La dissectrice de l'Institut

« Mon pays, ce n'est pas un pays : c'est l'hiver. »
(Gilles Vigneault, conteur, poète et chanteur québécois né en 1928.)


Chaque congrès d'histoire auquel je participe me paraît avant tout une occasion pour tous ces universitaires qui se connaissent de se voir et de discuter « en connaissance de cause ». Et puis, il y a les autres : ceux qui errent seuls dans le grand hall, un café à la main...

« Comment 
vas-tu, cher confrère ?
Je ne sais pas si tu le sais, mais 
j'ai la maladie de ceux qui boivent et qui 
mangent beaucoup ! J'ai limité l'alcool fort car j'ai la 
goutte, n'est-ce pas...Mes amis boivent sans moi, désormais... »

« Eh bien, 
nous allons reprendre 
la session ! Je vais de ce pas
rappeler à l'ordre les nombreux congressistes
égarés, mouha-ha-ha-ha-ha-ha ! [rire gras et sonore] »

« Personnellement, je n'ai
pas trouvé qu'il était mal à l'aise... 
Mais il est vrai que ce type de conférence 
inaugurale magistrale est particulièrement anxiogène... »

« C'est ici 
qu'habitait la dissectrice de
l'Institut. Celle qui était chargée de
recevoir les corps... On leur coupait d'abord la
tête et on l'envoyait Gand, pour ne pas que les étudiants 
liégeois qui s'occupaient des organes pussent reconnaître le mort... »

« Hamilton Evenvel... 
Nous ne nous connaissons pas. 
Qui donc êtes-vous, cher Monsieur ? » 
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L'après-midi, dans la section « patrimoine immatériel », le public est restreint, la table en « » et l'ambiance décontractée. J'y croise même mon ancien directeur de mémoire de licence, Monsieur Vedusquol, qui ne me reconnaît pas — ou bien fait semblant de ne pas me reconnaître. Il est venu écouter une communication sur les chansons populaires durant les deux grandes guerres, pour disparaître par la suite sans laisser de trace.

(Intéressante, d'ailleurs, cette communication... J'y apprends notamment que, durant la Seconde Guerre mondiale, les poètes évitaient subtilement la censure en utilisant des acrostiches. Par exemple, ils débutaient leurs premiers vers par les lettres « V », « R », « A » et « F », pour « Vive la Royal Air Force » !)  

À la traditionnelle pause café de l'après-midi qui ponctue tous les colloques de la Terre, mon chef Lodewijk, secrétaire de la section « d'à côté » — il y en a quatorze en tout, de l'histoire institutionnelle à l'héraldique , me demande si je ne suis pas trop stressé car il va falloir que je prenne la parole dans les cinq minutes qui viennent. Je lui réponds que « non, pas du tout » — et pour une fois, je ne mens pas !

Ma communication se passe bien, du moins je pense (mais peut-être me prennent-ils tous pour un hurluberlu ?). Comme d'habitude, je suis démesurément enthousiaste et parle assez vite. Comme d'habitude, j'avais préparé un plan, mais je ne le suis quasiment pas car je ne le trouve pas assez vivant ; autrement dit : artificiel et mal foutu. Quand on a quelque chose à dire, on n'a pas besoin de plan, et cela est vrai tant pour l'oral que pour l'écrit, quoi qu'en disent... euh... tous les autres.

(Y a-t-il jamais eu un plan pour les articles de ce journal ? Hé non ! — « Comment donc, "Ça se voit" ? »)
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Léandra me rejoint en début de soirée à la Maison du Peuple. Alors qu'elle débarque, je viens à l'instant de découvrir une faute dans un de mes articles, celui du 4 avril 2012... J'avais écrit : « (...) le bête chemise à carreaux (...) ». Ces fautes vont me rendre fou. Je me relis sans cesse et découvre constamment de nouvelles erreurs... Je le dis à Léandra, qui me répond : « Peut-être qu'un nouveau lecteur le lira un jour, cet article, qui sait ? » Nous quittons assez vite le café pour aller manger un tartare à l'italienne à la Porteuse d'Eau.

Elle a vraiment du mal à rester seule. Elle semble en pleine lutte intérieure. Elle sait — du moins je suppose — qu'il vaut mieux ne pas du tout le contacter, mais elle l'a contacté quand même. Je ne comprends pas. J'ai beau modifier mon état d'esprit pour essayer de comprendre, je ne comprends pas. Si je me mets à sa place et que je réfléchis en termes de conséquences, je me dis qu'il vaut clairement mieux ne pas le recontacter (tout ce que cela apporterait, ce serait un retour à une situation identique) ; et si je réfléchis en termes d'amour-propre, idem (ce serait changer d'avis et perdre la face). Mais la sensation de manque semble dans ce cas-ci plus importante encore que les conséquences et l'amour-propre réunis. Donc je ne comprends pas ceci étant dit sans aucun jugement de valeur.

Il est question de Montréal, aussi. Il faut que Léandra se décide rapidement pour savoir si elle passe une semaine là-bas. Je lui raconte à quel point le Québec est joli (surtout Trois-Rivières) et ses habitants sympathiques (surtout les Trifluviens), même s'il ne faut pas compter de prime abord sur des relations en profondeur avec ces gens : « très vite potes, mais sans réelles attaches... » — c'est de l'amitié « à l'américaine »... Mais pour y passer une semaine, c'est parfait !

(La suite au prochain épisode...)

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