Créatifs VS Administratifs

« Si j'étais médecin, je prescrirais des vacances à tous les patients qui considèrent que leur travail est important. » (Bertrand Russell)

Léandra, qui apparaît pour la 200e fois aujourd'hui dans ce blog, suivie de près par Emily (164 fois), me rejoint vers huit heures du soir au Bar du Matin (paradoxe). Elle est fatiguée, presque exténuée même, car elle a énormément de boulot, et aussi parce que son chef est un peu chiant contrariant : il la reprend constamment sur des détails (comme, par exemple, un insignifiant problème de logo sur la page d'accueil du site Web de son travail) et lui demande de réaliser des travaux qui ne font pas partie de ses compétences directes... 


Léandra m'explique que, en dehors des affres du labeur, elle a passé un excellent week-end à Paris en compagnie de Jonas et de ses génies d'amis, docteurs en informatique et autres scientifiques très doués dont certains sont, si j'ai bien suivi, également très gentils et très humbles — le triangle parfait ? Non, car il manque l'honnêteté (running gag). Constat de Léandra : en compagnie de ces personnes, Jonas ne s'est pas comporté de la même manière que lorsqu'il se retrouve seul avec elle. Ses réponses, sur Bruxelles ou d'autres sujets, changent et mettent en avant une image beaucoup plus positive de lui. Dans quel comportement est-il "le plus lui-même" ? Mauvaise question car il peut être "lui-même" dans ces deux comportements, justement. Autrement dit : nous nous comportons très souvent différemment selon l'environnement ; nous voulons renvoyer une image différente — tracassée/confiante ; triste/joyeuse ; etc. — selon les situations et les gens que nous rencontrons. Quelle différence y a-t-il entre un entretien d'embauche, un rendez-vous galant et une réunion de vieux amis ? La réponse saute presque aux yeux : dans chaque cas de figure, je me comporte différemment. (Vraiment ?)
Léandra a regardé récemment avec Jonas, en une seule soirée, l'intégrale de The Lost Room, une mini-série américaine (2006) d'un peu plus de cinq heures dont le principal centre d'intérêt est une chambre de motel hors du temps... La pièce est accessible grâce à une clé qui permet d'ouvrir n'importe quelle porte disposant d'une serrure à goupilles et qui donne à chaque fois sur ladite chambre. Les objets de la pièce ont chacun un pouvoir particulier, parfois ridicule, parfois beaucoup plus utile... Léandra dira : "Ce n'est pas mal mais ce qui est le plus bizarre dans cette série, c'est le thème principal : comment les scénaristes ont-ils pu avoir l'idée d'une chambre pareille contenant des objets aux pouvoirs si particuliers ?" En général, mieux vaut ne pas chercher à comprendre ce qui se passe dans la tête des scénaristes.
De mon côté, j'explique à Léandra que je regarde en ce moment la première saison (2004-2005) de la série de science-fiction Battlestar Galactica. Léandra en a déjà entendu parler, "sans doute sur des sites de rencontres", me dit-elle. J'imagine que l'on se dit fan de cette série de la même manière qu'on se disait fan de Star Trek à la fin des années 60... et que le célibataire qui mentionne cette passion quelque part dans sa présentation sur un site de rencontres pense qu'il pose là un acte intelligent, une sorte de summum de l'originalité... J'imagine cela simplement parce que je serais capable d'écrire pareille bêtise tout en sachant que ce n'est pas de cette façon que "la chose" fonctionne... Mais comment cela fonctionne-t-il ?

"De quoi ça parle ?", me demande Léandra. Je suppose qu'elle s'en fout un peu mais c'est tout de même très sympathique de sa part de me poser la question... Ça me permet de lui raconter en quelques mots l'arrière-plan de la série : une humanité presque entièrement anéantie par les machines qu'elle a engendrées (un thème classique de la S.-F., qui pose la question de la conscience, voire de "l'âme", desdites machines — Blade Runner n'est vraiment pas loin), une flotte de vaisseaux humains tentant de survivre dans un univers hostile, etc., etc. La série aborde des thèmes comme la liberté, la démocratie (la présidente en fonction est-elle légitime ?), la religion, l'illusion, les rêves, la conscience (comment distinguer un humain de sa copie lorsque celle-ci est parfaite à tout point de vue ? — Et cela a-t-il encore un sens d'effectuer cette distinction ?)... La suite au prochain épisode. 


En fin de soirée, nous parlons de Google, assez curieusement, et surtout de ce que j'appelle, pour simplifier, les créatifs et les administratifs. Je reviendrai (ou pas) sur ce thème une autre fois pour le détailler... L'idée générale est la suivante : certaines personnes adorent — et doivent — être libres dans leur travail (y compris en ce qui concerne leur temps de travail) pour être créatifs et donner le meilleur d'eux-mêmes. La moindre bride diminue leur capacité à inventer quelque chose ou à exceller dans un domaine. À l'inverse, d'autres détestent cette liberté, cet éclatement des possibilités, et refusent l'indépendance. Ceux-là ont, contrairement aux premiers, constamment besoin d'être guidés dans ce qu'ils font. 

Aucun jugement de valeur dans ces dernières phrases, juste un constat... Un constat qui me fait dire que l'invention des "horaires de travail" et des "heures à prester" est, dans de nombreux cas, une imbécilité sans nom.

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