Les ruines du comptage par 8/16

9/18. — Est-il possible de comprendre le premier Interlude (Ripe & Ruin) de l'album An Awesome Wave de Δ (Alt-J) si l'on n'a pas vécu soi-même jusqu'à l'abattement ce qui y est décrit ? En bon francophone, j'ai entendu cette chanson des dizaines de fois sans vraiment l'écouter ; sans jamais repérer le lien évident entre les paroles (avec leur cadence particulière) et les troubles obsessionnels compulsifs. — Il s'agit de la description d'une femme dont la vie est « réglée » par le nombre 18 : elle compte ses pas (neuf à droite, neuf à gauche), regarde en l'air, récite une litanie (« Don't let me drown, don't breathe alone, no kicks, no pangs, no broken bones. Never let me sink, always feel at home, no sticks, no shanks and no stones. [...] »), le tout constituant un cycle complet qu'elle a elle-même mis en place et qu'elle répète inlassablement. N'importe quelle personne ayant eu à subir un TOC de comptage appréhendera aisément ce comportement tandis qu'un « profane » considérera sans doute la chose comme une totale absurdité irrationnelle.

8/16. — En ce qui me concerne, comme tout le monde le sait, je fonctionnais sur une base 8/16 (avec en outre une aversion pour le chiffre 6 et ses multiples). Conversation intérieure typique : « Si tu n'allumes et n'éteins pas huit fois d'affilée la lampe de ta chambre avant de dormir, il t'arrivera un malheur demain matin », ou encore : « Si tu te réveilles alors que le minutage de ton réveil ne contient pas un multiple de 8, ta journée [voire "ta vie" quand j'étais en grande forme] sera un enfer ». Adolescent, tout fonctionnait par 8, et aussi par 16 forcément, parce que si je touchais 8 fois quelque chose qui avait sa symétrie quelque part (comme cette pantoufle qui devait être méticuleusement alignée ou bien l'un des montants de mon lit), il fallait évidemment que je touche aussi huit fois son pendant. S'il y avait trois choses à toucher, c'était l'horreur parce que cela donnait 24, soit un multiple de 6... et donc il fallait absolument que je fasse en sorte qu'il y ait une chose en plus, histoire d'atteindre le salutaire nombre 32, etc. Je savais que c'était idiot, mais je le faisais quand même.

Vestige. — De temps à autre, je connais à nouveau les assauts de ce genre de pensées envahissantes, mais de manière très larvée. En fait, aujourd'hui, il ne reste plus que des vestiges de ces comportements bizarres : réveil à 6 heures 08, 16 ou 32 lorsque je travaille (curieusement le 6 des heures n'a jamais posé problème) ; vérification à huit reprises que ma plaque de cuisson est bien éteinte après l'avoir utilisée ; etc. Il me semble que la chose est passée d'elle-même progressivement à partir de l'époque où j'ai rencontré Maïté, au début de la vingtaine donc. Si je quittais un appartement en même temps qu'elle, j'étais moins soumis à mes manies de vérification et de comptage, car je déplaçais en quelque sorte la responsabilité d'un éventuel accident sur elle : « Elle était avec moi. Si l'appartement brûle, ce ne sera pas entièrement de ma faute. » Peut-être aussi me suis-je forcé à paraître normal quand elle était là, en prenant sur moi, par exemple, pour ne pas tourner huit fois ma clé dans la serrure quand nous quittions l'appartement, etc. Aujourd'hui, je suis d'un je-m'en-foutisme incroyable par rapport au chiffre 8 : c'est presque miraculeux que je m'en sois sorti aussi bien si l'on se souvient de la manière dont ce chiffre tenaillait mon existence de jeune garçon. Amen, amen, amen, amen, amen, amen, amen, amen !

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