Paris [15/16] — Paris sera toujours (texte écrit par Léandra)

- On va où maintenant ?
- Où tu veux.
- Non mais toi, qu'est-ce que tu veux faire ?
- Comme tu veux, ça n'a pas d'importance.
- Mais si, ça en a ! Et si je n'étais pas là, tu irais où ?
- Certainement dans un café près de la gare du Nord, boire des bières en attendant le train.
- Mais il reste trois heures avant le départ !
- Oui, je sais.

Comme souvent, je ne comprends pas mon ami. Il apprécie les belles et bonnes choses, mais il ne fait rien pour en découvrir de nouvelles. S'il rate quelque chose, il dira : "Tant pis, ça n'a pas d'importance". C'est assez déconcertant pour moi d'être confrontée à ce genre de réaction. À cette passivité (ici, il ne s'agit que de trois heures à tuer en attendant un train, mais ça a déjà failli nous jouer des tours bien moins anodins - heureusement qu'Hamilton peut quand même finir par se bouger et par agir, quand il faut).

Je bataille tellement, à longueur de temps, pour vivre les choses que je veux vivre (de façon assez désespérée et désespérante parfois) que pour moi cette attitude si peu volontariste est presque incompréhensible. Comment peut-on ne pas vouloir quelque chose qui est à notre portée ? Comment ne pas toujours avoir envie de quelque chose ? De plus ? De mieux ? C'est un mystère pour moi. Une fois de plus, ce petit city-trip ensemble a mis en lumière cette différence fondamentale dans nos caractères.

Puisqu'il semble que je ne puisse pas m'empêcher d'avoir des attentes, j'en attendais quoi, précisément, de ce week-end à Paris ? Oh, comme d'habitude, j'en voulais beaucoup (trop). Je voulais des musées, des expos. Découvrir de nouveaux quartiers. Des boutiques. Beaucoup de culture surtout, des trucs un peu plus pointus que ce que j'avais déjà vu de cette ville que j'aime tant.

Et au final, on s'est quand même retrouvé aux pieds de la tour Eiffel !

Quand je vais à Paris, je râle à chaque fois de refaire toujours les mêmes trucs de touriste. Oh, Hamilton n'y peut rien, pour le coup ! C'est la ville qui veut ça : elle nous transforme inéluctablement en petits touristes japonais qui photographient les cadenas d'amour sur le pont des Arts.

J'ai bien essayé de ruser, de trouver des formules originales pour contrer la malédiction : rien n'y fait !

Il y a plusieurs années, je suis partie à Paris en couchsurfing, chez un professeur d'université astrophysicien, qui n'accueillait bizarrement que des filles sur son petit canapé, dans son petit appartement au cinquième étage sans ascenseur. J'y ai fait un stage de photo, qui était assez chouette, mais trop court (trois heures). Une fois, j'ai même pris rendez-vous avec un Parisien d'Adopteunmec ! Virgile, il s'appelait - et je pense que c'était son vrai prénom. Il m'a fait visiter son quartier, Belleville (que je connaissais un peu déjà, car la tante de Jonas y habitait) et une expo d'art contemporain. Pour le coup, elle était bien pointue, cette expo. Mais le mec était terriblement chiant et prétentieux.

Malgré tous ces efforts, ça ne change pas : je reste une touriste qui répète les mêmes choses déjà vues et revues. Je pense qu'à chaque fois, sur les albums Facebook que j'ai postés au retour de Paris, il y avait au moins une photo de la tour Eiffel ou de ces foutus cadenas...

C'est comme les grandes avenues : on y revient toujours. Pendant ce séjour avec Hamilton, je les ai détestées. Ces places. Concorde. Bastille. République. Mais donnez-moi plutôt des petites rues avec des tags (de parapluie) à photographier ! Pour ça, j'adore le Marais. C'est mignon, c'est bobo, on se croirait à Saint-Gilles, mais en différent. La matinée dans ce quartier le dimanche et la visite du musée Picasso, ça a assurément été le moment fort de notre week-end. Là, enfin, j'avais ce que je voulais (qui est assez difficile à définir). Même le musée Carnavalet, j'ai bien aimé. En plus, c'était gratuit.

On a aussi visité le musée d'Orsay. Hamilton m'a expliqué qu'il l'avait déjà visité trois ou quatre fois. À chaque fois, il était allé voir les impressionnistes et n'avait pas assez de temps pour faire le reste. Pourquoi ne pas commencer par ce qu'il n'a jamais vu alors ? Je n'en sais rien, je ne me l'explique pas. Je suppose qu'il faudrait chercher et puis surtout : "ça n'a pas d'importance"...

On a vu les nymphéas de l'Orangerie. C'était chouette, assez impressionnant. Je pense qu'Hamilton a bien aimé ça. Mais moi, ça m'a surtout envie d'aller à Giverny. Mes parents y sont allés et ça avait l'air très joli, en photo. Je veux voir les fleurs en vrai, l'étang, le fameux pont vert ! Éternelle insatisfaite que je suis, éternelle envieuse...

Autre anecdote révélatrice. Quand on a dû choisir un café pour boire une verre avant le théâtre (le même théâtre où on était allé avec Andrew, Emily et Walter !), Hamilton a voulu retourner au même boui-boui où on était allé la dernière fois. D'accord, il n'y avait pas grand chose d'autre d'avenant dans le quartier, mais quand même. C'est pour le principe ! C'est quand même un peu idiot de refaire les mêmes choses, dans une ville si grande... Hamilton, il aime ça. Ça le rassure, je pense.

C'est comme pour les vacances : à chaque fois qu'il a l'occasion d'en prendre, il choisit de retourner au pays des caribous. Moi aussi, j'aime bien le Québec et ça me plairait d'y retourner pour voir les choses que je n'ai pas vues (c'est-à-dire beaucoup). Mais d'abord, je veux aller à Bali. La terre est vaste, je veux la découvrir.

Finalement, on a fait quoi des trois heures qui nous restaient avant de prendre notre Thalys ? Un bon compromis.

On a pris le métro, on a vu un dernier quartier (République / Oberkampf). On a mangé dans un endroit sympa et Hamilton a bu une Kronenbourg dégueulasse. Puis on a quand même été passer une heure à la gare du Nord. J'ai essayé d'envoyer un message à Zapata pour son anniversaire, mais mon gsm ne fonctionnait plus - Zapata, si tu me lis, "joyeux anniversaire", jamais je n'oublierais un 15 mars, tu sais bien. Hamilton a bu plein de cafés hors de prix dans des verres en carton et moi j'ai tranquillement lu mes lettres de Simone de Beauvoir à Nelson Algren. Tiens, ça me fait penser : je râle de ne pas être allée dans le quartier latin !

Là, j'ai le projet de repartir à Paris en novembre. De louer un appart presque une semaine, avec le Wifi. Peut-être avec Airbnb. Sans doute sans Hamilton (même s'il pourra me rejoindre un jour ou deux s'il veut).

Bon, je me doute que je serai toujours insatisfaite, frustrée. Qu'il y aura encore, sur mon album photo Facebook, une image de la tour Eiffel. Sa silhouette en arrière-plan de quelque chose, au moins. Ou bien une vue du pont des Arts avec les cadenas. A moins que d'ici là, on les ait vraiment enlevés ? Mais ça, je n'y crois pas trop...

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