Le chiffre de Dorabella (7)

Attaque par les doubles lettres. — Parfois, un bon départ pour avancer dans le décryptage d'un chiffre dont on ne possède pas la clé consiste à repérer les doubles lettres. Cela peut fonctionner si la technique de chiffrement utilisée est une simple substitution (un symbole égale une lettre). En anglais moderne, les doubles lettres les plus fréquentes sont, dans l'ordre, SS, EE, TT, FF, LL, MM et OO. Si une succession de deux symboles se trouve dans un message chiffré, il y a une probabilité non négligeable que l'une des lettres mentionnées ci-dessus soit impliquée. Dans le cas du chiffre de Dorabella, les symboles sont écrits les uns à la suite des autres, ce qui ne permet pas de dissocier directement les mots et complique la tâche (car, bien sûr, il est toujours possible que deux lettres qui se suivent soient simplement une lettre de fin et une lettre de début de mot). Cependant, on remarque aussi qu'un symbole apparaît plus que tous les autres (11 fois, ou 10 si l'on considère un de ces symboles comme tendancieux) : la double boucle dont les pointes sont tournées vers le nord-ouest. Et l'on remarque aussi qu'à deux endroits du chiffre, ces symboles sont doublés. Beaucoup de gens y ont pensé avant moi, évidemment : il pourrait s'agir de la lettre E (voir le test ICI). Pourquoi ? Parce qu'en anglais, c'est la première lettre quant à la fréquence d'apparition (environ 12 %, ce qui correspond par ailleurs à sa fréquence d'apparition dans le chiffre !) et qu'en plus, elle est aussi très fréquente en tant que double lettre (elle se retrouve en double dans 3854 mots, selon ce site — une aide précieuse pour les amateurs de Scrabble®, mais aussi de cryptanalyse). Cela dit, dans une feuille d'exercices exécutée plus de vingt ans plus tard, Sir Elgar s'amuse à (nous ?) montrer qu'il est possible de fausser les statistiques avec le très beau « DO YOU GO TO LONDON TOMORROW? » qui contient neuf O, un seul U et aucune autre voyelle ! Mais peu importe : le symbole de la double boucle nord-ouest, donc, a une probabilité plus haute que la moyenne d'être un E. Soit dit en passant, la EE pourrait également représenter les initiales d'Edward Elgar. Que EE puisse être une signature, certains aussi y ont pensé, mais c'est pour moi un non-sens : pourquoi donc Edward Elgar mettrait-il ses initiales en plein milieu d'un message ? Certains répondent : « Parce qu'il était coutumier du fait et qu'il voulait brouiller les pistes en inversant des pans entiers de phrase ». Faux départ : quand on est devant ce genre de chiffre, il faut absolument supprimer rapidement toutes les fausses pistes. Et cette signature, c'est très certainement une fausse piste. Ceux qui y croient y croient sans doute parce qu'ils sous-estiment le nombre de messages qui, si on torture un peu le chiffre, peuvent signifier quelque chose. Par conséquent, je persiste et signe : si ce message doit être déchiffré un jour, ce doit être de manière flamboyante. Autrement dit, il doit faire l'unanimité avec une solution à l'intérieur de laquelle tout se tient. Un Eurêka ou la mort, en quelque sorte !

Laisser un commentaire