Mélancolie punk

Petit flashback (j'emmerde l'unité temporelle de ce blog !)... Dimanche 25 septembre 2011, attendant tranquillement le départ d'un train qui jamais ne partira (voir le bref descriptif de cette journée pour les détails), j'écoute sur mon fidèle lecteur MP3, l'automne aidant, une série de mélodies post-rock à haut potentiel déprimant (pour ne pas changer) : A Whisper in The Noise, Our Last Hope Lost Hope, Sickoakes et les premiers albums du groupe montréalais A Silver Mt. Zion...

En réécoutant ce dernier groupe, sur le quai de la gare de Bruxelles-Midi, je me suis soudain fait la réflexion suivante : "Que j'adore A Silver Mt. Zion depuis leur premier album est d'une logique implacable, tant leur musique synthétise à merveille ma façon de penser : un mélange de révolte sourde et de mélancolie". Dépourvu d'ordinateur, je griffonne alors sur un bout de papier quelques mots-clés, histoire de ne pas oublier la réflexion en cours : "A Silver Mt. Zion", "mélancolie punk", "Frontière entre le constat amer et l'action". Voilà de quoi faire un article quand je n'aurai rien d'autre à raconter !

Et aujourd'hui, lundi 10 octobre, allongé contre ma volonté sur un fauteuil-relax, me remettant doucement de mon opération chirurgicale, je n'ai vraiment rien d'autre à raconter... 

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Dans je ne sais quelle rare interview du groupe Godspeed You! Black Emperor (GY!BE ci-après), lue il y a une dizaine d'années dans je ne sais quel magazine, un journaliste interrogeait Efrim Menuck (membre co-fondateur de GY!BE, à l'origine de Silver Mt. Zion) sur le "super-groupe" de post-rock écossais Mogwai et une éventuelle comparaison avec GY!BE. Je ne me rappelle plus des détails de la réponse mais seulement de l'idée générale, qui m'avait touché : Mogwai et GY!BE n'ont rien en commun, non seulement musicalement mais surtout politiquement ; sur le plan politique et idéologique, GY!BE est beaucoup plus proche de l'anarchisme et de groupes punk ou post-punk (peu importe la dénomination, en fait) comme The Ex ou Fugazi : une vision de la musique en dehors (autant que possible) des grands majors et de la grande distribution... En résumé : une musique à l'échelle humaine, pas une machine à fric sans âme.

Cet idéal d'indépendance était résumé dans le manifeste de la "maison" qui héberge ces artistes, le label montréalais Constellation Records. De ce manifeste anti-capitaliste, il ne reste plus qu'une belle erreur 404 aujourd'hui. Pourquoi ne pas avoir conservé ce texte sur le nouveau site Web du label ? Est-ce dû à l'évolution inévitable de Constellation vers une structure plus grosse, regroupant plus d'artistes (comme Tindersticks) ? Mystère... Dommage, car on y trouvait de belles idées (en anglais dans le texte). Dans la même logique, il y a une dizaine d'années, les membres de GY!BE ou de A Silver Mt. Zion lançaient à la sortie des concerts, à propos des tee-shirts, quelque chose du genre : "Vous voulez un tee-shirt ? Faites-le vous-même !". Aujourd'hui, que voit-on aux concerts des mêmes groupes ? des tee-shirts. Même les éternels rebelles vieillissent, un jour !
Mais je m'égare... Retour au centre du propos, à savoir le groupe A Silver Mt. Zion, dont le nom changera au fur et à mesure des albums... A Silver Mt. Zion (1er album, 3 membres) deviendra ainsi par la suite The Silver Mt. Zion Memorial Orchestra and Tra-la-la Band (2e album, 6 membres), The Silver Mt. Zion Memorial Orchestra and Tra-la-la Band with Choir (3e album, 6 membres et une chorale) ou encore Thee Silver Mountain Reveries (EP)...

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He Has Left Us Alone but Shafts of Light Sometimes Grace the Corner of Our Rooms... (pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?) : tel est le nom du premier album (2000) de ce groupe, dédié à Wanda, le chien d'Efrim, mort d'un cancer alors que son maître était en tournée avec GY!BE. Cet album, influencé par la culture juïve, est un condensé de tristesse avec, de temps à autre, en filigrane, quelques rares notes d'espoir...

Mais c'est également, clairement, une ode à l'anarchisme. Avec ce premier album, le terme "Mélancolie punk" prend déjà tout son sens. Ainsi le fantastique instrumental "13 Angels Standing Guard 'Round the Side of Your Bed" est-il dédié, dans le livret accompagnant l'album, aux Black Blocs, ces groupes anarchistes informels, anti-hiérarchiques et décentralisés qui agissent en marge des grandes manifestations contre les symboles matériels du capitalisme (banques, multinationales...). La première fois que j'ai entendu ce morceau, je l'ai associé, pour une raison inconnue, à la grave maladie d'un petit enfant alité (bonjour la déprime !), protégé de la mort toute proche par 13 esprits bienveillants (une alternative lointaine au Roi des aulnes de Goethe). Mais les interprétations sont multiples : si l'on tient compte de la dédicace, les "13 anges" pourraient aussi symboliser la protection des black blocs, une sorte de "dernier rempart" contre le système néolibéral. Et dire que ce morceau est un instrumental... Qu'aurait été mon interprétation s'il eût contenu des paroles !

Il faut dire que, malgré les titres à rallonge, le groupe est capable d'exprimer beaucoup de choses en très peu de mots. Ainsi, sur "Blown-Out Joy from Heaven's Mercied Hole", une seule phrase : "Don't tell me that I am free, 'cause I have not been well, lately".

Sur "Movie (never made)" (même album), on retrouve une évocation de la révolution anti-capitaliste (meurtre du banquier ; renversement du pouvoir ; pouvoir de la rue) :

Let's kill first the banker, with his professional demeanor,
Let's televise and broadcast the raping of kings.
Let our crowds be fed on tear gas and plate glass,
'Cause the people united is a wonderful thing.

Mais le couplet qui suit fait directement le point sur la situation réelle, plus personnelle : la révolution évoquée n'a pas eu lieu (c'est le principe du titre : "un film, jamais réalisé"). Et "nous" sommes contraints de marcher, de vivre dans un monde que nous n'aimons pas, constitué d'autant de "variations de l'enfer" :

I know that you're dying and I know I'm unwell.
And together we sashay through variations of hell.

À la fin de la chanson, un constat : mieux vaut rester droit dans ses principes que de se compromettre dans des projets qui ne nous correspondent pas ou, en des termes plus crus, de "tabler sur de la merde"...

Oh, don't be afraid, for the parade will not pass our way.
It's nobler to never get paid than to bank on shit and dismay.

Sur leur deuxième album, Born into Trouble as the Sparks Fly Upward (2001), toujours le même discours, entre volonté de liberté et constat amer... Comme sur "Built Then Burnt [Hurrah! Hurrah!]", ces paroles, lues par un enfant (tout un symbole !) : "Dear brothers and sisters, dear enemies and friends, why are we all so alone here? All we need is a little more hope, a little more joy... All we need is a little more light, a little less weight, a little more freedom." Ou comme sur le magnifique "Could've moved mountains", où deux textes sensiblement différents se chevauchent :

The community is sick
(Please believe)
The community is blind
(In labor and hope)
Yell
(And joy)


Je l'ai déjà écrit ailleurs et je me répète donc ici : ce morceau rappelle, en substance, que nous, humains, n'avons pas d'autres limites que celles que nous nous imposons (ou qu'on nous impose) ; que nous sommes libres et pouvons faire des choses magnifiques. Avec nos mains, nous pourrions déplacer des montagnes.

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Après ces deux premiers albums, le groupe prendra une posture moins mélancolique et plus revendicative, comme le montre le titre de leur troisième album à la ponctuation si particulière ("This Is Our Punk-Rock," Thee Rusted Satellites Gather + Sing,) ou des chansons comme "More actions! Less tears!"...


Mais ça, c'est une autre histoire, qui sera racontée une autre fois.

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