Archéologie

Après quelque dix ans de pas grand-chose, voilà donc cet étonnant état d'esprit dans lequel je me trouve aujourd'hui plongé : entre remise en question radicale et recherche d'autres mondes. Il m'aura fallu traverser deux océans — le couple et la solitude accompagnée — pour extirper ce vieil Hamilton de son long séjour en profondeur, piégé sous les multiples strates d'une inavouable débâcle.

Il est des voyages qui ne demandent aucun déplacement. Ce sont ceux que j'organise dans le petit jardin privé de mes pensées. Changer la configuration de ce parterre très particulier — remodeler entièrement son paysage — est la plus difficile et la plus dangereuse des tâches. (Si j'enlève l'une des plantes ornementales qui s'y trouvent, mieux vaut ne pas la remplacer par une mauvaise herbe camouflée en rose.)

Je dois mener simultanément plusieurs combats singuliers : contre l'idéalisme (au sens philosophique) qui risque de me percuter si je baisse la garde ; contre un certain pessimisme romantique qui me rend flou et passif ; contre ma propension à jouer constamment un rôle, à dire ce que je ne pense pas dans le simple but de passer pour « normal ».

Dans ce journal, j'arrive parfois à être parfaitement naturel et à laisser libre cours à mes réflexions, sans aucune entrave. Or, j'apparais rarement de cette manière en public. C'est en ce sens que je déclare jouer un rôle. — Curieusement, Lionel est moins réel qu'Hamilton. Et pourtant, dans la vie de tous les jours, seuls les amis très proches pourront repérer le second à l'intérieur du premier.

Lire Schopenhauer, le digérer et le transformer. — Lire Nietzsche ?

Lire rend-il plus intelligent ? Tout dépend, je suppose, des ouvrages que l'on daigne ouvrir. Car il est aussi des lectures — et c'est là une certitude — qui rendent plus bête.

Le fait de se croire plus intelligent qu'on ne l'est réellement permet quand même d'accomplir, dans une certaine mesure, quelques merveilles. Mais le petit miracle s'arrête dès qu'on ajoute à cette croyance le moindre soupçon de vantardise. — Alors, aux yeux du monde, on ne passe plus que pour un clown pédant ; le dindon de la farce en quelque sorte.

Là où le contentement s'installe, débute la médiocrité.

Une dernière note dissonante. — Toute la subtilité de l'avant-dernier album de Grizzly Bear (Veckatimest, 2009) est contenue dans la chanson « Ready, Able ». En moins de cinq minutes, cette dernière révèle les trésors d'inventivité dont sont capables les quatre musiciens new-yorkais. — Est-ce un steelpan que l'on entend au loin derrière chœurs, orgues et batterie au cours de la grande envolée céleste de la deuxième minute ?

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