« L'hélium, c'est l'avenir ! »

Jeunesse dorée. — À la Maison du Peuple de Saint-Gilles, en fin d'après-midi.
Lui : « Quand j'étais plus jeune, je pensais que je n'étais pas un battant, mais en fait, maintenant, je me rends compte que si : je suis sans doute un battant. »
Elle : « Ouais, bah, c'est sûr. Regarde-toi, regarde où tu es arrivé à ton âge. Si tu n'étais pas un battant, tu crois que tu serais arrivé jusque là ? »
Elle, plus tard : « C'est très simple : les faibles, ils ne passent pas le pas de ma porte. Moi, je veux des gens forts, qui savent se battre, qui en veulent à la vie, des gagnants ! »
Lui, plus tard : « Merde, quoi, ils ne peuvent pas nous foutre un peu la paix, nos parents ? Nous faire confiance ? Nous laisser le choix entre un chemin ou un autre ? Pourquoi constamment nous juger ? »
Lui, plus tard encore : « Tant que tu penseras de cette façon, tu seras déçue. Tu ne dois pas en vouloir aux autres pour ce qu'ils sont. » (Une vérité.)
C'est la nouvelle jeunesse européenne. Celle qui a parfaitement compris l'un des piliers de la (relativement) nouvelle union économique : la libre circulation des personnes. Leur vie est faite de voyages. Pourquoi ne pas aller travailler en Angleterre ou en Allemagne ? Lui, il a des « problèmes d'argent », mais il voyage quand même partout, tout le temps. En fait, il n'a pas vraiment de problème d'argent. Il parle d'appartement : « Perso, je n'en aurais pas donné plus de 180 000, car c'est ce qu'il vaut, à mon avis. Pas plus, non, désolé. » Il aimerait bien aller à Vienne, mais ce n'est pas possible pour l'instant, car — toujours le même problème — il est fauché. « Tu ne peux pas demander du fric à papa et maman ? », demande-t-elle. « Non, pas maintenant, je n'ai pas trop envie. » Plus tard : « Et pour avoir deux bourses, il faut vraiment être balèze. Ce n'est pas à la portée de tout le monde. Donc bon... » Barcelone, c'est chouette, l'Italie aussi. Et il va donner une conférence à Bristol prochainement. Il a dormi avec quelqu'un dernièrement (hier ?), mais juste dormi, hein. « Juste dormi ? » Oui. Il sait aussi que l'extraction de l'hélium est un sujet d'avenir : « Avec l'hélium, on peut se rapprocher du zéro absolu ! » « Comme l'azote liquide ? », demande-t-elle. « Ha, mais l'azote, non, c'est beaucoup moins impressionnant que l'hélium », répond-il. « Non, non, l'hélium, c'est l'avenir. » « L'hélium, c'est ce qu'on met dans les ballons ? » « Ouais, c'est ce qu'on met dans les ballons... » Depuis la catastrophe de l'Hindenburg, du moins. Bref, l'avenir est souriant. Ils l'ont devant eux. — À partir de quel moment n'a-t-on plus l'avenir devant soi ? Fausse question : on n'a jamais l'avenir devant soi. C'est une chimère. Il faut se préparer au changement brusque, à la guerre, à la famine, à la privation, à la maladie et à la mort. « J'ai dû annuler ma conférence à Paris... Le taux de radiation est beaucoup trop élevé pour l'instant, là-bas... Et puis, ils ont réinstauré la douane aux frontières. C'est pas cool, tout ça... Ils ont de méchantes mitraillettes, désormais. J'ai vu leur regard fou injecté de césium et ça m'a fait froid dans le dos. Je suis freiné dans mon élan créateur. Il va peut-être falloir attendre un peu avant de reparler d'hélium. »

A plane passes silently overhead. — Le soir, je suis au café « Etcetera » à Etterbeek, avec Bob et Coraline. Ils ont de l'Orval. Un groupe de reprises du nom de Broadway reprend n'importe quoi, de Michael Jackson à Radiohead. Plus tard, deux amis de Bob nous rejoignent. Discussion sur la Coupe du monde de football. Je dis devant la nouvelle venue : « Pourquoi aurais-je voulu que la Belgique gagne ? Je m'en fous en fait. L'Argentine semblait plus forte. » Je vois qu'elle est offusquée mais qu'elle fait un effort pour se contenir : « C'est juste une question d'être patriote ou pas ! », s'exclame-t-elle. Je réponds : « Eh bien oui, voilà, tu as mis le doigt sur le problème : je ne suis absolument pas patriote. » Un froid. — Plus tôt dans la soirée, j'avais expliqué à Bob et Coraline que je n'arrivais pas à comprendre l'attachement que l'on pouvait porter à une équipe nationale ou à un club sportif : pour moi, une phrase comme « On a gagné ! » est incompréhensible en dehors d'un contexte bien particulier. Par exemple, après avoir gagné un match de badminton avec Mary (je prends l'exemple le plus proche de la réalité), je pourrais crier : « On a gagné ! ». Par contre, je ne pourrai jamais être aussi enthousiaste pour une entité aussi lointaine qu'une équipe nationale. J'ai fini par comparer cela à la guerre : qui a gagné la Seconde Guerre mondiale ? « Nous avons gagné la guerre » ou bien « Les Alliés ont gagné la guerre » ? Mais mes amis ne se sont jamais posé la question et ont essayé de me faire comprendre que ce n'était pas la même chose, et j'ai dit « oui, oui ». — Un peu plus tard, elle me demande : « Et sinon, tu aimes bien le sport ? » Réponse : « Non. Désolé. » Et elle de rétorquer : « J'essayais juste de meubler la conversation... » (Pour mon côté sociable, on repassera un autre jour.)

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