La parabole du quai de gare

Et si on était un mot ?

Léandra me rejoint au Potemkine vers 20 heures. Elle me parle en début de soirée d'une discussion qu'elle a eue hier avec ses amis de l'impro. Le thème : "Et si on était un mot ?"

— Si j'étais un mot, me dit Léandra, ce serait l'adverbe "particulièrement". C'est ce qu'on appelle, dans le jargon, le complément d'une relation. "Particulièrement", c'est comme "très" mais en mieux. Il n'apporte pas un sens positif ni négatif ; il ne fait que renforcer la relation, comme dans la phrase : "Il est particulièrement beau"...

Nous en venons à la conclusion que si j'étais un mot, ce serait "Phylloxéra" ou bien "Allo" prononcé avec l'accent de l'Entre-Sambre-et-Meuse (à savoir : "Allôôô ?"). Emily serait "Ballot", car elle dit souvent "C'est ballot". Walter serait "Certes" car il dit souvent "Certes". Quant à Andrew, il serait "Constructivisme" ou rien !

Et si on était une ponctuation ?

Je lance dès le début de la discussion une question annexe : "Peut-on choisir d'être une ponctuation plutôt qu'un mot ?"

Réponse : mais oui, bien sûr ! Dans ce cas, Léandra serait une parenthèse, je serais un astérisque (qui n'est pas une ponctuation mais un symbole typographique), Emily évidemment un point et Andrew peut-être des guillemets (ou bien alors de l'italique, si on jouait plutôt sur la graphie). Et Walter ? Un point d'interrogation ? Bof... Jonas, quant à lui, pourrait être un chevron, ce signe qu'on utilise en HTML et en XML pour ouvrir et fermer des balises. 
Incises et parenthèses
Comme j'adore les interruptions superfétatoires, je pourrais également, à l'instar de Léandra, être une parenthèse ou bien alors un tiret cadratin voire demi-cadratin. 

Digression : j'explique à Léandra que j'ai lu quelque part qu'il valait mieux ne pas user trop souvent des parenthèses et des incises dans un texte car celles-ci ont la fâcheuse tendance, durant la lecture, de couper l'expression d'une idée ou d'une proposition.


Ceci étant dit c'est plus fort que nous, Léandra et moi n'arrêtons pas d'utiliser ces coupures à tort et à travers : "Serais-tu capable d'écrire un article entier sans utiliser une seule parenthèse ?" me demande mon amie. (Pour celui d'aujourd'hui, la chose semble déjà totalement compromise, en tout cas.)

Je pense très sérieusement que l'utilisation des parenthèses et des incises dénote une certaine façon de penser : tous ces thèmes qui s'entrechoquent, ces idées qui reviennent à la surface lorsque j'effleure un sujet, comment les mettre en avant sans utiliser ces jolies parenthèses ?

La parabole du quai de gare
Alors que nous mangeons à la Brasserie du Parvis en fin de soirée, je parle à Léandra de mes relations avec l'autre sexe :

— Depuis que je suis célibataire, j'ai souvent eu à côté de moi une femme que je vois très souvent, beaucoup plus que toutes les autres. Il ne se passe jamais rien, mais je la vois de nombreuses fois par semaine. Toi, évidemment, tu es en dehors de cette catégorie car tu es une amie, en dehors de tout ça...
(Léandra ne dit rien mais me comprend parfaitement. Je continue.)
— Après un temps plus ou moins long, cette femme finit toujours par s'en aller. Elle s'éloigne irrémédiablement, quitte Bruxelles, trouve quelqu'un ou que sais-je encore... Bref : elle fait sa vie, quoi...
— Normal...
— Oui, c'est normal. Et moi, donc, je reste là et je recommence constamment un nouveau cycle. Depuis quatre ans, je trouve que ma vie ressemble à un quai de gare. Je suis sur ce quai et je vois le train démarrer sans moi. (Un rêve que je fais de temps en temps, soit dit en passant...)
— Et tu n'entres jamais dans le train ! Haha !
— Non, même pas la moindre petite pénétration, pffff... En fait, je n'essaie jamais d'ouvrir la porte, pour tout dire.
— Hahaha !
— Et donc, avec tout ça, je reste sur le quai de la gare.
— Va sur un quai de métro, ça ira plus vite !
(Petit fou rire. À défaut de carnet, j'écris la phrase sur mon téléphone. Il faudra que je la ressorte sur mon blog en entier, cette discussion.)

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