Aquarium

Elle est bouleversée car il l'a « déjà » remplacée. Sortaient-ils toujours ensemble ? Il semblerait que non — ou peut-être que oui, je ne sais plus. D'habitude champion des occurrences léandriennes, j'ai perdu ce compte depuis bien longtemps... Combien de fois se sont-ils quittés puis remis en couple ? Sept fois ? Huit fois ? Je suppose que le calcul dépend en grande partie de ce que l'on entend par « se quitter » et « se remettre en couple »... Combien de fois a-t-elle placé des échéances, lancé des ultimatums ? Là encore, le comptage s'avère des plus complexes.

De toute façon, il lui avait promis qu'il l'informerait de tout changement de situation. Il ne l'a pas fait : c'est un menteur, un sale menteur, un putain de menteur. Il faut qu'il paie, le salaud, qu'il ressente la douleur qu'il m'a causée... Car elle ne sera satisfaite que le jour où il percevra réellement, au plus profond de son être, tout le mal qu'il lui a fait. Mais est-ce seulement possible ?

Elle se sent seule, et surtout lésée : qui était aux petits soins lorsque tout allait de travers ? Et qui était aux abonnés absents quand tout allait bien ? Et maintenant cette fille, qui n'a rien fait, qui ne le connaît pas, va se balader en rue avec lui sans rien connaître de notre histoire commune ? Il faut qu'elle sache !

De mon côté, petit connard fataliste devant l'éternel, croyant dur comme fer qu'on ne change pas les gens — ne voulant de toute façon pas les changer — et qu'une relation, quelle qu'elle soit, ne se base pas sur ce genre de don de soi oblique (voire totalement vertical), combien de fois ne lui ai-je pas répété qu'il fallait tout laisser tomber et bâtir autre chose avec quelqu'un de plus stable ? Là encore, le compte se perd dans la brume... Mais je sais très bien — je ne suis pas complètement idiot — que je ne sers ici que de piètre béquille et que je ne suis absolument pas là pour donner des conseils, qui ne seront de toute façon jamais suivis. Mon amie est bornée : elle ne se fera une raison qu'après de nombreux mois de douleurs, vives, lancinantes puis enfin endormies, comme ce fut déjà le cas avec le docteur... et avec d'autres.

J'ai l'impression d'assister, encore et encore, à la même répétition théâtrale : celle des mêmes couacs au sein de la même représentation ; celle aussi des mêmes jeux entre des représentations différentes. Toujours cette tendance à accourir vers l'autre au moindre appel, à jouer les protectrices, dans un rapport qui se pratique principalement à sens unique : elle donne beaucoup, mais ne reçoit guère. Un peu comme ce parent qui, chaque matin, prépare les tartines de son gamin sans jamais rien demander en retour. Le parent est habitué, l'enfant aussi, et c'est ainsi que se déroule la pièce... Sauf que nous ne sommes plus des enfants.

(Dans mon aquarium, nagent les mêmes petits poissons aux grandes aspirations. Nous sommes des littéraires. Nous avons tous une idée très précise de ce que nous voulons. Les romans, les poèmes et les grandes biographies ont dessiné dans les circonvolutions de notre turbulent cerveau une vision impossible des grandes amours et des grands destins. Nous voulons quelque chose de magnifique, s'il vous plaît ! Et nous n'arrêtons pas de projeter, de projeter, de projeter, encore et toujours, putain de bordel de merde...)

Ce soir, Andrew et moi, un rien nostalgiques sans doute, avons discuté des paysages de World of Warcraft pendant que, silencieuse, elle cherchait le nom de la nouvelle élue sur mon/son ordinateur... Une recherche méticuleuse dont elle seule a le secret, mais qui ce soir n'a pas du tout abouti. Sa traque est obsessionnelle et je ne la comprendrai jamais. — Là où je m'effacerais dans le plus grand silence, elle cherche, fouine, envoie des messages, des messages, encore des messages...

Et puis, elle finit par s'en aller de la Maison du Peuple, sans dire grand-chose. Forcément, la suite de la discussion tournera autour du même sujet. Forcément, sa déprime aura un effet sur mon — notre ? — moral. Je voudrais un jour démolir cette carapace qui m'entoure depuis bien trop d'années, mais ce n'est sans doute pas le bon moment : il faudrait avant tout qu'il y ait beaucoup plus de bonheur autour de moi (et c'est apparemment très loin d'être gagné).

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