Changement de couche à Saint-Gilles

Inquiétude. — Comme chaque matinée de la semaine ou presque, je commande mon premier café de la journée dans les sous-sols de la gare du Midi. Les serveurs de l'enseigne commencent à me connaître et, dès qu'ils me voient débarquer, mettent la machine en route (ce qui peut d'ailleurs poser problème lorsque je ne veux pas de café, mais c'est très rare).

De temps à autre, certains matins, le comportement de ces vendeurs de cafés et viennoiseries change très rapidement. Il passe de la politesse (« Bonjour Monsieur, votre café, comme d'habitude ? ») à l'inquiétude (se retournant vers les collègues : « Il est encore là ! Surveillez-le ! »). Explication : il semblerait qu'il y ait dans ce souterrain des personnes dont l'occupation favorite est de voler de la nourriture. 

Et ce matin, je vois le regard de mon vendeur se transformer... Il me répond à peine, est ailleurs, regarde vers l'extérieur, me rend la monnaie d'un air distrait... Il en a repéré un, c'est sûr. Il est inquiet : le voleur va-t-il à nouveau venir leur parler, tout en essayant de voler une pomme ou l'un ou l'autre smoothie ? À voir le regard à la limite de la terreur dudit vendeur, je ne peux m'empêcher d'imaginer une scène digne d'un film de zombies : les quelques pauvres préposés assaillis par une horde de malandrins réclamant un peu de café et de nourriture. Ils sortiraient alors des riot guns de leur réserve et protégeraient la sandwicherie attaquée en tirant dans la foule... Mais les munitions viendraient à manquer et les tireurs finiraient par se faire dévorer... Et moi, j'arriverais pour commander un café et ne rencontrerais que ruines fumantes, corps déchiquetés et plaques de sang coagulé... (Un changement dans ma routine, pour sûr !)


Archiviste audiovisuelle. — Dans les escalators, je croise le regard de Fríðr. Comme j'ai établi un contact tangible avec elle depuis ce lundi et que je n'ai donc plus peur de lui adresser la parole, je l'attends en haut de l'escalier mécanique afin de marcher avec elle jusqu'aux quais, où se trouve déjà Epiphany, sa copine navetteuse que je connais un peu aussi désormais. J'attends le train en leur compagnie.

J'en apprends un peu plus sur Epiphany, en recoupant ses propos de ce matin avec son CV en ligne (il n'y a pas que Léandra qui est capable de retrouver la trace de quelqu'un sur le Web). Chose assez amusante, Epiphany a un parcours très similaire au mien : elle a fait des études universitaires en rapport avec le métier du livre, puis s'est spécialisée dans les stratégies de l'information et de la documentation (son travail de fin d'études a consisté à réaliser un site Web dynamique sous interface PHP/MySQL, exactement comme moi), ensuite elle a travaillé dans un écomusée (comme moi), et est maintenant archiviste, mais s'occupe surtout de l'aspect informatique/base de données à son boulot (comme moi). J'apprends par ailleurs qu'elle travaille dans une société belge de numérisation d'archives audiovisuelles bien connue. Je lui explique que je vois très bien de quoi il s'agit, tout en taisant le fait que de nombreux confrères archivistes trouvent leurs tarifs exorbitants (mais c'est une autre histoire !).

Hamilton L. Evenvel, client polyvalent. — La Maison du Peuple est presque comble ce soir. Seules places restantes : les fauteuils confortables sur le petit podium. Le coin est boudé par tout le monde et je m'y assieds donc, seul, avec mon ordinateur et 50 centilitres de bière. C'est la seconde fois que je m'installe à cet endroit légèrement surélevé. (La première fois, c'était pour discuter avec Fany, tiens !) 

Les clients ne tardent pas à investir le lieu. Parmi ceux-ci : une femme seule avec son matériel à dessin ; un groupe de quatre jeunes insupportablement pédants ; deux amoureux qui n'arrêtent pas de s'enlacer et de s'embrasser avec beaucoup de vigueur (pauvres amygdales...). Vont-ils aller jusqu'au coït ? On dirait, mais tout compte fait non (ils gardent beaucoup trop de vêtements pour arriver à quelque chose de vraiment probant en la matière).
Courant de la soirée, une jeune femme couche son bébé sur le canapé vide situé à ma droite et me prévient : « Je suis désolée, je vais devoir changer mon gamin... Ça ne va pas sentir bon. » « Pas de problème. J'ai l'habitude. J'ai connu ça. » Le garçon est tout content d'être sur un canapé, n'arrête pas de gigoter et d'explorer chaque recoin de ce petit monde. La maman est débordée : « Bon, je n'y arriverai pas. Je vais attendre le père... » « Hé, attendez, lui lancé-je, je peux m'en occuper si vous voulez. Je le tiens pendant que vous changez son lange ! » Elle accepte. Je m'attends à voir le bambin pleurer alors que je maintiens ses petits bras contre le canapé, mais c'est l'inverse qui se passe : il me fait un grand sourire émerveillé, comme s'il découvrait quelque chose d'à la fois extrêmement comique et fabuleux. — Oui, oui, je sais, pas besoin de me le répéter à nouveau (vous allez me gêner) : je suis à la fois l'un et l'autre, hem.

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