Au « Flandre », à Namur. J'annonce à Gaëlle qu'une surprise va arriver, mais elle ne comprend pas. La surprise, c'est mon père : pour voir sa petite-fille, il est venu en train d'Armentières, petite commune française au nord-ouest de Lille surtout connue pour son passé textile. Il y habite désormais avec son compagnon qui, en ce moment même, est parti en Alsace pour accueillir ses parents. Ceux-ci ne savent pas qu'il est homosexuel : plus de douze ans qu'il leur cache cette vérité qu'ils n'accepteront semble-t-il jamais. D'ailleurs, « papa et maman » lui présentent ponctuellement... une femme à marier ! C'est d'un loufoque.
Il faudrait sans doute plus d'un article de journal pour démêler la trame de cette histoire ; pour expliquer de quelle façon mon père a fini, à presque soixante ans, par faire son coming out ; pour tenter de comprendre pourquoi il a quitté ma mère après plus de trois décennies de mariage, pour sortir avec un homme beaucoup plus jeune que lui. Lui-même affirme ne pas pouvoir l'expliquer complètement. Serait-ce... l'amour ? (Ha !) Quoi qu'il en soit, il laisse ma mère dans une belle bouse faite de problèmes financiers et, depuis peu, de santé défaillante.
Je me rends compte qu'il s'agit d'une situation très banale. Et aussi : que je suis incapable de juger, de prendre parti pour l'un ou pour l'autre. Et encore : que je ne suis absolument pas choqué par quoi que ce soit. Faudrait-il que je le sois ? Pour tout dire, ce n'est pas mon problème. — Je voudrais qu'on applique à ma propre personne les mêmes principes de non-ingérence, bien que je sois parfaitement incapable d'opérer un tel acte de destruction et de reconstruction. (Oui, je suis tenaillé par une sorte d'éthique incapacitante ; je suis un homme faible incapable de la moindre incartade. — Et ce constat ne fait absolument pas de moi quelqu'un de sympathique ou de fiable, bien au contraire !)