Chooz devant !


(Amis des jeux de mots à deux francs cinquante,
bonjour !)

(Zut, après vérificationS, je me rends compte que je ne suis même pas le premier à le faire, celui-là... C'était prévisible, cela dit...) 
Ce matin, je me réveille assez en forme pour accompagner ma maman à Redu, le "Village du Livre". Elle veut y revendre quelques bouquins qu'elle ne lira plus jamais (notamment une collection complète de Mary Higgins Clark : comme je la comprends !). On passe en voiture par Dinant, buvons un café à Beauraing (un village traversé par une grande route bruyante, ainsi que par la vierge Marie, si l'on croit cinq enfants illuminés), puis serpentons la jolie petite route qui mène vers le pays de la Haute-Lesse. 
Le soleil éclaire un superbe panorama dans toutes les directions. Un peu partout, des éoliennes... Au loin, à l'horizon, dans un creux sinueux de la vallée mosane, j'aperçois l'extrémité des deux grosses tours de refroidissement de l'imposante centrale nucléaire française de Chooz : deux réacteurs en fonctionnement (Chooz A est le premier réacteur nucléaire à eau pressurisée de France) ainsi qu'un projet de recherche sur les "oscillations du neutrino". Cette centrale est aussi connue pour sa situation géographique assez funky pour la population belge : elle est très proche de la frontière, dans une protubérance territoriale qui porte le nom de "Pointe de Givet". Si un accident grave devait survenir dans cette centrale, 90% environ de la population à évacuer sur un rayon de 20 kilomètres serait... belge. Début des années 80, la construction du second réacteur a suscité un gros mouvement de contestation, réprimé par la force.

Enfant déjà, ces centrales nucléaires aux tours
"immenses" m’impressionnaient. Aujourd’hui, c’est toujours un peu le
cas mais pour une raison différente, qui touche aux expérimentations toujours un
peu "borderline" (pour reprendre un terme à la mode) sur la fission de l’atome... Des expériences
d’apprentis-sorciers, symptomatiques de la perpétuelle tentation des
humains d’usurper leur "simple condition" et de dresser la nature, de jouer à la magie avec les atomes, de
les contrôler sans réellement les contrôler... (Marrant : je pense avoir déjà parlé de cela avec Andrew il y a quelques mois.)
Durant toute cette partie du trajet, ma pensée vagabonde sur la question du nucléaire... Je repense aux bêtes erreurs de manipulation de Harry Daghlian Jr et de Louis Slotin sur le
"demon core", toutes deux fatales, à cause d'un accident de criticité.
Le "rêve nucléaire"
peut très rapidement se transformer en cauchemar quand on n’y fait pas
gaffe (enfin, bon, ils travaillaient sur une bombe, ces gars-là...). Je pense aussi à l'aspect
"magique" (façon de parler) des rayons ionisants. De retour chez moi (en soirée) je retrouve une vidéo de démonstration d'un réacteur nucléaire expérimental, qui m'avait impressionnée il y a quelques mois : les techniciens enlèvent toutes les barres de contrôle du réacteur d'un coup, initiant en quelques millisecondes de nombreuses réactions en chaîne. L’eau devient toute bleue, non pas à cause d’un
quelconque éclairage, mais à cause de l’effet Vavilov-Čerenkov
, durant lequel certaines particules se déplacent plus vite que la lumière, non pas sur un plan absolu mais dans un milieu donné.
* * *

Ma mère et moi arrivons à Redu vers midi et mangeons au restaurant "Le Clocher". Je fais un tour des librairies. Ma mère va acheter des savons. Je m'arrête un moment dans la librairie qui porte le nom de "L'Archiviste". Une librairie d'histoire (logique). Ma mère arrivera à revendre ses bouquins pour 40 euros. Je termine la visite du village par Fahrenheit 451 : pas le livre évidemment, mais la librairie. Il y a plein de vieilles collections de SF. C'est dingue le nombre de livres des sixties avec des femmes à poil, surtout pour des romans qui ne parlent absolument pas de sexe, ni même parfois de femmes ! Un peu comme si le jeune fan de science-fiction des années 60 achetait son bouquin en fonction du niveau d'érotisme présent sur la couverture (en fait, à y réfléchir, c'est totalement plausible). J'y achète trois livres : Dans le torrent des siècles (Time and Again, 1951) de Clifford D. Simak ; Babel 17 (1966) de Samuel Delany ; Semailles humaines (1957) de James Blish. 
Les deux derniers sont des romans de "SF intello", dans lesquels l'intrigue constitue un prétexte à la mise en avant de théories scientifiques très sérieuses et assez pointues. Dans Babel 17, l'auteur se penche sur une langue utilisée par des envahisseurs extraterrestres comme arme de guerre contre l'Alliance humaine : cette langue, une fois apprise, modifie la façon de penser et de concevoir le monde, un peu à l'instar de la novlangue d'Orwell. Babel 17 pousse ainsi à un de ses plus hauts degrés l'idée de la relativité linguistique, que l'on retrouve notamment dans l'hypothèse (controversée) de Sapir-Whorf, selon laquelle nos représentations mentales dépendent en grande partie de la langue que nous parlons. Quant à Semailles humaines, il s'agit d'un essai sur la "panthropie". Explication : dans de nombreux romans de SF, les humains colonisent des planètes en les "terraformant", c'est-à-dire en adaptant chaque planète à nos conditions de vie. La panthropie, c'est exactement l'inverse : c'est la science d'adapter l'être humain à des conditions de vie a priori hostiles pour lui. On retrouvera plus tard ce très beau thème dans le cycle d'Hypérion de Dan Simmons (qui a, sans aucun doute possible, lu et aimé le roman de Blish), dans lequel les Extros, êtres humains modifiés, se sont pliés aux exigences de l'espace.

* * * 

Je termine la soirée à Saint-Gilles avec Emily, Léandra et Andrew. Je suis très speedé, pour une raison inconnue (l'alcool et le manque de sommeil ?). Emily et Léandra reviennent de France. Cette dernière est revenue de Paris hier. Elle ne parle pas beaucoup. Elle a couchsurfé chez un docteur en physique (à vérifier), maître de conférence à Paris. Le gars en question a une vie un peu triste, d'après Léandra. Il travaille beaucoup, est apiculteur à Versailles, vit dans un petit appartement de 35 mètres carrés (ce qui n'est déjà pas mal pour Paris, en fait)... Léandra est déçue car la conversation qu'elle a eue avec ce monsieur est restée très superficielle. Léandra n'aime pas quand on ne peut pas parler de tout. Quant à Emily, elle est revenue de chez ses parents aujourd'hui. Sur le chemin du retour, elle s'est arrêtée un moment à Compiègne parce qu'un connard de conducteur (belge en plus) lui a fait trois queues de poisson. Emily a l'air assez en forme de prime abord (le retour du retour aux sources ?). (Tiens, elle a aussi attaché ses courts cheveux : c'est assez rare et ça lui va bien. Si je le lui avais dit, elle m'aurait sans doute soutenu l'inverse.)

Parfois, je me demande ce que les cafetiers de la Maison du Peuple de Saint-Gilles fument dans leur réserve. Ils passent des musiques genre "Tata Yoyo" (heureusement, on est dehors) sur lesquelles ils dansent... Ils font un peu n'importe quoi, servent un peu n'importe comment, oublient les commandes... On ne reste pas longtemps de toute façon. On finit par atterrir au restaurant "La Porteuse d'Eau", où ils ont changé leur carte des suggestions et engagé de nouveaux serveurs. Léandra n'a pas de chance avec ces derniers. Aujourd'hui, elle a lancé que notre serveur n'était pas très causant ; le gars était juste derrière à ce moment. Bah, quoi qu'on fasse, ce resto est maudit pour nous, de toute façon !

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