Redéploiement

Bibliophilie. — Quel bonheur, quelle chance, lorsqu'on est bibliophile, que de travailler dans un centre de documentation ! Aujourd'hui matin, dans un de nos dépôts, presque toute l'équipe s'évertue à redistribuer et à redéployer des pans entiers de la bibliothèque. Le travail serait passablement ennuyeux si les objets à déplacer n'étaient des livres, des livres et encore des livres... De vieux livres qui ont chacun une histoire, une configuration et une odeur particulières. — Par le plus grand des hasards, les trois premières tablettes dont je m'occupe sont remplies à ras bord de monographies sur le fabuleux monde de l'imprimerie : trois mètres linéaires de traités de typographie, de recueils de polices de caractères propres à telle ou telle maison d'imprimeurs, d'ouvrages sur les linotypes. (C'est jouissif... jusqu'à un certain point.) Sur la tablette suivante, quelques cahiers d'échantillons de fils et de tissus en provenance de l'industrie textile. Plus loin, dans un tout autre registre, une travée complète consacrée à Karl Marx. Juste à côté, une autre consacrée à Lénine, comprenant notamment les quarante-cinq (!) volumes de son œuvre complète, en français, édités par les Éditions du Progrès. Plus loin encore, des ouvrages sur l'utopie, sur l'anarchisme... — J'ai envie de tout dévaliser mais je me retiens : à quoi bon ? J'ai tellement de retard dans mes lectures qu'augmenter la pile serait presque malsain.

Trahison. — Sur le temps de midi, nous allons manger à la Cucina, une sandwicherie en libre-service dans le centre de Liège, pas loin de la place du Vingt-Août. Dès l'entrée, un homme vient à ma rencontre pour me serrer la main : il s'agit du patron de la Cucina de la gare des Guillemins. Il m'apprend qu'il est propriétaire des deux établissements. Je suis un peu gêné parce que j'ai déserté la Cucina de la gare au profit de l'Espress « Oh » Juice et de son « café de la semaine ». (Oui : moi aussi, je suis capable des pires trahisons !)

Gauche de la gauche. — À chaque fois que j'entends parler de « gauche de la gauche », j'ai envie de ressortir du grenier mon cache-poussière et ma vieille Winchester. Il existerait donc une certaine « gauche mais pas trop », à la gauche de laquelle se trouverait une gauche plus à gauche, une « gauche de la gauche » plus radicale ? « Oh, tu sais, moi, je fais partie de la gauche responsable, et non de cette gauche de la gauche fantaisiste et extrémiste ! » — Puisses-tu t'embourber jusqu'au cou dans ta gauche responsable ! Puisses-tu t'y embourber et t'y noyer !

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