Année zéro

« La fleur est artificielle, mais l'intention ne l'est pas », dis-je à Léandra en entrant. Et si je lui avais offert des chocolats à la place d'une fleur ? J'avais également réfléchi à une formule consacrée : « Ce sont des "Merci", car ils ne vendaient pas de "Désolé". » (Cette phrase aurait eu plus de sens encore, mais le marchand de pralines était déjà fermé.)

À l'exception des tout derniers épisodes, ce journal ne conserve pas de traces du feuilleton. (On remerciera ou on maudira, selon l'humeur, l'indolence crasse dans laquelle j'étais embourbé à ce moment.) Il serait peut-être intéressant, un jour, de retracer de la manière la plus plate possible, en historien, la chronologie des événements, non pas pour Léandra et moi-même, mais pour tous les autres impliqués de près ou de loin dans ce petit maelström. Car il est tout de même important d'avoir une vision exacte de la chronologie, et surtout de l'instant où tout a commencé : ce n'est pas elle qui a coupé les ponts, c'est moi.

Léandra s'est fait une entorse cette nuit, « en sortant de Chez Maman ». J'aurais dû me rendre compte des majuscules en lisant son message matinal, mais je n'étais sans doute pas encore bien réveillé. Du coup, durant toute la journée, j'avais en tête qu'elle s'était fait mal en sortant de chez sa maman. — Mais non ! C'est en sortant de Chez Maman, le célèbre bar à travestis bruxellois ! « Ça t'aurait sans doute intéressé. Bon, il y avait plein de monde et on était assez compressés, mais c'était une expérience ! » Plein de monde ? Compressés ? Je serais parti en courant, oui !

Quid, le chat ventripotent de Léandra, se rend-il compte que sa maîtresse souffre d'une entorse ? Je suis dubitatif, mais elle me répond : « Si, si... Mon chat se rend compte qu'il y a quelque chose qui ne va pas aujourd'hui et que je ne vais pas bien... Mais à part ça, il s'en fout ! En fait, ça l'emmerde. Et donc il saute sur ma jambe quand même et il me fait mal. »

Pour autant que je puisse en juger, mon « second Dorabella » est vraiment résolu. Ne reste plus qu'à résoudre le premier, celui de 1897, sans néanmoins en faire une fixation (il y a des choses plus importantes dans la vie que de résoudre des énigmes).

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