Voilà près d'un an et demi que le chiffre de Dorabella me fascine. Écrit selon toute vraisemblance en 1897 par le compositeur anglais Edward Elgar (adepte de cryptologie), ce message crypté n'a à ce jour pas encore été déchiffré : en tout cas, à ce que je sache, ceux qui déclarent avoir découvert son secret proposent des solutions alambiquées qui ne sont pas du tout satisfaisantes, et ce malgré des raisonnements qui s'avèrent parfois très intéressants. (Je parle longuement de ce chiffre dans quatre articles, dont le premier date du 18 mars 2013 ; je ne vais donc pas me répéter ici.)
Quand je dis que ce chiffre me fascine, je suis assez loin de la vérité : en réalité, il m'obsède (de temps à autre, sans raison, je trouve une nouvelle idée et je me replonge dans son étude, sans aucun résultat probant) et il me frustre (je suis frustré de ne pas trouver d'angle d'attaque pertinent, de point d'appui grâce auquel je pourrais monter d'un cran dans la compréhension). Je suis comme un mauvais alpiniste au pied d'une montagne, n'arrivant pas à trouver la moindre prise pour atteindre le premier plateau, qui ne se trouve pourtant qu'à quelques mètres de hauteur seulement. En l'occurrence, une bonne prise serait la découverte d'un ordre ou d'un sens, d'une séquence de lettres ou d'un mot, découverte qui permettrait, à force de déductions, de découvrir d'autres ordres, d'autres sens, séquences, lettres, mots...
Tout porte à croire qu'on est à la recherche d'une texte chiffré par simple substitution, c'est-à-dire pour lequel un symbole équivaut à une lettre (ou peut-être à deux dans le cas de i/j et u/v). Cependant, rien n'est certain : il est toujours possible que la méthode de chiffrement soit plus complexe (avec par exemple un système de décalage progressif des équivalences symbole-lettre). Il est aussi tout à fait possible qu'on soit devant un canular, une succession de symboles aléatoires, bref quelque chose qui ne signifie absolument rien. Pour continuer à espérer un tant soit peu, je prends pour hypothèse de départ que ce n'est pas le cas, autrement dit qu'il s'agit d'un chiffrement par substitution qui donne une réponse compréhensible. J'ai bien sûr pensé à d'autres méthodes plus sophistiquées (voir notamment les articles précédents), mais mon flair me ramène constamment à la substitution pure et simple : après tout, s'il est véridique, le message n'était-il pas destiné à une jeune femme qui ne développait a priori aucun intérêt pour la cryptanalyse ?
Si, dans ce chiffre, un symbole est vraiment égal à une lettre, on se dit que la réponse est à portée de main... Sauf que les possibilités de combinaison restent phénoménalement élevées. D'où justement la nécessité d'un point d'appui (analyse de la fréquence des lettres, découverte de motifs semblables, etc.)... Point d'appui difficile à trouver en raison de la brièveté du chiffre. — « Merde, on tourne en rond ! », comme dirait l'autre.
Dernièrement, j'ai eu de nouvelles idées par rapport à ce message chiffré (idées que je développerai un autre jour). Cependant, pour pouvoir réaliser une batterie de tests rapides, j'avais besoin d'un outil plus performant qu'un cahier et un stylo. Il me fallait un petit programme permettant de tester facilement un grand nombre d'équivalences symbole-lettre. J'ai donc profité d'une partie de ce week-end sans ma fille pour développer un petit script PHP entièrement dédié au chiffre de Dorabella, que l'on trouvera en cliquant sur le lien suivant :
« Le déchiffreur de Dorabella »
Il s'agit d'une toute première version bêta qui demande sans doute à être corrigée (il est possible que je me sois trompé dans certaines équivalences) et améliorée (j'aimerais bien, entre autres choses, placer en arrière-plan une base de données gardant en mémoire toutes les combinaisons testées). Cela dit, cette version est tout de même pleinement fonctionnelle. Le principe est le suivant : dans le tableau du bas, à droite de chaque symbole, on peut assigner une lettre. Les chiffres en rouge correspondent aux occurrences — approximatives dans certains cas (voir à la fin de ce paragraphe pour l'explication) — de chaque symbole. Après avoir cliqué sur « TESTER ! », les lettres remplacent les symboles directement dans le message chiffré. Le programme retient la dernière combinaison testée, à moins que l'on ne clique sur « REINITIALISER », ce qui remet tout à zéro. Quant au bouton « AU HASARD ! », il ne sert pas à grand-chose, si ce n'est à se dire qu'il est toujours possible (bien que très, très, très hautement improbable) de déchiffrer le message de cette manière, sur une espèce de « coup de bol divin ». Enfin, certains symboles du message ne sont pas très clairs (par exemple, sont-ils tournés vers le haut ou sont-ils obliques ?). Dans de pareils cas, les deux lettres possibles selon l'interprétation sont présentées en rouge. Dans une prochaine version, je développerai peut-être un petit outil donnant la possibilité de choisir sa préférence.
Ne reste plus qu'à tester...