Antépénultième

— D'un coup, cette pensée : il faut que j'écrive ; que j'écrive tout cela en une seule journée !

Maison du Peuple de Saint-Gilles, lundi, avec Léandra — et cette discussion : que nous apporte donc le romantisme, et plus particulièrement cette aile morbide du romantisme qui ne voit dans le jeune bourgeon florissant que le présage d'un végétal déjà mort, c'est-à-dire mort dans l'avenir ? Que nous apporte donc le romantisme noir ? Que nous apporte cet arbre qui plonge ses racines dans la mélancolie, dans la nostalgie d'un passé qui n'a jamais existé et qui tend ses branches vers un futur (forcément sombre et pessimiste) qui n'existe pas encore ? — Il n'apporte rien, ni à nous-mêmes, ni à l'humanité, et il nous faut à tout prix nous en débarrasser.

Je lui dis, mais non en ces termes évidemment, que les textes de Nietzsche (en l'occurrence la Généalogie de la morale) constituent un excellent antidote contre le mal romantique. De manière générale, la philosophie classique (comprendre antiromantique) allemande est une fabuleuse machine d'extraction, un châssis à molettes des sentiments ! — Rayonner par et pour soi-même, voilà ce que Nietzsche propose : être un soleil et non une planète, et encore moins une lune ! Être un génie créateur et non un moine copiste !

Je ne m'exprime pas de cette manière, mais Léandra devine la pensée derrière les mots, car c'est Léandra* : « Il veut un retour à l'aristocratie romaine : peu importe la violence des forts sur les faibles... Il conchie le christianisme, l'égalitarisme, le socialisme, la démocratie... Pour lui, le fait d'enfermer un fort, un "noble", un créateur de valeurs à l'intérieur d'une norme est un non-sens. Le fauve de Nietzsche a besoin d'espace. » Ce à quoi elle répond : « Il n'a aucune empathie. Il écrit comme un psychopathe. »

Mon amour/amitié pour les psychopathes ne date pas d'hier. Peut-être est-ce parce que, par définition, je suis un antipsychopathe ou bien, plus précisément, un psychopathe abandonné en chemin ? (Je ne suis même pas certain de comprendre moi-même ce que je veux exprimer ici.) — Mais peut-être est-ce aussi parce que les psychopathes m'apprennent quelque chose ? (Ils ont au moins, très souvent, la bonne idée de ne pas être idiots.)

* * *

Ensemble d'images du monde axées autour d'un moyeu tellement rouillé qu'il est impossible de le faire tourner — ma maman.

Celui-là est trop sérieux : il ne laisse aucune place à l'humour perpétuel, et il rit quand il ne faut pas rire.

L'intelligence peut-elle simplement naître de l'absence d'abandon ? Peut-elle naître de la persévérance ? Si j'avais abandonné toute entreprise dès le commencement, serais-je plus bête aujourd'hui ? (Oui.)

Lester Freamon est, comme beaucoup d'autres personnages de The Wire, un parfait exemple d'économie de mouvement : il ne se déplace que lorsqu'il doit se déplacer. — Il est donc, malgré les apparences, un roi dans un royaume de pions. 

L'extrême droite prolifère en Europe comme les pyrales dans ma cuisine. Ha, si je pouvais écrabouiller ces têtes creuses d'un simple frottement de mains !
Décrire sans juger : voilà ce à quoi j'aurais voulu, à terme, arriver dans ce journal. — Mais je suis humain, pour le meilleur et pour le pire.

Dans le train du matin, un jour de la semaine à venir. — Je la regarde dormir, cette parfaite (dans tous les sens du terme) inconnue, peut-être de manière trop insistante. Au réveil, au lieu du traditionnel regard de mépris, elle m'adresse un joli sourire auquel j'essayerai de répondre tant bien que mal. (Les répercussions d'un tel sourire sont presque infinies... et les sourires entraînent les sourires.) 
Neuf jours après ce lundi 3 juin, je sentirai sur le chemin du retour une odeur d'humus propre à un ciel d'orage mais sans orage : aucune pluie, même infime ; aucun tonnerre, même lointain ; aucun éclair déchirant le ciel... Et pourtant, cette odeur pénètre mes narines et me donne un bel aperçu de ce que la vie, avec ses petites surprises quotidiennes, peut me réserver (ici donc, une odeur d'humus caractéristique, ni plus, ni moins).

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* Ils feront de Léandra une muse ou une sainte, mais ils se tromperont benoîtement, car Léandra, c'est Cassandre !

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