"Je ne t'embrasse pas, je suis malade !"

Tout le monde est un peu malade, ces derniers temps, à mon travail. Mon chef Lodewijk a une voix rauque (signe évident d'un mal de gorge), notre présidente souffre du dos et... j'ai le nez bouché (encore !). La semaine dernière, c'était Christiane qui reniflait... Bref, ce n'est pas la grande forme... Le matin, Lodewijk, lorsque je veux lui faire la bise, me fait signe d'arrêter : 

« Je suis toujours malade...
— D'un autre côté, moi aussi... Mais je ne crois pas qu'on puisse contaminer quelqu'un simplement en lui faisant une bise sur la joue.
— Bien sûr que si !
— Mais non ! On a beaucoup plus de chances d'attraper un quelconque microbe en restant toute la journée dans une pièce avec quelqu'un de malade qu'en lui faisant la bise le matin. 
— Mais quand tu fais la bise à quelqu'un de malade, tu touches tous les microbes qui sont à proximité, sur sa joue... 
Pfff... Et ?
— Ben tu risques de les attraper...
— C'est certainement un mythe, une légende urbaine... Je ne remets pas en cause le fait qu'on puisse attraper plein de trucs en embrassant quelqu'un sur la bouche, hein, mais sur la joue... Bof ! »

Impossible de trouver le moindre renseignement sur le Web pour confirmer ou infirmer mes dires... Sur le baiser sur la bouche, plein d'informations évidemment (des pages et des pages sur la mononucléose infectieuse, dite la "maladie du baiser" — j'en sais quelque chose : j'ai failli rater une année d'université à cause de cette connerie), mais rien sur le baiser sur la joue. D'un autre côté, que dire à ce sujet ? "Attention, vous pouvez attraper un rhume en appliquant légèrement votre joue pendant environ une demi-seconde contre celle de quelqu'un d'autre" ? L'avis d'un médecin ne serait pas superflu, ici. 
* * *


Ce jeudi au boulot, quelques sujets de discussion valent le détour. J'en ai retenu deux.

L'obsession de la note de bas de page (à la pause café)

Le monde de la recherche historique en Belgique est traversé de part en part depuis plus d'un siècle par des obsédés de la note de bas de page (dont je fais partie) : une note de bas de page à chaque extrait de source cité, une note de bas de page à chaque idée tirée d'un livre ou d'un périodique, une note de bas de page pour expliciter telle ou telle période, tel ou tel concept... Dans les sciences historiques, il n'est pas rare de tomber sur une page contenant 4 ou 5 lignes de texte, le reste étant rempli de notes de bas de page. (Souvenir de licence en histoire médiévale : être tombé sur une page complète de notes, continuation des notes de la page précédente !)

Charlotte : "À chaque fois que je vois un appel de note dans un article, c'est plus fort que moi : il faut que j'arrête ma lecture et que je jette un œil à la note en question." Si les notes sont nombreuses, la lecture devient donc un véritable calvaire car hachée à plein d'endroits (un peu comme lors d'un incise mais en pire). De mon côté, je me demande pourquoi on n'applique pas en Belgique un système beaucoup plus souple (en usage dans le monde anglo-saxon) qui consiste, plutôt que d'appeler une note, de mettre entre parenthèses le nom de l'auteur (ou la référence de la source), la date et éventuellement la page, le tout renvoyant à la bibliographie ou aux annexes en fin de texte. J'arrive même à parler de Wittgenstein — Naaaaan ? en citant assez fidèlement un extrait de son avant-propos au Tractatus, dans lequel il met en avant le fait qu'il lui est indifférent que ce qu'il a pensé, un autre l'ait déjà pensé avant lui, et que par conséquent il ne cite pas ses sources (on est prié de les connaître). Commentaire de Lodewijk : "C'est un peu facile de dire ça !" J'ai l'impression que Lodewijk n'aime pas Wittgenstein, du moins le Wittgenstein que je lui présente.

J'ai bien ma petite idée sur le pourquoi de l'utilisation à outrance des notes de bas de page en histoire, mais je ne la développe pas durant la pause café. La pratique des notes de bas de page est sans doute en partie liée à la prétention fondée ou non des historiens à appliquer à leur science (par définition humaine) un modèle de vérification empirique proche des sciences exactes. C'est le positivisme adapté au discours historique : le monde est constitué de faits, que l'on peut énoncer de manière objective, grâce à l'étude méthodique des sources. La pratique de l'histoire a évolué et l'on voit désormais cette conception sous un regard plus critique, mais beaucoup d'historiens — en tout cas ceux des universités belges, au moins — ont gardé de l'épopée positiviste cette procédure extrêmement prudente et rigoureuse qui les oblige à apporter à chaque ligne les preuves de ce qu'ils avancent — les fameuses notes de bas de page donc. C'est une pratique heureuse, à mon avis, sauf quand elle sombre dans la pleine et entière démesure.

Hildegarde de Bingen et l'orgasme féminin (repas de midi)

« Avez-vous vu, demande Charlotte, que le pape Benoît XVI va peut-être canoniser Hildegarde de Bingen ?
— Ha ? Et alors ?
— C'est amusant que Benoît XVI s'intéresse à Hildegarde car elle a notamment théorisé l'orgasme féminin...
— Ha bon ?
— Oui... On se demande d'ailleurs comment une abbesse bénédictine pouvait décrire ce genre de choses... 
— À cette époque, propose Sylvette, peut-être qu'ils étaient moins stricts sur les rapports sexuels ?
— Au XIIe siècle, dans le clergé régulier ? Oh que non... Elle devait suivre la règle de saint Benoît et la chasteté en faisait clairement partie — théoriquement du moins... »

Charlotte est devant le PC de Sylvette et commence à lire à haute voix un des textes de l'abbesse, qu'elle a retrouvé sur un site Web (peut-être celui-là ?)...
« Quand elle fait l’amour avec un homme, la chaleur dans le cerveau de la femme, qui procure la sensation de plaisir, se transmet aux sens et déclenche chez l’homme l’expulsion de la semence. Quand la semence s’est logée à l’endroit prévu, c’est la chaleur intense du cerveau qui la retient. Les organes de la femme alors se contractent. Les organes sexuels, qui sont ouverts pendant les menstruations, sont maintenant fermés, tel un poing serré. » (Hildegardis Curæ et Causæ, 1173)

* * *

Pour changer, j'ai proposé à Emily d'aller boire un verre à l'Atelier vers 20 heures, dans le quartier de l'université. Le café est assez calme. Où sont passés les gens ? Je remarque par ailleurs la présence d'un fumoir au fond du café, derrière le bar : la résistance s'organise. Walter nous rejoindra après son badminton, vers 21 heures... Vu qu'Emily n'a pas encore mangé, nous terminerons la soirée au Café de l'Université : penne da Vinci pour Emily, penne à l'arrabiata pour Walter et soupe à l'oignon pour moi.

Comme je n'ai rien noté dans mon "calepin virtuel" (mon vieux téléphone portable), je ne me souviens plus vraiment des divers sujets de discussion — et ce n'est pas plus mal car, à nouveau, mon texte est sans doute déjà beaucoup trop long pour un article de blog. 

Je sais qu'à un moment, j'ai décroché de la conversation et commencé à observer le comportement des autres clients du café... Emily et Walter parlaient alors de Nicolas Sarkozy et de François Hollande. Un constat : j'adore la politique quand il s'agit de proposer des systèmes d'organisation d'une société ; je la déteste sous sa forme plus particulière consistant à discuter de candidats ou de jeux de pouvoir... À chaque fois qu'il est question de discuter d'un homme politique actuel, je ne peux énoncer que de mornes évidences. Force est de constater que ça ne m'intéresse pas et que, si l'on devait me résumer à l'extrême, on pourrait dire que je préfère de loin Aristote à Machiavel.

Laisser un commentaire