« Somebody is digging my bones »

Ce texte a été entièrement rédigé avec en fond sonore
l'album THRAK de King Crimson. — Vroum, vroum !

Découvert aujourd'hui, en ce jour de télétravail, un projet original coordonné par l'asbl « Bruxelles nous appartient » : la carte sonore de Bruxelles. L'idée derrière ce projet est de cartographier, à l'aide d'enregistrements audio, les différentes ambiances de la région bruxelloise dans tout ce qu'elles ont d'anecdotique et de spécifique : un vieux mendiant en train de chanter durant le marché au Parvis de Saint-Gilles ; des sons, bruits et musiques entendus dans des stations de métro ; un petit embouteillage rue Sainte-Catherine, accompagné de son minicortège de klaxons ; une manifestation rue de la Loi ; le vent qui souffle dans l'église Saint-Josse, avec un chœur de gospel à l'arrière-plan ; etc. Tout le monde peut apporter sa pierre à l'édifice : dans un premier temps, il suffit de disposer d'un enregistreur portable et de capter « l'âme de la ville » à un endroit et à un moment donnés ; dans un second temps, il faut décider si ce que l'on a enregistré vaut la peine d'être partagé, autrement dit se demander en quoi cela apporte réellement quelque chose à la cartographie sonore de la ville. Si ces deux conditions sont réunies, alors pourquoi ne pas tenter l'expérience ? (Pour ma part, j'ai déjà quelques idées de panoramas sonores à capturer dans mon environnement immédiat, comme ce joueur d'orgue de barbarie qui s'arrête parfois, certains dimanches estivaux, au-dessous de la fenêtre de ma chambre ou bien, tout simplement, les nombreuses ambiances entendues au cours de l'année du côté du Parvis ou de la place Van Meenen.)

Long ago and far away in a different age,
When I was a dumb young guy,
Fossilized photos of my life then
Illustrate what an easy prey I must have been.

Léandra ne l'a jamais rencontré, elle me le décrit d'après les informations disponibles : c'est un ingénieur qui travaille dans le domaine de la verrerie, qui vient de Paris (encore un !), mais qui n'est peut-être pas Français : « Qui te dit que je suis Français ? », lui a-t-il écrit. C'est quelqu'un d'intéressant, d'assez intelligent, avec beaucoup d'humour. Au départ, c'était un matheux pur jus, mais depuis quelque temps, il a élargi son horizon intellectuel : « Je suis désormais conscient que la poésie, la littérature et l'art ont quelque chose à apporter à la compréhension de l'humanité », lui a-t-il sorti (ou quelque chose de ressemblant en tout cas : comme on le sait, je ne suis pas très bon pour retranscrire mot à mot ce qui passe par mes oreilles). Mais si ça tombe, tout est faux et c'est seulement de la drague : de nos jours, il faut s'attendre à tout, ma bonne dame, sur les sites de rencontres.

Oui, les histoires de grève, c'est « clivant » (l'expression est de Léandra). Aujourd'hui, elle a expérimenté ce fameux clivage avec une collègue qui, à peine arrivée au bureau, a commencé à se plaindre : « Faut pas oublier que si on en est arrivé là, c'est à cause de tous ces gens qui ont pris leur prépension à cinquante ans », etc. L'échange fut court, mais assez virulent et la collègue en question ne lui a plus adressé la parole de la journée.

Il s'intéresse à ses parents, à son adolescence (elle lui explique qu'elle a vraiment commencé à exister en fin d'école secondaire, à partir du moment où elle est allée boire des verres avec « les autres » et où ceux-ci ont compris que, tout compte fait, elle aussi pouvait être cool). Il aime creuser dans son passé, lui faire évoquer des images et créer des ponts inédits (« Quel est le lien entre ces trois amies ? » « Un homme ! ») : ce n'est pas un pragmatique qui s'intéresse au présent (du genre cognitiviste ou comportementaliste), mais plutôt une sorte de psychanalyste qui veut arranger le passé... sauf qu'il ne fume pas la pipe, ne rumine pas dans sa barbe, ne la couche pas dans un divan et ne lui tourne pas le dos. « En fait, il est plutôt du genre bobo ! »

« Non, toi Hamilton, tu arrives quand même à avoir des souvenirs de ton enfance. Tu peux en parler. Moi, je ne me souviens de rien ! »

Standing in the sun, idiot savant,
Something like a monument,
I'm a dinosaur,
Somebody is digging my bones.

« Tout compte fait, je vais y aller aussi. Ce n'est pas assez dynamique ici !
— Pas assez dynamique ? »
(Oui, pas assez dynamique : un serveur essuie déjà les tables, quelques rares clients terminent leur verre, le bar est désert, l'endroit se vide : l'ambiance n'est vraiment pas idéale pour commencer à rédiger quelque chose !)

« Tu rentres en tram, je suppose ?
— Non, il n'y a toujours pas de tram, je pense. C'est grève aujourd'hui. Je vais faire le chemin à pied. Ce froid ne me dérange pas du tout !
— Fais gaffe, tout de même, à ne pas expérimenter à tout prix certaines choses seulement pour les écrire dans ton blog ! »

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