Un roi sans couronne

– Regarde Gaëlle, c'est le discours du roi, à la télévision !
– Mais j'en ai rien à faire, moi, Papa, du discours du roi !
(Remarque, moi non plus...)
– Et puis, continue ma fille sur sa lancée, pourquoi il n'a pas de couronne, si c'est un roi ?
(C'est vrai ça ! Pourquoi n'a-t-il pas de couronne ?)

* * *

Le soir, mes parents, ma fille et moi sommes invités à passer le réveillon de Noël chez mon cousin Fridric et sa femme Aude. Sont présents les deux enfants d'Aude ainsi que le petit dernier, Roberto. Sont présents également : ma bobonne (ma vieille grand-mère qui, du haut de ses 85 ans, a de plus en plus de mal à entendre ce qu'on lui dit et à se déplacer) ; mon cousin Fab (le frère de Fridric) et sa femme Bridget ; les parents d'Aude ; les parents de Fridric. En tout, ça fait seize personnes.

La chienne de la maisonnée a l'air malade. Elle pue, elle bave et regarde les invités bizarrement. Elle est enceinte. Lors de la dernière portée en date, elle a dévoré un de ses jeunes (miam !). Ma mère se méfie et ne veut pas que Gaëlle s'en approche.

Le repas est gargantuesque. En apéritif, nous avons droit à des dizaines de plats qui viennent et repartent dans tous les sens : des toasts, des ailes de poulet, des lardons farcis, des olives, de l'ail mariné, du fromage de Grimbergen, des chips, des verrines... Ensuite, nous mangeons une entrée froide (une terrine), puis une soupe aux chicons (préparée par ma maman), puis une seconde entrée, chaude cette fois-ci (une lasagne de saumon, avec de la pâte fraîche, faite "maison" par ma tantine et son mari Tino), puis le plat principal (de la volaille, des croquettes et de la salade), puis le dessert (des choux glacés préparés par mon père). Je bois et mange beaucoup, comme d'habitude lors d'un repas de Noël.

Durant la soirée, Fridric, qui est instituteur depuis presque vingt ans, nous parle des gamins à qui il donne cours : leur niveau baisse de manière catastrophique : ils sont pour la plupart incapables de se concentrer plus d'un quart d'heure et ne s'intéressent pas à grand chose. Quant aux nouveaux instituteurs, ils sont d'après lui en moyenne moins cultivés et moins formés qu'auparavant : "Comment intéresser une classe si on ne sait même pas soi-même de quoi l'on parle ?".

Mon père a apporté ses vieilles diapositives et l'appareil qui permet de les projeter. Mon papa est (entre autres) photographe de formation et a pendant une bonne dizaine d'années (de 1975 à 1988 environ) réalisé plusieurs centaines de diapositives de sa jeunesse et de mon enfance. En fin de soirée, il les projette sur un mur blanc. Avec le temps, les images font très vintage : photos de virées dans les "dancings" ; voyage en Irlande ; photos de ma mère jeune (une vingtaine d'années) en train de poser devant l'appareil, avec ses cheveux teints en roux, son visage très froid et boudeur ; voyage à Paris ; voyage en Italie ; photos de famille...
Ce n'est vraiment plus le même monde qui s'affiche sur le mur blanc : on y voit la vieille maison familiale perdue dans la campagne (alors qu'aujourd'hui ladite bâtisse est entourée de nouvelles constructions cubiques toutes aussi laides les unes que les autres), mes (alors jeunes) cousins qui font du vélos en plein milieu de la route déserte pas loin de la maison, les vêtements démodés du début des années 80, les fameuses couvertures à carreaux, le vieux tourne-disque, les vieilles bagnoles (dont une Lada et une Simca 1000 !).
Dans tout ce vrac, il y a également des centaines de photos de moi, de la naissance à l'âge de 7-8 ans. Une des diapositives me montre, âgé de 2 ans et demi, assis seul dans un grand transat, sur la plage de Sperlonga en Italie, parce que je "refusais catégoriquement de toucher le moindre centimètre de sable" (je ne m'en souviens plus, évidemment, mais ça ne m'étonne qu'à moitié) ; une autre me montre en train de poser, plus vieux, la mine très sérieuse, les yeux cachés par de ridicules lunettes noires, mimant un jeu de guitare sur une raquette de tennis en plastique. Paraît que j'étais fan de Michel Polnareff à l'époque. En tout cas, faudra absolument que je les numérise, ces diapositives-là !

Il est presque deux heures du matin. Gaëlle est très fatiguée et s'énerve pour un rien. Pas question de jouer à la belote ce soir. Nous retournons donc chez mes parents en voiture et, pour gagner du temps, nous racontons une histoire à ma fille sur la route du retour. Je joue le rôle du Schtroumpf à lunettes et ma mère celui du Grand Schtroumpf (qu'elle imite très bien). J'imagine une histoire où le Schtroumpf à lunettes découvre un second village schtroumpf qui n'est peuplé que de Schtroumpfs à lunettes. C'est l'horreur totale quand le Schtroumpf à lunettes, premier du nom, se rend compte qu'il existe des Schtroumpfs encore plus moralistes que lui. C'est une histoire débile mais ça nous fait rire.

De retour à la maison, j'ai trop bu et n'arrive pas à dormir, évidemment. Alors, pour passer le temps, j'écris ma journée de jeudi de manière assez virulente, l'alcool aidant. Non, je ne regrette rien...

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