Blankenberge-Bruges-Bruxelles

Blankenberge ! (III)

« Je ne me construirais pas de maison (et c'est même une condition de mon bonheur que de ne pas être propriétaire !). Mais si je le devais, je la construirais, tels certains Romains, jusque dans la mer, — j'aimerais partager quelques secrets avec ce beau monstre. » (Nietzsche, Le Gai Savoir, § 240, traduction de Patrick Wotling.)

Début d'après-midi. Je quitte le grand hôtel, traverse la grande avenue, escalade la haute dune et... je peux enfin la voir de jour, cette mer du Nord ! Il bruine et la plage est presque déserte. Seule présence humaine visible au loin : deux silhouettes protégées de la petite pluie par le Pier. De l'autre côté, vers l'est, à deux kilomètres environ, se dressent les installations portuaires de Zeebruges perdues dans la brume. Il y a aussi cet énorme cargo qui s'apprête à pénétrer dans le port. C'est la première fois que je peux observer cet endroit aussi déserté. — Bon à savoir : on peut encore aujourd'hui, malgré la surpopulation, être seul devant la mer.

Bruges !

Je ne descends pas du train à Bruges pour visiter la ville, je suis là parce que je n'ai pas réussi à trouver la moindre poissonnerie ouverte dans la morne et morte Blankenberge. — L'idée est d'acheter des croquettes de crevettes qui, comme convenu, serviront d'entrée ce soir lors du souper chez Léandra. Je parcours donc les rues dans tous les sens pendant deux heures... Chocolatiers, brouwerijen, bierhandel, slagerijen, bakkerijen, kleding... maar geen vishandel! Un Japonais m'interpelle lors de ma recherche de poissons : « Excuse me, do you know where is the "Frietmuseum" ? » À Bruges, les Japonais sont partout ; ils voyagent en couple ; ils ont des appareils photo et des plans de la ville (curieusement en papier, malgré la technologie actuelle bien plus performante). Mais comment veux-tu que je sache où se trouve ton musée de la frite, mon gars ? Je ne sais même pas où trouver une poissonnerie ! Je lui réponds : « Sorry, I'm from Brussels and I don't know this city. » Il s'exclame : « Oh, you are... from Brussels! Oh! » Il a l'air très intéressé par l'information : suis-je une sorte de « Bruxellois véritable » qu'il voudrait photographier ? Non. Il me souhaite la bonne soirée et sa copine me fait un petit geste de la main. Je continue ma tournée, mais il faut me rendre à l'évidence : cette ville n'est pas une ville de poissonniers. C'est une ville de Japonais cherchant le musée de la frite. Il aurait mieux valu que je fasse le trajet jusqu'à Ostende... Je m'en rends compte maintenant... Ha, c'est trop tard ! Et voilà que je me retrouve, après avoir beaucoup marché (voire erré ?), en périphérie de la ville : il n'y a plus aucun touriste, seulement des travailleurs qui rentrent chez eux. Mais où suis-je ? Je suis perdu. Finalement, après avoir arpenté pendant un certain temps le boulevard périphérique, je vois la grand roue au loin et je retrouve mes repères. Alors, je me rends au petit marché de Noël pas trop loin de la gare et j'achète du foie gras et du confit d'oignons. Au diable les croquettes de crevettes !

Bruxelles !

Pour ce soir, Léandra a prévu... du canard ! Et voilà que j'arrive avec du foie gras ! Est-ce raisonnable de manger du foie gras puis du canard ? Et est-ce raisonnable de le manger sur des toasts qui ne ressemblent pas à des toasts ? Est-ce raisonnable de tout manger ? Seul Andrew pourrait trancher, mais Andrew est absent aujourd'hui.

Maïté avait une formule rituelle pour le foie gras : « C'est le foie malade d'un animal torturé ! » — Elle avait raison, mais elle a eu la mauvaise idée, un jour, de... goûter.

Léandra a une très mauvaise opinion d'un délégué syndical à son travail : le gaillard se prend pour quelqu'un d'important et de privilégié parce qu'il est syndicaliste (c'est une erreur). — Oui, il existe à coup sûr des mauvais syndicalistes, mais ce n'est pas du tout un problème de syndicat. Il faut voir les choses en face : dans son ensemble, l'humanité est médiocre. Moi-même, je suis médiocre (mais j'essaye de me soigner... comme Jaurès ?). Et pour ce qui est des syndicalistes, j'en ai aussi rencontrés de très bons : le tableau n'est heureusement pas entièrement négatif.

La médiocrité s'étend aussi aux sites de rencontres : la plupart de ces internautes en mal d'amour (?) sont apparemment très décevants. Léandra aurait voulu me dégoûter une bonne fois pour toute de ce genre de forum qu'elle n'aurait pas fait mieux. Je n'avais de toute façon aucune envie de m'y inscrire : j'essaye en ce moment de construire mon propre site de rencontres 2.0, un endroit où je me rencontre avant tout moi-même. (Mais il ne faudrait tout de même pas que j'en arrive à la situation décrite dans L'Homme éclaté de David Gerrold, roman où le héros, voyageant dans le temps, finit par avoir des relations intimes avec lui-même, devenant... autosexuel !)

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