Ils pourront couper toutes les fleurs...

Aujourd'hui, 11 septembre 2011, c'est le 10e anniversaire des attentats du même nom, le 38e anniversaire de la mort de Salvador Allende et le jour du départ de Zapata et Amy vers le Canada.

La plupart des gens se souviennent de ce qu'ils faisaient le 11 septembre 2001, paraît-il... Et moi ? Qu'est-ce que je foutais le 11 septembre 2001, à l'heure des attentats ? Hé bien je revenais de ma matinée de cours à l'Université libre de Bruxelles. J'étais alors en dernière année de licence en histoire médiévale. Hamilton II était venu manger à mon appartement sur le temps de midi. La télévision était éteinte. Reparti chez lui après le repas, Hamilton m'a envoyé un court sms du genre : "New York en feu. Allume ta télévision." Mes parents m'ont téléphoné juste après. Ma mère, paniquée : "Il y a des attentats partout dans le Monde. Surtout ne sors pas de chez toi et n'emprunte pas le métro !".

Addendum datant du 16 septembre 2011 : après avoir lu le précédent paragraphe, Fred Jr me contacte et me dit que ça ne s'est pas vraiment passé comme ça. Je me suis fabriqué en partie un faux souvenir de cette journée ! Je n'ai pas été à une matinée de cours à l'Université. La veille, le 10 septembre 2001 donc, d'après Fred Jr, nous avions passé la soirée à l'Atelier avec Hamilton II et Marguerite. Nous étions un peu saouls. À la sortie du café, en pleine nuit, mes amis voulaient absolument aller au Bois de la Cambre pour voler le panneau "Avenue de Marguerite". Sans jamais y arriver. J'étais très réticent, en retrait (je ne supportais pas les actes illégaux, surtout sur des biens de l'État ; c'est encore le cas aujourd'hui, d'ailleurs). On a vu (ou on a cru voir) arriver une voiture de police et on s'est cassé... chez moi (je n'habitais pas loin). Marguerite est partie aux aurores, Fred Jr un peu plus tard et Hamilton II est resté manger le midi. La suite de l'histoire reste la même.

Le 11 septembre 1973, je n'étais pas encore né. Ce jour-là, Pinochet prenait le pouvoir au Chili, instaurant une dictature militaire de droite, mettant brutalement fin au programme socialiste initié par Salvador Allende (nationalisation des banques, des mines et des industries ; réformes de l'éducation et du système de santé, etc.). Lors de son dernier discours, peu avant sa mort, Allende fustigera les généraux qui l'ont trahi, remerciera le peuple qui lui a fait confiance et prononcera la célèbre phrase, destinée à tous les travailleurs : "Je ne renoncerai pas !". Autrement dit : "je mourrai avec la société que j'ai essayé de mettre en place". "On ne peut arrêter les mouvements sociaux, ni par la force, ni par le crime", dira-t-il, "L'histoire est à nous, ce sont les peuples qui la font". Ça rappelle un peu le slogan de Mai 68, repris sur la tombe de Malik Oussekine (un étudiant tabassé à mort en 1986 par la police française) : "Ils pourront couper toutes les fleurs, mais ils n'empêcheront pas la venue du printemps".

Étant très à gauche sur l'échiquier politique, quelque part du côté de l'anarchisme et du socialisme radical, je suis à chaque fois très touché quand j'entends le discours d'Allende... Ce dernier avait en quelque sorte ce qu'on pourrait appeler, de manière un peu grandiloquente, le sens de l'histoire. En lisant calmement ce texte-là, à ce moment-là, il s'inscrit comme un acteur du socialisme, acteur dont la mort, en tant qu'individu, n'a pas réellement d'importance : seul compte pour lui le fait qu'on "n'arrête pas la marche du progrès" et qu'un jour prochain la révolution de la société qu'il a initiée dans son pays arrivera coûte que coûte. Un tragique message d'espoir qui me noue à chaque fois l'estomac, qui m'effraie un peu même : comment peut-il être aussi serein et confiant dans l'avenir alors que tout s'effondre, alors qu'il sait que sa mort arrive à grand pas ? Je l'admire pour ça, pour ne pas avoir plié, même devant les bombes et les balles ennemies... Et ça me fait à chaque fois beaucoup de mal de me dire qu'un connard de général opportuniste et tortionnaire à la solde des États-Unis a tué dans l'œuf cette réforme socialiste démocratique ; et aussi que plein de gens, par peur viscérale du "péril rouge", ont soutenu cette crapule sanguinaire de Pinochet.

Le gouvernement mis en place par Allende se rapproche assez fort de ce que devrait être le socialisme à mes yeux, à des années-lumières d'Aubry, Di Rupo et consorts ; à des années-lumières également du socialisme autoritaire qui s'est très vite installé en URSS, sous Lénine puis les autres, après la Révolution d'Octobre... Le socialisme : un mouvement d'essence populaire, de base démocratique, consistant à métamorphoser totalement la société, en tentant d'établir une plus grande justice quant à l'accès à l'éducation, à la santé, aux transports... Plus qu'un projet politique, c'est un projet économique : celui du contrôle démocratique de ce que nous produisons ; la gestion des banques par l'État, la production (contrôlée par les citoyens et non par des oligarchies) des biens nécessaires à la population, la suppression de tout privilège lié à la richesse, à la propriété ou à l'héritage. Pas étonnant que ça ne plaise pas à tout le monde, forcément... 
À mon sens, nous sommes, en Europe, en ce pluvieux mois de septembre 2011, très loin de toute ébauche de programme socialiste, y compris dans les partis qui se revendiquent de ce courant. Le socialisme, dans sa forme actuelle, n'est devenu qu'une sorte d'alternative mole au néolibéralisme ambiant... Un triste et lucide constat que fait notamment Serge Halimi du Monde Diplomatique dans cet extrait du documentaire Avanti Popolo! de Yannick Bovy et Mathieu Sonck.

* * *
Le dimanche, la Maison du Peuple de Saint-Gilles (qui, soit dit en passant, n'a elle aussi de "maison du peuple" que le nom), c'est surtout la maison des enfants qui courent partout. Quand j'y arrive avec Gaëlle en fin de matinée, rejoints très vite par Léandra et Andrew, il n'y a quasiment que des couples avec des poussettes, des bébés dans les bras ou des enfants dans les pattes. Ma fille est toute contente car elle connaît bien l'endroit ("Ah oui, on va au café habituel, c'est ça, Papa ?" – elle utilise de ces termes pour le moment : ça ferait encore flipper Flippo, tiens) et se trouvera au moins deux compagnons de jeu : d'abord un petit garçon qui veut l'emmener jouer dehors (ce que je refuse, en ce jour de marché) ; ensuite une petite fille (ressemblant un peu à Anouchka), avec qui elle dansera ou arrachera les jambes d'une pauvre barbie qui n'avait rien demandé à personne... Gaëlle distribuera aussi des prospectus aux autres tables, ce qui fera sourire la plupart des gens, sauf la plus jeune des serveuses, qui est hyper-nerveuse ce dimanche. Avec le petit garçon, elle s'amusera aussi avec des avions en papier. Coïncidence curieuse pour un 11 septembre : le garçon fera tomber, à quelques minutes d'intervalle, à l'aide de son avion en papier, deux présentoirs à menu disposés sur les tables du café. Gaëlle disparaîtra aussi de temps en temps (aux toilettes, dans des coins...), ce qui aura tendance à me stresser.

Avant l'arrivée d'Andrew, Léandra me raconte sa journée de samedi, dans un but précis : nous avons prévu de nous échanger nos journaux pour un jour... Elle écrira ma journée de samedi et j'écrirai la sienne. Je prends compulsivement note de tous les détails qu'elle me donne (Léandra a une bonne mémoire factuelle). Puis, c'est à mon tour de raconter ma journée, de manière plus confuse. Andrew arrive à ce moment-là et patiente avec un livre pendant les dernières prises de notes.

Gaëlle a déjà mangé vers 11h, nous pas. Nous prenons tous les trois une salade de magrets de canard et de gésiers. Je refile mes concombres à Léandra et je n'arrive pas à manger tous les gésiers, que je trouve indigestes. En bref : je ne mange pas grand chose.

Ce dimanche, nous finissons aussi par voir en chair et en os Vincent, une des nouvelles connaissances de Léandra qui, par une curieuse coïncidence, a déjà aussi croisé Amy, la copine de Zapata : c'était, expliquera-t-il plus tard dans la conversation, lors d'une soirée du WWF, alors qu'ils étaient invités tous les deux par une amie commune du nom de Paulette (que j'ai déjà vue aussi, d'ailleurs). Vincent s'installe à notre table. Léandra a peur que le gars ne me plaise pas. Il n'y a pas de raison, pourtant. Et puis, Léandra tient (sans doute trop) compte de mon avis. À la lire, je passe parfois pour un ogre sans pitié qui critique et démolit tout ce qui bouge.

Tout le monde finit par se casser. Peu de temps après, je récupère Gaëlle, que je dois ramener à Maïté à la Gare du Midi. Gaëlle est en train de jouer sur les canapés du fond avec la petite fille mentionnée plus haut. Elle est assise entre deux jeunes femmes travaillant sur leur ordinateur. Je croyais qu'une des deux était la mère de la petite fille mais pas du tout : "Elles sont à vous, les deux filles ?", me demande-elle – "Seulement une." – Avec un grand sourire, la jeune femme me lance alors : "Euh... Vous ne voulez pas reprendre l'autre en même temps, tant que vous y êtes ?". Bah non, je ne peux pas. On va encore me traiter de kidnappeur (à raison cette fois-ci) si je fais ça...

À la gare, Maïté est manifestement de mauvaise humeur. Je me demande un instant pourquoi et puis je me rappelle que c'est Maïté et que la moindre contrariété l'énerve. Elle reprend Gaëlle en triple vitesse. J'ai à peine le temps de dire au revoir à ma fille qu'elle est déjà dans le train, en train de s'éloigner. Je ne la reverrai que dans deux semaines... Ça me donne le cafard.

* * *

Je n'ai plus rien à faire, je retourne donc à la Maison du Peuple lire et travailler sur mon PC, près de la fenêtre. À côté de moi, installé à ma table, un homme et une femme assez désagréables, en train de réaliser une affiche pour un événement musical, sur un Mac. La dame demande si je peux surveiller leurs affaires pendant qu'ils vont chercher à boire. Je peux, évidemment, même s'ils ne risquent pas grand chose ici. Avant de partir, le gars est choqué parce qu'il ne retrouve pas ses DVD qu'il était certain d'avoir mis dans son sac. Il me regarde sévèrement comme si je n'avais pas bien observé ses affaires pendant son absence. Mais qu'il aille se faire foutre, merde ! Il les a oubliés chez lui, ses DVD, voilà tout.

La fin de la soirée se déroule avec Andrew, de retour, et Walter. Emily se repose chez elle et ne vient donc pas. Deux chiens ridicules n'arrêtent pas de passer entre les tables et de grimper sur les genoux des gens. Andrew parle d'éthologie. Nous rentrons chez nous vers 10 heures du soir. Je discute un peu avec Léandra sur Facebook, qui finit par m'appeler au téléphone pour me parler de sa curieuse soirée avec Daniel et Vincent. Elle est un peu saoule. Je lui dirai à ce propos quelque chose de très élégant (c'est tout moi, ça), à savoir que j'ai l'impression d'avoir mon ami Vinge au bout du fil (qui est un peu alcoolique sur les bords – et pas que sur les bords d'ailleurs).

Quand elle raccroche, c'est la nuit. J'ai sommeil. Je m'endors assez vite.

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