Monsieur « Sirop de bouleau » est assis en face de moi ce soir. Il ne me reconnaît pas. Bien sûr, je n'ai pas cette chance : je me souviens parfaitement de lui. Comment oublier ce rire qui s'entend aux quatre coins de la maison et qui éclate après chacune de ses très nombreuses plaisanteries ? (Oui, c'est le genre de gars qui lâche quelque chose de « comique » et qui en rit directement après.) Comment oublier son discours sur les vertus de l'homéopathie, de la sève et de la médecine traditionnelle médiévale ? « Il a une hémorragie cérébrale ! Vite, vite, appelons le barbier ! », lui avais-je sorti, railleur, il y a dix ans (il ne semble pas s'en souvenir aujourd'hui, heureusement pour moi peut-être). — Parfois, il ne rigole plus, par exemple quand il parle à ses enfants : « Tu finis ta soupe, crénom ! », dit-il l'air sévère à son fils qui a eu la mauvaise idée de laisser un (et un seul) morceau de céleri dans son assiette creuse. Plus tard, avec son beau-frère, il parle d'astrologie : paraît que la pratique n'a plus beaucoup de sens aujourd'hui, parce que « les étoiles ont bougé depuis deux mille ans ». Et puis, prend-on encore seulement en compte les planètes dans le calcul, ou bien le descendant ? Qui a encore entendu parler de « Vénus dans le cou de la Vierge » ? Personne, ah là là ! L'astrologie n'est plus que l'ombre de ce qu'elle était jadis. — On pourrait croire que je le déteste, mais non : la soirée est somme toute globalement agréable en sa compagnie.
Pour passer le temps, j'essaie de voir comment sont construites les boules de décoration en osier : sont-elles composées de plusieurs parts ? Oui, quatre : il y a deux petits cercles qui s'entrecroisent au centre de l'objet et deux branches enroulées autour de ces deux cercles, l'une beaucoup plus courte que l'autre. Une fois l'objet décomposé et compris, je suis incapable de le reconstruire. « Oh, tu l'as cassé ? », me lance ma maman, choquée, « Mais ce sont des décorations qui sont réutilisées chaque année ! » Je ne le savais pas, je pensais que ça se jetait : « J'ai démonté une décoration, oui, mais maintenant je sais comment elles sont fabriquées ! » Ce que je veux dire, c'est que l'objet a perdu sa structure, mais que, dans le même temps, j'ai gagné en information : ce n'est donc pas vraiment une destruction, seulement une transformation du concret (objet) vers l'abstrait (une information sur la façon dont il a été conçu). J'essaye d'expliquer la chose à ma maman : « C'était une analyse. Une analyse peut être destructrice. » Mais elle ne m'écoute qu'à moitié. Et puis, ça ne l'intéresse pas : pour elle, comme toujours, je n'ai simplement pas pu m'empêcher de chipoter à ce qui était devant moi et j'ai fini par le détruire. Elle n'a pas entièrement tort.
« On ne rigole pas de toi, mais avec toi ! », disent-ils au jeune homme (16 ans) pour le rassurer. Il n'empêche que dans les deux histoires racontées, c'est lui, ou à tout le moins son personnage, qui fait rire. « Fridric lui demande d'apporter le massepain qui se trouve dans le frigo. "Tu sais ce que c'est, du massepain ?" Et lui de répondre : "Bah ouais, je sais ce que c'est, du massepain !" Mais il lui rapporte... un bloc de parmesan ! » Seconde histoire : « Il faut cuire des pâtes pour le souper. Fridric lui demande de mettre la casserole d'eau sur neuf. Plus tard, je passe devant la casserole et je demande à Fridric : "C'est normal qu'il y ait un œuf dans l'eau des pâtes ?" En fait, il avait mal compris : il n'avait pas réglé la taque de cuisson sur neuf, mais seulement mis un œuf dans l'eau ! » — « Bon, sinon, c'est un très bon élève. Seulement, il n'a strictement aucun sens pratique ! » (Peut-être est-ce lié ?)