Analyse ? Analyse ? Est-ce que j'ai une gueule d'analyse ?

Ce matin, je suis de nouveau à l'hôpital : avant ma petite opération, je dois voir un anesthésiste et donner un peu de mon sang pour analyse. Quand j'arrive dans les locaux du service post-opératoire, un patient qui a visiblement le plus grand mal avec la langue française s'excite devant une secrétaire débonnaire. Toutes ses phrases ne sont constituées que de trois termes mâchouillés : "Analyse", "Cardiogramme" et "Rendez-vous". La secrétaire a pourtant l'air de parfaitement le comprendre. Extrait :

– Analyse ? Analyse !
– Il faut patienter pour la prise de sang, Monsieur. Nous avons du retard.
– Cardiogramme ! Analyse ?
- L'électrocardiogramme, c'est un autre jour et vous devez vous rendre au service Cardiologie pour le faire. Cardiologie. Cardiologie !
– Rendez-vous ! Cardiogramme ?
– Je ne peux pas changer la date de rendez-vous pour l'ECG, vous devez vous rendre en Car-dio-lo-gie pour ça.
– Rendez-vous ! Analyse !
– L'analyse de sang, c'est aujourd'hui et ici. Mais vous devez patienter.

Le gars patiente un peu puis se casse. Il revient une demi-heure plus tard et c'est rebelote :

– Où étiez-vous passé, Monsieur ? on vous a appelé pour l'analyse sanguine...
– Analyse ? Analyse !
– Vous n'étiez pas là quand on vous a appelé. Va falloir de nouveau patienter.
– Cardiogramme ?
(Au secours !)

Juste avant que ce ne soit mon tour, l'anesthésiste sort de son bureau avec sa petite mallette et dit à la secrétaire : "Désolé, je dois partir. On m'appelle au bloc... Une urgence." La secrétaire se lève et lance à l'assemblée de patients : "Comme vous avez pu le remarquer, nous avons perdu notre anesthésiste. Je vais essayer de nous trouver un remplaçant, mais les anesthésistes sont une denrée rare". Le remplaçant arrive quand même une grosse demi-heure plus tard et m'appelle directement dans son bureau. C'est un grand black sympa avec un bandana autour de la tête. Il pose ses questions d'anesthésiste : "Avez-vous des allergies au latex ?" (Euh...), "Prenez-vous des médicaments ?", "Est-ce que vous avez tendance à saigner plus que la normale ? Est-ce que ça éclabousse quand vous vous coupez ?" (Naaan, pas que je sache, pourquoi ?). ("Et dis-moi, Joey, as-tu déjà vu des films de gladiateurs ?") À la fin de l'entretien, il veut voir mon menton. Il me dit : "Vous avez un menton assez renfoncé" ; il m'a même donné le terme exact pour cette "tare" mais je ne m'en souviens plus... "C'est un truc qui fait peur aux anesthésistes", rajoute-t-il, "car ils ont plus de difficultés à vous mettre un tube dans la gorge". La dernière fois, ça n'avait pourtant pas posé de problème (enfin, je n'en sais rien en fait : je dormais d'un sommeil sans rêve, comme Cthulhu !).

* * *


L'après-midi, je travaille chez moi, sur la mémoire orale (ça avance !). Au soir, je me rends à Saint-Gilles pour y retrouver Mary du badminton. Un peu avant que Mary n'arrive, à la Maison du Peuple, coup de fil de l'hôpital : "Hamilton ! C'est moi, c'est le chirurgien !". Il me lance ça comme si on se connaissait depuis dix ans, puis crie : "Dis, tu pourrais aller dans un endroit plus calme ? J'entends plein de gens qui parlent à l'arrière, là..." Résumé : à la suite d'une annulation, il peut avancer mon opération de cinq jours et donc m'opérer après-demain. Cool ! Ce type est un peu taré, comme tous les chirurgiens en fait... Il pourrait sans problème doubler Roberto Benigni dans un film burlesque. Curieusement, cette façon d'être me rassure. Je serais sans doute beaucoup moins à l'aise avec un médecin pince-sans-rire.

Quand Mary arrive, nous allons nous installer au Verschueren, en changeant plusieurs fois de table (un peu en terrasse, un peu à l'intérieur, de nouveau en terrasse...). Mary me parle de musique : il faut paraît-il que j'écoute Anna Calvi ainsi qu'une certaine EMA... Par ailleurs, en regardant l'agenda du Botanique que Mary a ramassé sur un présentoir du café, je découvre que Low, Pinback et Bill Callahan viennent en concert le même jour (le 24 novembre), dans le cadre de l'Autumn Falls ! Fichtre ! Le lendemain, c'est au tour d'Okkervil River ! Il me faut des tickets ! il me faut des tickets ! Y a aussi Death in Vegas qui passe, fin octobre, mais je serai à DisneyLand ce jour-là. Ha ben zut alors !


Dehors, à la table d'à côté, un groupe de jeunes copains (style début d'université) discutent vivement. L'un parle du 11 septembre : "Y avait des explosifs dans les tours, c'est évident ! Un avion ne peut pas à lui tout seul provoquer l'effondrement d'une tour de cette taille !" (Ha bon ? T'as fait ingénieur polytechnicien, spécialisation "résistance des matériaux" ?). "Mêmes certaines autorités officielles américaines le reconnaissent !" (Ha ben merde, c'est que ça doit être vrai alors ?). La seule fille du groupe a un petit chien ridicule à la queue retroussée. Mary adore les chiens (elle en veut plein plus tard, et plein d'enfants aussi : pour une raison inconnue, je l'imagine dans une scène bucolique, en tenue de chasse, au milieu d'une propriété forestière, les cheveux bouclés flottant au vent, un peu comme la Venus de Botticelli, lançant son épagneul à la poursuite d'un daim – non, la Venus de Botticelli n'a jamais lancé d'épagneul à la poursuite d'un daim !) : elle caresse le toutou, s'informe de son nom et de son pedigree auprès de la propriétaire...

Dans les parages, un gars habillé en militaire, avec un béret de para-commando et un sac à dos, fait les cent pas. Le gaillard est assez flippant. Il a l'air à la fois décidé et très énervé. Il tourne en rond devant l'église. J'espère que ce n'était pas réellement un militaire, car il y aurait vraiment de quoi s'inquiéter si ce type était armé de couteaux, de grenades ou d'armes à feu...

Mary est un peu comme Léandra, en fait. Elle me dit qu'elle me considère comme une sorte d'ami honnête à qui elle peut tout dire, sans jamais qu'il y ait la moindre tension. Et justement, Mary parle à un moment de tension... De tension amoureuse et de sa dernière grande relation sentimentale (qui est finie aujourd'hui) : elle dit que vivre une histoire d'amour où deux personnes connaissent la même tension, la même intensité de désir, est une chose rarissime. Je comprends parfaitement ce qu'elle veut dire et je confirme : c'est très rare. Mary dit aussi que ça ne lui arrivera jamais plus. Je suis moins pessimiste qu'elle : ce genre d'amour réciproque, ça n'arrive pas souvent mais il peut quand même y en avoir plusieurs dans une vie (deux ou trois ?). Elle me dit : "Tu sais, Hamilton, il y a des gens qui, dans leur existence, n'ont jamais connu ce genre de relation et ne la connaîtront jamais !". C'est vrai aussi et c'est assez triste. Toujours sur l'amour, un constat de Mary : quand on est fou amoureux d'une personne, on la trouve exceptionnelle, on ne lui voit aucun défaut, à tel point qu'on croit, par ce miroir déformant, que les autres trouvent cette personne tout aussi exceptionnelle... Ce qui est totalement faux, évidemment. Souvenirs (peut-être en partie imaginés) de discussions loufoques avec Léandra :

– Elle est formidable, hein ?
– Euh ben... Bof. Tu sais, moi, les filles...
– Elle n'a pas de défaut, elle est parfaite !
– Si tu le dis, Hamilton... Mais tu devrais surtout arrêter de te casser la tête et le lui dire, à elle !
(Soupir.)

À la fin de la soirée, justement, Léandra arrive, en compagnie d'Andrew. Mary s'en va. Nous restons encore le temps d'un verre. Léandra et Andrew reviennent de leur premier cours d'impro. Ils vont y aller tous les mercredis jusqu'en décembre. Paraît que c'était sympa : la prof leur a notamment fait imiter des légumes ("Léandra, maintenant, tu fais le concombre" : j'aurais bien voulu voir ça, tiens !).

Je voulais rentrer tôt, mais il est passé minuit et demi quand j'arrive chez moi. Damned !

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