L'adjoint du grand détective

Gaëlle ne parle plus de Dieu aujourd'hui. À la place, elle s'intéresse brièvement au futur : « On n'est jamais certain de ce qui se passera dans le futur. Si je dis : "Demain, je serai chez maman", c'est vrai que je serai sans doute chez maman mais, par contre, je ne sais pas ce que j'y ferai. C'est comme ça : on ne peut pas connaître le futur ! »

Plus grande est la projection dans l'avenir, plus difficile est la prévision. Les temps lointains se perdent dans une improbable brume. C'est vrai en météorologie comme en sciences politiques... C'est ce qui rend les bons romans de science-fiction si impressionnants : comment des auteurs comme John Brunner ou George Orwell ont-il réussi à entrevoir avec tant de précision ce monde futur dont ils ne pouvaient observer, en leur temps, qu'une mince ébauche ?

« Ouvrant la porte au médecin, prête à s'excuser d'avoir les mains enfarinées — elle était en train de faire son pain — Mrs. Byrne fronça les narines. De la fumée ! Et si elle la sentait avec le rhume de cerveau qu'elle avait, il fallait que ce soit un gigantesque incendie !
— Il faudrait prévenir les pompiers ! s'exclama-t-elle. Est-ce que c'est une meule de foin ?
— Les pompiers auraient du chemin à faire, lui dit le médecin gravement. Ça vient de l'autre côté de l'Atlantique. Le vent souffle fort, aujourd'hui. »
(La fin du Troupeau aveugle de John Brunner [1972] donne envie de le lire, n'est-ce pas ?)
Une figure récurrente de nombreux romans policiers : celle du candide qui accompagne le grand détective dans tous ses déplacements, à la recherche de « la vérité »... Hercule Poirot a son capitaine Hastings, Sherlock Holmes son docteur Watson, etc. Même si ce personnage secondaire est très souvent limité dans ses mouvements, il apporte quelque chose d'essentiel à l'enquête, à savoir un autre point de vue, beaucoup plus naïf mais néanmoins déterminant. Combien de fois n'entend-on pas Hercule Poirot s'écrier : « Mais bien sûr ! » après qu'une remarque apparemment anodine du capitaine lui a fait découvrir une pièce capitale du puzzle ?

C'est comme ça aussi chez W. ! Car le philosophe a souvent vécu exactement à la manière d'un grand détective : il lui fallait la présence d'un ingénu (Pinsent, Skinner...) à ses côtés pour stimuler sa pensée.

Afin de tromper ses adversaires, Poirot — c'est lui-même qui l'explique dans Drame en trois actes — se fait passer pour plus bête qu'il ne l'est. Une de ses stratégies préférées est de mal parler anglais, de manière à être grandement sous-estimé par le meurtrier. Dans les derniers chapitres, c'est à chaque fois le coup d'éclat et la balance s'inverse d'un seul coup !

On l'aura compris : je traverse en ce moment une phase « vieux romans policiers ». En fait, on pourrait dire que je ne change jamais de centre d'intérêt : romans policiers, science-fiction et philosophie traitent exactement de la même chose, avec des mots sensiblement différents.

On pourrait aussi ajouter le Western dans cette liste, tout comme la pratique de l'Histoire. Tout est lié ! La différence entre une enquête policière, une investigation philosophique, une recherche historique, un récit de science-fiction et un duel de six coups est beaucoup plus maigre qu'on ne le croit !

Léandra, Jonas et moi arrivons presque au même moment au Parvis de Saint-Gilles. Elle et moi sommes là pour l'échange : elle me passe son petit netbook et je lui rends son grand portable sans batterie et à la ventilation plus que douteuse. Que deviendrais-je sans le soutien logistique de mon amie ? (Pas grand-chose, je le crains.)

Léandra a amené Jonas pour tenter de lui changer les idées. Le pauvre stresse parce qu'il a mal et parce qu'on va peut-être bientôt devoir l'opérer. Et il n'est pas content parce que certains médecins lui disent qu'il n'a... rien du tout.

C'est vrai qu'il n'a pas l'air dans son assiette. Il veut rentrer chez lui mais nous arrivons tout de même à le convaincre de venir manger un paquet de frites en notre compagnie, chez Léandra. L'occasion de tester à nouveau Nonsense, le jeu de société qui consiste à insérer un ou plusieurs mots à l'intérieur d'une histoire improvisée sur un thème déterminé. — Ce jeu a tendance à nous stresser, Léandra et moi. Par contre, Jonas semble à l'aise. Sur le chemin du retour, il m'avouera d'ailleurs avoir passé une agréable soirée, qui lui a permis de « penser à autre chose ».

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