Larves

J'ai un peu trop bu hier soir avec Mary et je le ressens au lever, tôt ce matin. Dans le train, la sensation passe, fort heureusement... Plus tard, j'apprendrai que Mary trouve qu'elle a, elle aussi, un peu trop forcé sur la boisson hier...

Aujourd'hui, j'apprends que Steve Jobs est mort. La nouvelle fait le tour de la planète et tout le monde vante depuis lors les mérites de cet "esprit visionnaire". Merde alors ! Maintenant que ce couillon est mort, on va devoir se taper des apologies de son système à la con, machine à fric fermée et pur produit capitaliste ? Le jour où Richard Stallman, gourou du libre, passera de vie à trépas, en parlera-t-on autant dans les journaux ? Ce qu'il propose (le copyleft, le GNU, les logiciels libres et la philosophie qui les accompagne) est éminemment plus sympathique. Donc voilà : j'emmerde Steve Jobs. Dis-donc, Hamilton, ça te sert à quoi de critiquer un cadavre, à part de faire comme "les autres" ? Oh mais je ne critique pas vraiment le gars : plutôt l'hagiographie (pour reprendre un terme à propos utilisé par un pote sur Facebook) que certains journaux lui font, maintenant qu'il est décédé...

Une rude journée s'annonce au boulot aujourd'hui. La raison : je dois terminer en huit heures à peine, en raison de mon opération chirurgicale avancée à demain, une série de tâches qui auraient dû me prendre encore deux ou trois jours. C'est dans ce genre de circonstances que je me rends compte que le travail est "élastique" : sous pression, je travaille mieux, plus vite et je suis plus concentré. Je n'aimerais néanmoins pas travailler comme ça tous les jours (de la journée, je n'ai pas arrêté de me ronger les ongles et de boire des tasses de café). Parmi les travaux que je dois finaliser, il y a entre autres un article sur la mémoire orale ; apprendre à mon chef comment intégrer une nouvelle publication sur notre site Web ; expliquer comment réaliser, gérer et envoyer une lettre d'information ; et aussi et surtout : faire rire mes collègues une dernière fois au cas où mon opération de demain se passerait très mal et où je rejoindrais Steve Jobs... euh... où ça ? Hé bien nulle part en fait.

Durant le trajet de retour à la gare, en voiture, j'ai une discussion intéressante avec mes collègues Lodewijk et Wynka sur la résistance à l'oppression, avec cette question subsidiaire : une existence "trop facile" (comme c'est dans une certaine mesure le cas dans une démocratie en temps de paix) rend-elle les gens plus mous ? Je repense à L'Armée des ombres de Melville : ce sont les circonstances difficiles qui forgent les destins extraordinaires. Trop de confort tue-t-il toute forme exacerbée de lutte et de remise en question d'un système donné ? Prisonniers d'une technologie confortable (on en revient à Steve Jobs !), entourés de luxe (façon de parler) comme nous le sommes, la remise en question du système dans lequel nous vivons en devient-elle larvée ? Le débat est complexe car, d'un autre côté, le système dans lequel nous vivons permet justement la critique. L'idée rappelle aussi (et encore une fois) celle contenue dans le cycle de Dune de Frank Herbert. Les fremens, au départ peuple féroce et guerrier régenté par des règles démesurément strictes à cause du climat exagérément hostile dans lequel ils vivent (une planète qui n'est qu'un immense désert de sable), perdent cette radicalité dans le courant des millénaires, au fur et à mesure que leur planète devient... un jardin.

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Ce soir, ma mère vient dormir chez moi pour deux jours. La raison : être là pendant que je me fais opérer. Ce soir également, Tom passe chez moi pour voir mon vélo pliable. Le deal : il me l'échange contre son VTT. Plus tard, nous allons boire un verre au Moeder Lambic, avec Emily. Réunion bizarre et rare : Tom, Emily, ma maman et moi assis à une même table, dans un café bruxellois. Emily et ma mère boivent du jus de pomme-fraise bio. Tom et moi buvons deux bières (les deux dernières avant qu'on m'enlève une partie de mon corps : les deux dernières tout court peut-être !). Léandra me téléphone pour me souhaiter bonne merde pour demain. En fin de soirée, ma mère paie toutes les consommations (c'est de famille).

Aujourd'hui, beaucoup d'amis et de collègues m'ont demandé si j'étais stressé pour mon opération. Pas le moins du monde (je n'ai aucune prise sur ce genre de chose, alors pourquoi stresser ?) : en fait, pour tout dire, je suis plutôt excité à l'idée de passer sur le billard (je ne dois pas être tout à fait normal).

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