Le courage des oiseaux

Tourne ton dos contre mon dos.
Que vois-tu ? Je ne te vois plus.
Si c'est ainsi qu'on continue,
Je ne donne pas cher de nos peaux !

(Dominique A, "Le courage des oiseaux")

Le courage des oiseaux by Dominique A. on Grooveshark

Léandra n'est pas satisfaite de son actuelle relation avec Jonas. Que ce soit à la terrasse de la Maison du Peuple — bercés par les airs d'un accordéoniste qui, d'après mon amie, ressemble à Sean Penn mais en plus vieux — ou bien plus tard chez elle devant un paquet de frites et du café (drôle de mélange), j'entends la même musique : elle n'est pas contente de la façon dont "l'affaire" se déroule... "Je suis désolée de t'ennuyer avec ça", "Je ne parle que de ça", me dira-t-elle à plusieurs reprises... Peu importe ! Cependant, je ne suis d'aucun secours car tout ce que je dis est balayé d'un revers de la main, considéré comme non pertinent...
Léandra est insatisfaite parce que Jonas ne fait aucun effort et se contente de la voir une ou deux fois par semaine : "Pour lui, c'est suffisant, mais pour moi, ce n'est pas assez. Ce n'est pas comme cela que je conçois une relation !" Elle pense qu'il rate quelque chose. En fait, pour tout dire, elle pense que beaucoup de gens ratent quelque chose : pour Léandra, nombre de ses amis ou connaissances vivent une existence à côté de la plaque : "Ils ne devraient pas se comporter de cette manière", "C'est malheureux qu'ils se comportent de cette manière !"

Ma personnalité est en partie comprise implicitement dans cette mention de comportements inadéquats. D'après Léandra, il y a une bonne et une mauvaise façon de se comporter face au Monde — et son Monde, c'est comme l'enfer : c'est les autres ! La "bonne" manière consiste à "aller vers autrui" (vers elle) et vivre les relations (amicales et surtout amoureuses) en profondeur, totalement ; la "mauvaise" consiste à se réfugier dans une sorte de confort solitaire et poltron, sans se mouiller, et ainsi vivre toute relation superficiellement, sans jamais se remettre en question. Léandra se donne pour mission de changer ceux qu'elle aime et ne renonce qu'après avoir tout essayé : "Il faut qu'il comprenne qu'il ne se comporte pas comme il devrait se comporter ! C'est trop triste..."

Si je trouve sa vision de l'engagement réconfortante, je suis par contre très éloigné de sa volonté de changer les gens. Ma réaction face à ce genre d'idées a toujours été (et sera toujours, ai-je envie de dire) : Oublie ! Passe ton chemin ou accepte la personne telle qu'elle est. Toute tentative de métamorphose des "fondations" d'un individu est vaine et directement vouée au plus cuisant des échecs ! Non seulement je pense que c'est impossible de changer quelqu'un en profondeur (à moins de lui laver le cerveau, ce qui n'est pas l'idée ici), mais en plus je suis convaincu que c'est une mauvaise chose, moralement, que d'essayer de le faire. 

Dans le discours de Léandra, revient souvent le concept d'absolu, et aussi celui de certitude : "Il y a moyen de donner une valeur aux êtres humains, dans l'absolu" ; "Dans l'absolu, les gens devraient plus aller vers les autres" ; "Je suis certaine que Jonas rate quelque chose de bien en se comportant de la sorte" ; etc. De mon côté, je pense (sans vraiment le dire lors de cette soirée) que tout irait déjà beaucoup mieux si nous extirpions cette idée d'absolu de nos discussions, ou au moins si nous nous contentions de préciser que cet absolu-là se limite à nous-mêmes. En d'autres termes : reléguer dans les oubliettes de notre esprit l'idée qu'il existe un comportement absolu, une façon de vivre absolue, que nous devrions tous adopter pour le bien commun... L'ermite chrétien dira que l'absolu se trouve dans l'ascèse et le repli sur soi ; l'hédoniste qu'au contraire il se situe dans la recherche du plaisir terrestre. Qui a raison ? Personne. Qui a tort ? Personne non plus. Pourtant l'un et l'autre seront peut-être tout aussi certains que leur façon de vivre est la bonne

Avis personnel : il vaut mieux que j'aime les gens tels qu'ils sont ou alors que je passe mon chemin. C'est là une forme acceptable d'élitisme : choisir dès le départ les personnes qui feront partie de ma vie, et les accepter avec leur façon d'être et ce que je considère comme leurs qualités et leurs défauts, parce que je les aime comme cela, parce que leurs différences me font évoluer... Si je trouve qu'elles se comportent de façon trop incompatible avec ce que je suis, il est préférable de ne même plus les voir...

Fin de la discussion : vient alors l'idée que certaines personnes manquent de courage. En mentionnant le courage, Léandra parle d'amour et de relation, évidemment, mais la discussion bifurque... "Le génie, c'est le courage dans le talent", disait l'autre : il est assez facile d'avoir du talent, du moins dans un domaine particulier, mais ce talent ne vaudra pas grand chose s'il n'est pas utilisé avec courage, quand bien même cela demanderait une remise en question totale. Idem en amour, apparemment : il faut avoir le courage de changer ses habitudes, de plonger dans l'inconnu. Ce n'est pas encore gagné pour tout le monde.

* * *
Nous ne parlons pas que de Jonas et de relations humaines. À la terrasse de la Maison du Peuple, Léandra m'explique les affres d'une campagne publicitaire catastrophique à son travail :

« J'ai reçu le projet final et il est très mal ficelé...
— Ha...
— Par exemple : comment écris-tu le "eh" de "eh bien" ?
— Euh... Avec un "H"...

— Oui, eh bien ils l'ont écrit avec un "T" ! 
— Ha. Alors que ça s'écrit "H-É"... 
— Non, ça s'écrit "E-H" ! 
— Ha, je croyais qu'on commençait par le "H" !
— Non, non, je suis certaine que c'est "E-H" pour "eh bien"...
— Ha ben merde, je suis bon pour modifier tous les "hé bien" mal orthographiés dans mon blog ! »
(Et peut-être l'ai-je même écrit quelquefois "Et bien"... Qui sait ?)

Autre sujet de discussion, plus tard dans la soirée, chez Léandra : 

« Pour les amoureux qui veulent s'envoyer des messages personnels, j'ai entendu parler d'un réseau social dont le nombre d'amis est limité à... une personne !
Pffff...
— C'est clairement destiné en priorité aux couples.
— Ben ils pourraient utiliser Facebook et limiter l'amitié à une personne... Ou bien s'écrire des mails, non ?
— Oui et non. Là, ils ont plein de fonctionnalités dédiées en plus.
— Et ça s'appelle comment ?
— "Twins", je crois, mais je n'en suis pas sûre... »
(Après vérification, il s'avère que c'est une application iPhone et que ça s'appelle "Pair".)

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