Le marbre des possibles

J'ai sans doute avalé trop de barbaque – délicieuse au demeurant – hier soir ou alors j'ai pris un peu froid sous le vent glacé. Ou peut-être les deux ? Toujours est-il que je suis malade. Vraiment. Ce matin, ça allait encore. Ce midi, j'ai eu la mauvaise idée de commander une pizza au jambon (avec un supplément d'ail et d'huile piquante – rien qu'à y repenser, j'en ai la nausée !) et cet après-midi de boire beaucoup de café. Quel idiot je fais ! Je suis donc actuellement dans mon lit, il est 21h17 et j'ai envie de dormir. D'un autre côté, je suis presque à jour sur mon blog... Encore un petit effort et je ne devrai pas passer les nuits de ce week-end à rattraper mon retard.

Quand j'y réfléchis, ce journal est vraiment une très grosse contrainte. Je passe une partie de ma journée à observer tout plein de situations différentes, à réfléchir comment je vais les "mettre en scène", puis une autre partie (plus conséquente) à l'écrire dans ce blog. Et c'est un peu comme en physique quantique : l'observation modifie l'objet observé. Depuis que je tiens ce blog, je modifie ma réalité pour la faire entrer dans ce ridicule canevas Web. Mais il ne faut pas que je réfléchisse trop. Si je réfléchis, je m'arrête d'écrire. Toujours de l'avant, Camarade, toujours plus haut, toujours plus loin ! (La fièvre, sans doute...)

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Ce matin, dans le train m'amenant à Liège, des écouteurs vissés dans les oreilles (je redécouvre pour l'instant tous les albums de Pinback, et ce depuis une discussion avec mon collègue Aurèle), je repense assez curieusement à cette histoire de David de Michel-Ange et de son bloc de marbre. Qui m'avait parlé de cela ? Andrew ? Oui, c'est sans doute Andrew... Ou Lewis, qui vénère Michel-Ange le sculpteur ? Non, je pense que c'est Andrew... Je suis fatigué. Qu'est-ce que je racontais ? Ha oui ! Une question existentielle sur ce bloc de marbre, avec lequel le jeune artiste a réalisé ce chef-d'œuvre intemporel qu'est le David. La question est la suivante : "Michel-Ange a-t-il sculpté le David ou bien n'a-t-il fait qu'extraire quelque chose qui existait déjà dans le marbre ?". Posée de cette manière, la question n'a presque aucun sens et tout le monde répondra assez logiquement : "Mais bien sûr que c'est lui qui l'a sculpté. D'ailleurs, un mauvais sculpteur, avec le même bloc, aurait sans doute donné naissance à un horrible volume informe !"

C'est vrai mais la question de départ (absurde) est nécessaire pour amener à quelque chose de plus fondamental (il faut "jeter l'échelle après y être monté", comme dirait Wittgenstein, première période), à savoir le fait qu'un bloc de marbre contient dès le départ une infinité (ou une quasi-infinité ?) d'états possibles et que l'artiste, somme toute, ne fait que révéler un de ces états. Si l'artiste est un génie, la forme extraite de la masse n'en sera que plus grandiose. L'exemple de Michel-Ange est parfait car celui-ci a laissé une galerie de sculptures non terminées (même si c'était non voulu au départ), telle une partie de la série des Esclaves, dont certains corps resteront bloqués à jamais dans le marbre, à moins qu'un fou ne les attaque au burin ou avec un marteau de géologue...

Mais pourquoi est-ce que je développe tout cela ici ? Simplement parce que je n'ai rien d'autre à dire aujourd'hui j'y ai pensé dans le train ce matin. Et pourquoi y ai-je pensé dans le train ce matin, en écoutant Pinback ? Car je me suis dit que cette histoire de David caché au sein du marbre était valable pour absolument tout : pour la musique, pour la littérature, la peinture, les idées, la science, la technologie, les relations humaines (!), pour tout : l'univers contient déjà l'ensemble de tous les possibles, mais seuls certains seront dévoilés. Dans cette optique précise, le génie n'est en fait que la faculté, à un moment donné, d'exhumer ce qui est caché aux yeux des autres. 
Je me dis que je réfléchis toujours plus à ce genre de concept un rien alambiqué quand je suis saoul ou quand je suis malade. Si je veux vraiment me dépasser, il faut que je boive et que je sois malade au même moment.

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Normalement, ce soir, Emily va voir Intouchables au cinéma avec Lytle et peut-être Charles-Henri. Dès ce mercredi, je n'étais pas très motivé pour aller voir ce film avec eux. Aujourd'hui, étant malade, je le suis encore moins. Léandra m'a gentiment donné hier soir une invitation pour une place de cinéma qu'elle a reçue à son boulot, estampillée "Brightfish" (l'agence publicitaire). Rien ne presse et je l'utiliserai donc une autre fois...

Je suis en train d'écrire ma journée alors qu'elle se déroule, en temps réel ou presque (c'est une expérience intéressante). Je suis dans mon lit, toujours malade, évidemment. Je suis en train de discuter sur Facebook avec Claire (à son tour de se présenter un tout petit peu !). 

Un numéro de téléphone inconnu m'appelle. D'habitude, je ne décroche pas, mais vu l'heure, je sens qu'il faut que je réponde. C'est Léandra : quelqu'un vient de lui piquer son smartphone à la station de prémétro Anneessens. Non pas en loucedé, non : on lui a arraché des mains, bordel ! (Je profite par ailleurs de ce post pour dire à ceux qui s'inquiéteraient que Léandra est rentrée chez elle et qu'elle va bien !)

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