Aujourd'hui, c'est la journée du Contrevent : à l'instar de la Horde du même nom dans le second roman d'Alain Damasio (en cours de lecture), j'ai l'impression d'être totalement à contre-courant, de devoir lutter constamment contre un vent contraire. Je dois faire des efforts surhumains pour me lever, pour marcher, pour parler : tout est lourd, tout est difficile à mettre en place. J'ai des idées noires qui me traversent le crâne et je n'arrive pas à mettre le doigt sur le malaise. J'ai le cœur qui bat beaucoup trop vite et j'ai aussi beaucoup trop de tension (je sens clairement l'oppression constante dans ma poitrine). J'ai mal au dos. J'ai mal au crâne. Bref, j'ai compris le message de mon corps : ce samedi 30 juillet sera une journée de merde qui va durer un certain temps, à moins d'un événement secouant.
Ce midi, je me traîne jusqu'à Jette pour manger avec le vieux Lewis dans son restaurant italien préféré ("chez Vincenzo", comme il dit). Sur le chemin je croise deux chats noirs totalement identiques, qui adoptent exactement la même pause et qui me suivent du regard. Lorsque je passe devant eux, un des chats se précipite sur moi avec un miaulement strident (je ne sais si c'est pour me menacer, pour quémander un câlin ou encore demander de la bouffe – à moins qu'il m'ait reconnu et qu'il désirait avoir l'honneur d'être lancé par un champion du monde de lancer de chat ?). La scène me fait également penser à Matrix.
Lewis me paie le repas. Il me dit qu'il est très heureux de parler avec moi car la discussion est toujours équilibrée : "Nous avons tous les deux nos problèmes et nous nous écoutons mutuellement", dit-il (je suis d'accord avec lui, du moins pour cette fois-ci). L'observation de Lewis me rappelle les discussions avec Léandra, durant lesquelles chacun observe un peu le "temps de parole" de l'autre, enfin la plupart du temps.
Lewis en a marre, marre, marre de la solitude. Il parle beaucoup de son fils César qui est en Indonésie pour le moment avec sa copine. Chaque coup de fil de César (59 secondes par jour) lui donne une bouffée d'air frais. Il me parle du moment où il a eu une grosse dépression, il y a dix ans de cela. Je lui pose la question : "Comment voit-on que l'on fait une dépression ?". Sa réponse, donnée après au moins quinze secondes de silence et de réflexion, est intéressante : "Vois-tu le bel arbre rouge, là-bas, Hamilton ? Plusieurs personnes regardant ce même arbre auront chacune une interprétation différente, comme : 'C'est un bel arbre dont la couleur grenat resplendit' ou : 'Sous ce beau soleil, sa couleur n'est pas grenat mais plutôt vermillon'. Personne ne dira par contre que l'arbre est bleu et laid, parce que ça va à l'encontre des sens les plus rudimentaires, sauf quelqu'un qui est en dépression nerveuse et qui n'arrive plus à se connecter à la réalité, à la beauté de l'existence". L'arbre est une métaphore de la vie, pour Lewis : quelqu'un qui est en dépression a une vision totalement déformée (et négative) des humains et des relations humaines. "L'arbre de la vie", ça fait presque mystique, curieux.
Lorsqu'il s'intéresse à mes problèmes, Lewis joue un rôle qui se situe entre le coach et le psychologue. Il essaie d'établir des stratégies à ma place. Il parle un peu comme Léandra. Il n'a sans doute pas lu The Game (le roman sur la drague dont Léandra parle sans arrêt) mais il énonce les mêmes préceptes. Il me dit : "Si tu aimes une femme, tu dois penser à elle comme à un objectif et élaborer une stratégie valide pour arriver à ce que tu veux : la conclusion" (je lui dis que je n'élabore jamais de stratégies dans les contacts humains : c'est donc mal parti). Il pense aussi curieusement que je devrais passer plus de temps seul dans les musées pour rencontrer des gens qui aiment les mêmes choses que moi (pourquoi pas ?), m'inscrire dans des tournois bruxellois de badminton pour rencontrer de nouvelles personnes (c'est une bonne idée), partir en vacances seul (encore une bonne idée) et que je devrais aussi m'inscrire à un site de rencontres sur Internet (hors de question).
Je passe l'après-midi seul à la Maison du Peuple à boire principalement du thé (gné ?), d'abord pour écrire le compte-rendu de ce rendez-vous avec Lewis, ensuite pour développer d'autres projets Web personnels. Derrière moi, à la table du coin, une fille rigole toutes les quatre minutes de manière ridiculement stridente pour des conneries (c'est très énervant). Par ailleurs, je me fais encore une fois ce constat : il n'y a pas grand monde de sympa dans ce café (c'est une bulle d'égoïsmes, à laquelle je participe, ceci étant dit).
Emily tente de me téléphoner en début de soirée mais quand je me rends compte de l'appel en absence, il est déjà un peu tard : Léandra, de retour à Bruxelles après un début de week-end en famille, m'a invité à manger chez elle, un peu à l'improviste, des pâtes à la sauce bolognaise préparée par sa maman. Je décide de ne pas ennuyer Emily à 10 heures du soir (elle nous avait par ailleurs dit qu'elle se reposait ce week-end)... Je suppose qu'elle a dû aller boire un verre avec Walter et Andrew près de chez elle.
La sauce, très bonne au demeurant, manque néanmoins cruellement de sel. Léandra me montre le mur de sa chambre rempli de moisissures : ce n'est pas très beau à voir ; on se croirait un peu dans un dépôt d'archives en manque de déshumidificateurs. Durant toute la soirée, j'ennuie mon hôte avec mes histoires de science-fiction. Je cherche désespérément un bon titre pour un énième blog traitant de ce genre littéraire. Léandra finira par trouver quelques bonnes idées (elle est forte pour les associations de mots, mon amie), meilleures que les miennes en tout cas (des idées un peu "nunuches" de gamin rêvant de ciels étoilés).