Trois paragraphes sinon rien - III

Inertie. — « Mais pourquoi ? Pourquoi t'obstines-tu à écrire à tout prix un article par jour ? », me demandait Judith hier soir. Pourquoi un tel rythme ? À chaque fois que je tente une explication, elle n'est satisfaisante ni pour moi, ni pour les autres. — Est-ce dans le cadre d'un simple exercice, d'un atelier d'écriture personnel « en temps réel » ? Non. Est-ce pour disposer à long terme d'un panorama complet de ma vie, à des fins de comparaison et de synthèse, comme je l'ai souvent soutenu ? Non plus (si c'était le cas, je m'en tiendrais à la plus stricte et à la plus plate des narrations). Est-ce pour être lu, exister par le regard des autres et par la critique ? Assurément pas. — Non, c'est vraisemblablement ma totale inertie qui est en jeu ici (je me satisfais de la situation dans laquelle je me trouve) : si je/on ne me lance pas, je ne bouge pas ; si je/on me lance (dans un projet, un sport, une activité...), je garde le même mouvement pendant très longtemps sans me poser de question. C'est désespérant.

Anecdote commerciale. — Une caisse de supermarché, à Forest, en début d'après-midi. C'est l'heure creuse et je suis le seul à faire la file (je suis une file à moi tout seul !). Pendant que j'installe mes quelques courses sur le tapis roulant, la jeune caissière discute avec un employé (un réassortisseur). Alors qu'elle passe mes achats sous le scanner, deux femmes traversent le couloir principal à l'entrée du magasin : « Salut Sylvie ! Salut Monique ! », lance la caissière, joyeuse, « Est-ce que je travaille demain après-midi, tout compte fait ? » Entretemps, l'employé s'est volatilisé avec un taux de furtivité digne d'un F-117 — c'est dire comme il fut à la fois rapide et silencieux ! La caissière me sourit : « Ha ha ! Vous avez vu ça ? Vous avez vu comme il s'est barré en courant, ce gros peureux ? La dame qui est passée, là, juste devant nous, c'était la chef de service... Alors mon collègue, du coup, hop ! Il se casse et fait semblant de travailler !... Tenez, le voilà qui revient déjà ! » — Chouette ambiance de vendredi après-midi !

Au bout du fil... — Lorsque tu me demandes comment je vais, je ne peux m'empêcher de penser que tu ne le fais que pour mieux rebondir sur tes propres malheurs, tes propres souffrances ; pour te servir de moi comme d'un entonnoir à problèmes. Tu te sens seul ? Ah, te dis-tu, mais pourquoi ne pas téléphoner à ce cher gentil Hamilton, un rien naïf, qui m'écoutera sans broncher ? J'en viens à me demander si tu es sincèrement capable de t'intéresser à autrui sans aucune arrière-pensée égoïste. — La semaine dernière, ton « Mais peu importe mes problèmes. Toi, comment vas-tu, mon grand ? » aurait sans doute été plus crédible si tu ne m'avais pas coupé après dix secondes par un cinglant : « Oh, tu sais, j'ai appris que dans l'adversité, il valait mieux ne pas écouter les petits problèmes des autres. » Et aujourd'hui, pour mettre fin abruptement à la conversation au moment où celle-ci déviait sur un tout autre sujet que toi, toi, toi, il aurait été préférable de trouver une excuse moins bidon que celle du quidam frappant à la porte de ton appartement. — Je ne te comprendrai jamais ; tu ne me comprendras jamais. Et la prochaine fois que le téléphone sonnera, je ne décrocherai pas. Acta fabula est.

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