Parcimonie

Le mérite n'a rien à voir avec ça. — Petite réunion à Bruxelles, en mode automatique. J'ai l'impression de passer pour un gars méritant et travailleur mais pas très malin, alors qu'en réalité la description inverse me conviendrait sans doute mieux. Déjà durant mes études secondaires, j'étais confronté à ce quiproquo humiliant : en dernière année, j'avais même reçu le prix de « l'élève le plus méritant » (que je ne méritais pas) parce que mes professeurs croyaient généralement que j'étudiais beaucoup pour des résultats pas trop mauvais.

De la facilité de (mal) mentir. — Lorsque je ne suis pas convaincu par ce que je raconte, lorsque je joue la comédie, je ressens un profond malaise et je suis persuadé que ce malaise est directement détecté par mes interlocuteurs : la fausseté et le mensonge sautent aux yeux ! Mais de temps à autre, je me rends compte que ces mêmes interlocuteurs continuent de me parler normalement, comme si la conversation n'était pas du tout biaisée dès ses fondations. C'est sans doute pour cette raison — parce que la plupart des protagonistes d'une discussion superficielle sont incapables de dissocier le vrai du faux, ou parce qu'ils y arrivent mais qu'ils se fichent royalement que ce soit vrai ou faux — qu'il est si facile (et tentant) de mentir.

Un exemple de ressentiment. — À la Maison du Peuple, en début de soirée. Je n'ai pas d'autre choix que d'écouter la conversation des deux femmes assises à la table en face de la mienne. Le dialogue est fortement déséquilibré : l'une parle, parle, parle ; l'autre écoute, écoute, écoute. Parfois, celle-ci entrecoupe le monologue de la première par des « Hmmm », « Roooh ! », « Eh ben ! », « Ha bon ? », « Elle a osé ? », etc. (J'ai appris il y a peu que c'est ce que le linguiste Roman Jakobson appelait la « fonction phatique » du langage, c'est-à-dire une fonction qui n'a pas pour vocation de communiquer une information, mais seulement de faire en sorte que la communication se passe sans entrave : par ces quelques mots glissés ça et là, l'allocutaire montre qu'il est attentif au discours du locuteur.) — De quoi est composé ce monologue ? De ressentiment, uniquement de ressentiment ! J'ai rarement eu l'occasion d'observer un aussi bel exemple de ressentiment se prolongeant sur plus de deux heures. Tout le monde passe à travers la moulinette de l'aigreur de cette dame : collègues, amis, famille... Sa vie ne semble faite que de gens qui viennent à sa rencontre pour profondément la décevoir de par leur comportement inhumain, mauvais, hostile, voire sadique. « Peut-être est-ce le cas ? », me suis-je dit, « Peut-être tous ces gens sont-ils des "méchants" qui la tourmentent sans cesse ? » Mais il est beaucoup plus facile de comprendre la situation personnelle de cette dame si on lui applique une sorte de lex parsimoniae : c'est elle qui a un problème avec le monde et non le monde qui a un problème avec elle.

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