuitif : toute mon expérience de la vie m'amène à penser que je chemine en quelque sorte sur une ligne du temps à sens unique (de la naissance à la mort). Néanmoins, je pourrais supposer que cette perception d'une flèche du temps personnelle unidirectionnelle n'est qu'un leurre, un mirage. En fait, je ne peux pas être certain que mon expérience est continue (le spectre de Wittgenstein revient me réprimander : « Oui, mais tu te comportes comme si elle l'était. Quelle différence cela fait-il que tu dises ne pas en être certain ? »). Ce qui donne l'impression que l'expérience est continue, c'est seulement la mémoire qui, tout comme le reste du corps, ne semble se mouvoir que dans une seule dimension temporelle : la mémoire à un instant donné est la conséquence de ce qui s'est imprimé dans mon esprit jusque là ; la cicatrice que j'ai sur la jambe droite est la conséquence de toute une série d'événements, de l'instant où je suis malencontreusement tombé d'un train jusqu'à aujourd'hui, où la blessure s'est résorbée à l'état de cicatrice. Pour que la mémoire et tous les événements du corps aient un sens, il faut qu'ils soient décrits de manière causale. — Mais cela ne signifie toujours pas que je ne pourrais pas revenir en arrière ou vivre constamment le même moment, grâce à une sorte de dimension temporelle cachée, un peu à l'instar de Billy Pilgrim dans Slaughterhouse-Five de Kurt Vonnegut. Si je considère que l'univers est absolument déterministe, ma mémoire ne peut être que ce qu'elle est. Du coup, je ne pourrais pas me rendre compte si je sautais d'un temps à l'autre de manière discontinue, car ma mémoire à un moment donné ne m'offrirait que ce qui s'est passé avant. Énoncé autrement : quelle que soit ma « position » dans le temps, je ne peux qu'avoir un sentiment de continuité. Selon cette façon de voir les choses, ma mort n'existe pas : ma vie est comprise entre deux dates extrêmes et je ne fais que revivre éternellement la même existence, sans pouvoir en changer le moindre micro-événement. « So it goes », comme dirait l'autre.

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Brian Greene, L'univers élégant, Robert Laffont, 2000, p. 229.

Schrödinger 1

Absorption d'ordre. — « Pourquoi mangeons-nous ? » À cette question de prime abord triviale, d'aucuns répondraient sans doute : « Pour récupérer de l'énergie ». Mais que répondrait un physicien ? Un physicien raisonne rarement de la même manière qu'un non-physicien ; un physicien va se poser des questions qui ne nous viendraient même pas à l'esprit, comme : « Comment la vie peut-elle se développer et se maintenir sans bafouer le deuxième principe de la thermodynamique ? » Et tant qu'il ne les a pas résolues, ces questions reviendront probablement le hanter. — Pourquoi mangeons-nous, donc ? Dans son essai Qu'est-ce que la vie ?1 (publié pour la première fois en 1944), Erwin Schrödinger, physicien de son état, bat en brèche cette histoire de « se nourrir pour gagner de l'énergie », qu'il trouve particulièrement saugrenue : « Dans un certain pays progressiste [...], on pouvait trouver dans les restaurants des cartes indiquant, en sus du prix, le contenu énergétique de chaque plat. Il est inutile de dire que, pris littéralement, cela est tout aussi absurde. Pour un organisme adulte, le contenu énergétique est aussi stationnaire que le contenu matériel. Comme, incontestablement, une calorie quelconque vaut autant qu'une autre, on ne voit pas comment un simple échange pourrait servir. » (Dans une longue note de fin de chapitre, il précise néanmoins que cette raillerie sur les cartes de restaurant était hors de propos et que « le contenu énergétique de nos aliments a réellement de l'importance ».) — Mais alors quoi ? Pourquoi un être vivant, s'il veut rester en vie, a-t-il à tout prix besoin de boire, manger, assimiler des nutriments ? Réponse de Schrödinger : si nous mangeons, c'est avant tout pour nous débarrasser de l'entropie que nous produisons immanquablement par le simple fait de vivre. Mais qu'est-ce que l'entropie ? (On croirait presque entendre Madame Betheil dans le Le Bal des casse-pieds avec son fameux « Qu'est-ce qu'un fjord ? ») Selon le deuxième principe de la thermodynamique, l'entropie est la mesure (parfaitement quantifiable) du degré de désordre d'un système : dans un système isolé, l'entropie ne peux jamais diminuer ; elle ne peut que rester stable ou augmenter. Tout système thermodynamique isolé a tendance à se désorganiser (à tendre vers le chaos) jusqu'à atteindre un niveau maximum d'entropie (appelé aussi « équilibre thermodynamique »). Dans un système ouvert (échangeant de l'énergie et de la matière avec le milieu extérieur), l'entropie peut localement diminuer, mais cette diminution sera alors contrebalancée par une augmentation de l'entropie du milieu extérieur. Lorsque l'équilibre thermodynamique d'un système est atteint, plus aucune transformation n'est observée. Chez un être vivant, cette situation d'équilibre est constamment repoussée, du moins jusqu'à la mort et la dégénérescence des cellules : le corps humain est une machine ordonnée qui lutte à tout moment contre le désordre. D'où la réponse de Schrödinger : la matière vivante « évite la décomposition vers l'équilibre » en se nourrissant de ce qu'il appelle de l'« entropie négative », tout en précisant que ce terme est impropre (s'il s'était adressé à des seuls physiciens, il lui aurait préféré celui d'« énergie libre », explique-t-il en note). Autrement dit, pour préserver notre très haut degré d'ordre (notre faible entropie), nous avalons des « états extrêmement bien ordonnés de matière » (de faible entropie aussi donc) : des végétaux ou bien des animaux qui ont eux-mêmes mangé des végétaux ou d'autres animaux. Par la suite, nous les rejetons sous une forme beaucoup plus désordonnée. En dernier ressort, si les végétaux (et donc la vie) ont pu se développer sur Terre, c'est grâce à la lumière du soleil, puissant réservoir de faible entropie. Le fait que les êtres vivants arrivent à réduire leur entropie n'est pas en contradiction avec le deuxième principe de la thermodynamique, puisque la Terre n'est pas un système isolé et échange de l'énergie avec le système environnant (le système solaire et au-delà), de telle manière que si l'on prend le système dans sa globalité, l'entropie ne diminue pas. — Cette réponse de physicien est très intéressante, car elle permet de balayer toute tentative d'explication vitaliste, selon laquelle la vie serait mue par une sorte de force vitale, surnaturelle, inexplicable physiquement parce que contredisant le deuxième principe de la thermodynamique. En ramenant la vie à quelque chose de mesurable et en accord avec les principes de la physique, Schrödinger dit en quelque sorte chercher.

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1 Erwin Schrödinger, Qu'est-ce que la vie ? De la physique à la biologie, Christian Bourgois Éditeur, 1986. [Première édition anglaise : What is life?.] Les extraits repris ici sont tous issus du chapitre VI intitulé « Ordre, désordre, entropie », p. 123-134.

Greene 1

Les arpenteurs du réel. — « Imaginez un univers dans lequel les lois de la physique seraient aussi éphémères que la mode, changeant d'une année à l'autre, d'une semaine à l'autre, et même d'un instant à l'autre. Le moins qu'on puisse dire est que dans un tel monde, en supposant que ces changements ne perturberaient pas les processus élémentaires de la vie, on ne s'ennuierait pas une seule seconde. La moindre action serait une véritable aventure, puisque des variations aléatoires nous empêcheraient d'user de notre expérience du passé pour prévoir l'avenir. » (Brian Greene, L'univers élégant1) Et Greene d'ajouter qu'un tel univers serait évidemment un véritable cauchemar pour tout physicien qui se respecte : sans stabilité, impossible de définir des lois physiques universelles valables en tout temps. (Il se fait que ce n'est pas le cas : l'univers semble jusqu'à présent particulièrement stable et tout porte à croire que ce qui était vrai hier le sera encore demain, du moins en ce qui concerne la physique.) — L'exploitation de cette idée de départ pourrait déboucher sur un roman de science-fiction : l'histoire se déroulerait dans un univers qui n'est pas stable, à l'intérieur duquel les lois physiques n'auraient donc qu'une portée limitée dans le temps. Dans cet univers parallèle, l'humanité serait habituée et adaptée à ces changements soudains. Une branche spéciale de la physique (que l'on pourrait par exemple nommer « arpentage du réel ») aurait pour unique objectif de prévoir, grâce à une série d'observations et de calculs d'une grande complexité, la date et la nature des prochaines mutations de la structure de l'univers. L'étude du passé serait également d'un grand intérêt, car elle permettrait d'établir une chronologie des modifications antérieures, et ainsi de mieux comprendre leur fonctionnement ou leur périodicité : les historiens fouilleraient d'anciennes chroniques à la recherche de mentions, explicites ou implicites, des changements physiques du passé. Historiens de l'art, préhistoriens, archéologues et géologues joueraient un rôle tout aussi important dans la recherche de tels vestiges. Diverses religions se seraient développées, tentant de donner un sens aux structures mouvantes du monde, les intégrant à l'intérieur d'un plan divin. Des philosophes émettraient l'hypothèse que l'univers n'est qu'une simulation informatique à grande échelle et que chaque modification constitue une sorte de « test de paramétrage » effectué par un ou plusieurs concepteurs à une échelle supérieure de réalité. Le récit tournerait autour d'un arpenteur du réel découvrant que le prochain changement pourrait s'avérer très dangereux pour la vie sur Terre (par exemple, la modification pourrait toucher quelque chose d'aussi fondamental que la gravitation ou bien permuter les dimensions, de telle sorte qu'il y aurait trois dimensions temporelles et une seule dimension spatiale). Une nouvelle question verrait le jour : l'humanité peut-elle espérer empêcher un changement de la structure physique de l'univers ? Et si oui, comment ? En définitive, le roman serait le récit de cette recherche, qui mêlerait thriller (car le temps est compté), intrigue politique et religieuse, questions scientifiques, philosophie et histoire. — La trame générale du roman est tracée, il ne reste plus qu'à prendre la plume ! (Un détail que je laisse à d'autres.)

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Brian Greene, L'univers élégant, Robert Laffont, 2000, p. 190.

La boîte

« Par amitié, j'veux bien te servir d'alibi,
Dire à ta femme qu'on est sortis,
Au tennis, faire genre que tu gagnes.
À la rigueur, j'peux même te prêter des thunes,
Ou un p'tite laine si t'as un rhume,
À P.E.S., j'te laisse l'Espagne.
Je me battrai s'il faut se battre,
Oui, mais quoi faire avec cette boîte ? »
(Renan Luce, « La Boîte »)

Au départ, il y a ce refrain, celui de la chanson « La Boîte »1, entendue aujourd'hui au concert de Renan Luce (un chanteur français que je ne connaissais pas). Je me suis rapidement fait la réflexion qu'à l'exception sans doute de me battre s'il faut me battre, je serais incapable de faire pour un ami tout ce qui est décrit dans ce refrain : je ne peux pas laisser l'Espagne en jouant à Pro Evolution Soccer, car je déteste le football et les jeux de football ; je ne possède aucun véritable pull en laine, donc je ne peux pas en prêter un ; j'ai un compte en banque qui ressemble à un coffre-fort après un cambriolage, donc je ne peux pas, en pratique, prêter de l'argent, même si cela ne me poserait aucun problème en théorie ; je ne peux pas faire semblant de perdre et, qui plus est, de toute façon, je ne joue presque jamais au tennis. Mais ce que je dis à Léandra après le concert est en rapport avec les deux premières lignes du refrain :

« C'est marrant, ce qu'il raconte dans l'une de ses chansons... Jamais je ne pourrais faire cela, même pour un ami : servir d'alibi, faire croire à sa femme, ou à toute autre personne d'ailleurs, qu'il était à un endroit alors qu'il n'y était pas... En un mot : mentir.
— Ha bon ? C'est dommage !
— Pourquoi ?
— C'est dommage de ne pas être capable de faire ça pour un ami.
— Pourquoi ?
— Il faut être là pour ses amis.
— À bien y réfléchir, je pense que j'aurais beaucoup plus de facilités à tuer pour un ami (par exemple quelqu'un qui lui aurait fait du mal, à lui ou à sa famille) que de mentir. »
Phrase absurde, que j'ai lancée juste pour choquer.
Un peu plus tard, je reprends :
« Bon, imaginons que tel ami a commis un adultère. Il me téléphone et il me dit qu'il a absolument besoin que je déclare à sa femme qu'il était avec moi à tel moment, alors que ce n'est pas du tout vrai.
— Oui ?
— Eh bien, je serais vraiment mal à l'aise... Je serais pris en étau, parce que je devrais dire un beau mensonge.
— M'enfin, c'est une part importante de la vie de ton ami qui est en jeu, là ! Tu ne devrais même pas réfléchir.
— Oui, mais bon, il aurait dû y penser avant d'agir, alors. Dans ce cas-ci, il exercerait sur moi une sorte de chantage.
— Un chantage ? Mais pas du tout ! »
Elle reste muette un petit moment, puis reprend :
« Ça n'a rien à voir avec du chantage.
— Si, quand même un peu, parce qu'il me force à prendre parti pour une situation qui ne me regarde en rien.
— Franchement, Hamil, je crois que tu es resté coincé dans la conception du monde que tu avais à l'âge de douze ans.
— Pourquoi me demanderait-il de l'accompagner dans sa malhonnêteté ? Pourquoi devrait-il m'impliquer dans une histoire qui l'implique lui seul ? Jamais je ne demanderais une chose pareille, pour ma part.
— Pfff... »
Je rumine, puis je reviens avec :
« On est bien d'accord que, si l'événement se présentait vraiment, j'aurais peut-être un comportement beaucoup moins théorique que ce que je propose actuellement. Peut-être est-ce que je mentirais, tout compte fait. Je ne sais pas.
— Je l'espère en tout cas.
— Mais je serais de toute façon confronté à un autre problème majeur : je serais tellement mal à l'aise que mes mensonges se verraient comme le nez au milieu du visage. En fait, quand bien même j'accepterais de mentir, ce ne serait certainement pas une bonne idée que quelqu'un me le demande réellement. »
Andrew, qui marchait devant nous avec sa compagne et une amie de sa compagne — et qui écoutait toute cette conversation avec l'air un rien désabusé de celui qui se demande comment on en est arrivé à parler d'un sujet pareil aux alentours de minuit, après un concert de Renan Luce — se retourne et me dit :
« Oui, mais ça, que tu ne sois pas un bon menteur, c'est autre chose.
— Oui, en effet. En fait, tout bien réfléchi, c'est très bizarre, car pour certaines choses, je peux mentir sans aucun problème. J'ai déjà menti. C'est déjà arrivé. Mais là, il y a quelque chose que je n'aime pas du tout dans l'histoire. »

Après réflexion, ce que je n'aime pas, c'est le côté partial de l'affaire (je mens parce que c'est un ami), ainsi que — plus grave encore — la présence d'un tiers en chair et en os qui est clairement lésé, quoi que je fasse : quel que soit mon choix, je lèse quelqu'un en prenant part (ou pas) à ce mensonge. Il n'y a pas de bon choix. J'aurais beaucoup moins de problème si je devais mentir à une institution ou à toute sorte d'entité plus abstraite n'impliquant pas directement de blessure morale à un individu. Peut-être ai-je la mentalité que j'avais à douze ans ; pourtant, j'ai l'impression de m'être vraiment adouci depuis cette époque. (Diantre, je devais vraiment être très énervant !)

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1 Pour plus d'informations (ou pas) sur le contenu de cette boîte, il existe une page interactive amusante sur le site Web du chanteur.

Centre-ville

Cette semaine de concerts au Brussel Summer Festival commence vraiment à peser sur mon humeur. Je sature. Je dois dépenser beaucoup trop d'énergie pour rester jovial. Alors, en fin de soirée, je suis parfois plus énervé que d'habitude, absent, mal à l'aise, distant, etc., tout simplement parce que tout ce dont j'ai envie, somme toute, c'est d'être chez moi, assis derrière mon bureau, allongé dans mon lit ou confortablement installé dans un bon bain d'eau bouillante. Chez moi, seul.

Minuit. Je ne suis toujours pas chez moi, mais dans le centre-ville de Bruxelles. Je sais que je déteste le Café Central, mais j'y retourne en feignant l'enthousiasme. Pourtant, la dernière fois que je m'y étais aventuré, il y a des années de cela, j'avais déguerpi à l'une de ces vitesses ! En cause : la musique assourdissante, le bruit ambiant, les gens qui parlent, qui rient, qui dansent... et surtout : ces murs en bois pointus qui assaillent la vue et donnent une désagréable impression de compression. Cette nuit, je rentre à nouveau dans cet enfer avec deux amis : Georges, qui s'enfonce dès les premières secondes dans les profondeurs de la salle (à la recherche, je suppose, d'un hypothétique énième copain noctambule), et Léandra, qui tombe directement sur un collègue (elle tombe constamment sur des collègues) et commence à lui parler. — Je reste « seul », une minute tout au plus, non loin de l'entrée et me mets à observer les parages. Mauvaise idée. Sensation d'extériorité. La panique me guette, la même panique que les autres fois : il faut à tout prix que je sorte de cet étau, que je respire l'air de la nuit. Mais à l'extérieur, il y a aussi plein de gens qui s'amusent ! Ils forment un cercle autour d'un groupe de jongleurs de feu. Un homme a posé son verre de bière sur le toit d'une voiture. C'est la fête dans la rue. Alors que je m'apprête à sortir du bar (ou plutôt à fuir), Léandra revient vers moi. Je lui explique que je suis presque au bord de la panique. On retrouve Georges et on va boire un verre autre part.

Autre part, c'est la terrasse du « Zebra », un bar situé non loin de là. Au comptoir, les deux serveurs ne savent plus vraiment où ils en sont. Hyperactifs, ils se trompent dans les boissons à servir, remplissent les verres aux deux tiers, nient complètement la serveuse (ils ont apparemment une dent contre elle, vraisemblablement parce qu'elle continue à prendre les commandes en terrasse alors qu'elle devrait arrêter en raison du couvre-feu). De mon côté, je me sens beaucoup mieux. Georges parle de karaoké : pourquoi certains chanteurs s'escriment-ils à modifier les paroles d'une chanson quand celle-ci est normalement destinée à une personne du sexe opposé ? Georges trouve que garder les paroles d'origine fait partie du charme de la reprise. Il a raison. Une idée : chanter « Bonnie and Clyde » de Serge Gainsbourg avec Léandra, mais en inversant les rôles.

Le retour se fait à pied. La moitié du chemin avec Léandra, la moitié seul. C'est long, mais j'aurai fini par les avoir, mon bain chaud et ma vraie solitude.

« Bazar, et tout, bazar »

Dans le train Charleroi-Bruxelles, un père discute avec ses trois enfants : une fille qui semble avoir l'âge de Gaëlle (entre huit et neuf ans donc) et deux garçons (l'un a priori un peu plus âgé que la fille, l'autre un poil plus jeune). Ils discutent de la maman, qui n'est plus en couple avec le père, celui-ci retrouvant ses enfants un week-end sur deux.

Le père à son plus jeune fils : « Toi, tu n'étais pas désiré. Je ne sais pas ce qui s'est passé : je me suis peut-être retiré trop tard, je ne sais pas... Et puis, vot' mère, c'était une vraie foireuse ! »

« Elle a combien d'enfants, maintenant, vot' mère ?
— Dylan, Shannon, nous trois, Shana, Kalya, Kevin... Ça fait huit ! », répond le plus vieux.
« Ouais, et elle a eu difficile pour certains, en plus...
— Normal, avec toutes les grossesses qu'elle a eues, not' maman !
— À haut risque, les gars, à haut risque ! J'en ai discuté avec plusieurs personnes et tout le monde me dit — mais ça reste entre nous — que ses grossesses sont à haut risque. Ça fait deux fois que son bébé est mort. »

« Je suis resté jusqu'à onze heures du soir avec la voisine, hier. Et puis, je suis remonté. Elle m'a donné de ces boissons. Pfiou !
— Qu'est-ce que tu faisais avec la voisine à onze heures du soir ?
— On discutait, c'est tout ! On n'a rien fait, hein, on n'a pas baisé ! »
(Silence.)
« Elle est très intelligente. On a discuté de tout... Des Juifs, des Palestiniens, on a discuté de tout, bazar, et tout, bazar...
— Tu n'as pas de femme pour l'instant, papa ?
— Naaaan ! Y a rien qui m'intéresse pour le moment... Et les gonzesses, elles jouent un jeu, alors... »