AA_Ardennes

Cher Monsieur D.,

Je sais que vous êtes mort, mais la mort n'a jamais empêché qui que ce soit de lire une lettre — du moins si j'en crois vos romans et nouvelles. Donc, si vous me le permettez, je vais vous exposer mon problème. Voilà : j'habite sur le continent européen et il se fait que je suis pour l'instant en vacances au Québec. Je rectifie : tout laisse à penser que je suis en vacances au Québec... Cependant, je n'y crois pas une seule seconde.

Déjà, il y a cette histoire d'avion. Cet engin ridicule ne devrait en toute logique pas exister, ni encore moins voler... Je sais ce qu'est la portance, je sais comment est censé décoller un aérodyne (je ne suis pas totalement inculte, merci), mais ça n'a tout de même pas de sens. Un tel appareil devrait rester à terre, un point c'est tout ! Alors, quand on me dit que j'ai embarqué dans une cabine qui a traversé l'océan Atlantique à 32.000 pieds du sol, permettez-moi d'émettre de sérieux doutes quant à la possibilité d'une telle manœuvre !

Et c'est bien là tout mon problème, et le but même de mon courrier... Est-il possible que je ne sois pas dans cet endroit que l'on nomme « le Canada » ? Est-il possible que l'avion dans lequel j'ai embarqué n'ait jamais pris son envol ? Peut-être s'agit-il d'un formidable leurre ? Peut-être m'ont-ils placé dans un simulateur de vol du genre « Star Tours » (© Disney) avec sensations multiples garanties (observation effective du décollage, effets sur l'oreille interne) ?

Et après ? Eh bien, c'est très simple : pendant les fausses huit heures de vol, ils ont passé leur temps à reconstituer un décor différent du décor de départ. (Ils travaillent vachement vite, comme vous l'avez d'ailleurs constaté dans un de vos textes.) Donc, à l'arrivée, j'ai débarqué dans un nouvel environnement, sans avoir vraiment bougé. C'est en tout cas ce que je me suis dit aujourd'hui en faisant cette balade le long du « sentier du Fjord » : le paysage ressemblait grosso modo à l'Ardenne belge, si ce n'est qu'en Ardenne belge, il n'y a pas de fjord. Ni de castor. Ni de barrage de castors... Il y a aussi l'épineuse question de l'accent ainsi que le problème du décalage horaire, auxquels je n'ai pas encore réussi à trouver d'explications rationnelles satisfaisantes — jusqu'à présent du moins.
Vous trouverez dans cette même enveloppe une série de clichés pris lors de ma promenade le long du fjord, afin que vous puissiez juger en toute connaissance de cause de l'absurdité de tout ceci et confirmer ou infirmer mon intuition. Je n'en dors plus la nuit.

Je vous prie de recevoir, cher Monsieur D., au sein de votre confortable cercueil de semi-vie, l'expression de mes sentiments distingués,

H.L.E.

Une forêt comme on en trouve en Ardenne.

De l'eau et des lignes à haute tension, comme à Trois-Pont.

Ce qu'ils disent être le Fjord du Saguenay.

Un étang aux castors (mais on ne les a pas vus).
Un petit lac tout ce qu'il y a de plus classique.

Laisser un commentaire